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COMPTE-RENDU D'ÉVÉNEMENT | Ukraine : nouveaux joueurs, mêmes règles ? Le rôle de l’engagement civique et des médias

22 novembre 2019

Quels défis et opportunités la redéfinition du gouvernement en Ukraine présente-elle pour les médias ? Quels seront les liens entre la société civile et le nouveau gouvernement ? Alors que l’action de la société civile est plus importante et pertinente que jamais, quelles sont les prochaines initiatives ? Voici des exemples des questions abordées lors de la table ronde qui s’est tenue dans les locaux du FEDEM le 19 novembre 2019.

COMPTE-RENDU D'ÉVÉNEMENT | Ukraine : nouveaux joueurs, mêmes règles ? Le rôle de l’engagement civique et des médias

Les intervenants venus d’Ukraine ont présenté des récits poignants de leurs expériences en tant que militants, politiciens et spécialistes des médias.

Dans son allocution d'ouverture, Richard Tibbels, de la division Relations bilatérales pour le Partenariat oriental du Service européen pour l'action extérieure, soulignait le changement opéré au sein de l’environnement politique ukrainien, avec 70 % de députés nouvellement élus. M. Zelensky est un président d'un nouveau genre, avec un agenda très ambitieux et propulsé à la tête du pays par le « régime turbo » désormais en place. Malgré les changements rapides et encourageants, subsistent certains problèmes épineux : le conflit qui perdure dans le Donbas, le besoin de réformes économiques et le lourd héritage des institutions.

La société civile reste très active et encourage les citoyens à prendre leurs responsabilités et à jouer leur rôle de militants. Comme l’a fait remarquer M. Tibbels, la situation sur le plan des médias reste délicate car l’emprise des oligarques est de mise et il est difficile pour les voix contestataires de se faire entendre et de perdurer financièrement.

« La désinformation reste un problème majeur. L’UE soutient les initiatives visant à renforcer la résilience du gouvernement, de la société civile et des médias pour lutter contre ce fléau. »

Panel 1 : De militants à politiciens, et inversement. Repenser le rôle des militants civiques

Pour illustrer la situation actuelle, Valerii Pekar, cofondateur de la plateforme civique Nouveau pays, maître de conférences à Kyiv Mohyla Business school et à Lviv Business school, a pris l’analogie de l’Ukraine jouant sur trois échiquiers avec trois programmes majeurs. Le premier porte sur l’agenda économique : le nouveau gouvernement a lancé plusieurs réformes d’envergure. Le deuxième concerne la guerre : M. Zelensky veut donner de lui l’image d'un pacificateur et veut croire à la possibilité d’un accord avec M. Putin par voie diplomatique. Et le troisième gros défi est le nombre élevé d’oligarques et d’autres groupes qui défendent leurs intérêts et ne sont pas prêts à renoncer à leurs avantages.  

Le Parlement est critiqué pour son régime dit « turbo » qui fait passer en force le plus de réformes possible en moins de temps possible. Cette approche expéditive est cependant justifiée quand on sait que la fenêtre d’opportunité de changement devrait prochainement rétrécir. La société civile a joué un rôle primordial dans l’élaboration des réformes ces dernières années mais de nombreuses organisations de la société civile (OCS) ont désormais le sentiment d’être en décalage avec la nouvelle réalité.

« Les échanges entre le nouveau gouvernement, le Parlement et les OCS ne sont ni efficaces, ni constants. Pour agir efficacement dans ce nouveau climat, les OCS doivent revoir et reformuler leur mission et leur mode opératoire. »

Yuliy Morozov, activiste civique et responsable culturel ayant une vaste expérience dans l’organisation de projets d’envergure internationale et locale, a évoqué la situation difficile dans les régions en raison de la résistance généralisée aux réformes, soulignant toutefois de nombreuses opportunités d’amélioration. La société civile peut agir en encourageant à plus de dialogue sur ces réformes avec la population, mais la société civile ukrainienne doit mûrir et adopter une approche plus professionnelle et plus constructive.  

« Les réformes ont besoin d’un développement institutionnel afin d’être répercutées et mises en œuvre à l’échelle régionale. La société civile peut y contribuer mais cela exige d’investir dans la formation et la professionnalisation. »

Pour Halyna Yanchenko, députée et vice-présidente du comité anti-corruption Verkhnova Rada, la qualité du Parlement s’est améliorée. Le nombre de femmes députées a augmenté, l’âge moyen des parlementaires a baissé et de nombreux militants et experts y siègent. Le Président, le gouvernement et les membres du Parlement coopèrent pour tenter de mettre en œuvre les réformes nécessaires.  

« De par mon expérience de figure politique locale, j’ai compris que les autorités locales ne sont pas toujours la racine du mal. Très souvent, les collectivités ont une marge de manœuvre très limitée pour assurer les services, surveiller les dépenses et proposer des idées efficaces et novatrices. La société civile ne devrait pas considérer le gouvernement comme un ennemi mais plutôt comme un partenaire avec lequel elles peuvent coopérer pour atteindre des objectifs communs ».

Panel 2 : Des politiciens aux allures de relations publiques : le rôle des médias dans un paysage politique en pleine mutation

Comme l’a souligné Andriy Kulykov, cofondateur de Hromadske Radio, les réseaux sociaux, la télévision et la radio doivent leur popularité à des citoyens qui ne possèdent pas les compétences requises pour travailler dans les médias traditionnels mais qui ont tout de même envie de s’exprimer.

 « La campagne médiatique de M. Zelensky était un véritable show », a rappelé M. Kulykov. « Nous avons besoin de journalistes plus responsables qui ne tombent pas dans les pièges. Et l’UE peut nous aider dans ce sens en partageant son expérience et ses connaissances. »

M. Kulykov a cependant précisé que les journalistes ne sont pas censés endosser le rôle de gardiens ou d’agents de contrôle, mais doivent travailler pour les citoyens et parmi les citoyens. Il est très facile de glisser des fausses informations puisque les informations diffusées à la télévision et sur Internet proviennent des mêmes organes.

Diana Dutsyk, experte en médias et directrice exécutive de l’Institut ukrainien des médias et de la communication, a déclaré que les médias traditionnels restent encore très prisés par 70 % de la population. M. Zelensky s’est servi des réseaux sociaux pour renforcer l’influence de ses messages politiques, mais ses messages clés ont été diffusés exclusivement sur les médias traditionnels. Il y a un fossé entre les nouvelles autorités et les médias.

Mme Dutsyk a souligné la nécessité d’entamer des discussions sur la création de business models pour les médias afin de permettre à ces derniers de devenir autonomes. L’éducation aux médias et les nouveaux outils comme la diffusion communautaire sont des pistes à étudier.

« De nos jours, les médias font face à de nombreux défis et notre législation est obsolète. Elle ne reflète pas la réalité. Il nous faut contrôler la désinformation mais avec prudence et en impliquant les journalistes avec lesquels nous devons encourager la communication. »

Comme l’a précisé Roman Kulchynsky, fondateur de texty.org, la majorité des chaînes de télévision ukrainiennes appartient aux oligarques ou est financée par le Kremlin. Le niveau de journalisme est médiocre et les médias traditionnels se comportent comme des machines de propagande. M. Kulchynsky a insisté sur l’importance pour l’Ukraine de rehausser le niveau de qualité du journalisme indépendant et de voir émerger de nouvelles entreprises à responsabilité sociale. Les médias doivent également être considérés comme partie intégrante de l’économie.

« Nous devons poser les bases d’un journalisme indépendant. La situation dans les régions est pire encore et les médias peinent à survivre, leurs unique source de revenus étant la publicité. Une forme de médias communautaires est indispensable mais pour cela chacun doit apprendre à travailler selon des intérêts communs. »

Cet événement a été organisé conjointement par le FEDEM et le DRI (Democracy Reporting International).

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