DEJURE Foundation Ukraine

Une organisation de la société civile fondée par des juristes et experts judiciaires s’attache à promouvoir l’État de droit et les réformes dans le domaine de la justice en Ukraine. Pour Iryna Shyba, Directrice exécutive de DEJURE, la justice est au cœur de la démocratie.

sélectionnés pour leurs compétences et leur qualité. Ils sont sélectionnés sur la base de leurs relations personnelles, ce qui suppose de réels conflits d'intérêt. Mais il existe également des problèmes de corruption et de violations des droits de l'homme. Par ailleurs, ces magistrats acquièrent souvent des biens considérables qui n’ont aucun rapport avec leur salaire officiel. Des juges qui ont violé les droits de l'homme pendant la Révolution de la dignité de 2014 sont encore en place », s’émeut Iryna.

DEJURE collabore avec les écoles de droits qui forment la future génération de juristes et de magistrats. Le programme de l’enseignement du droit ukrainien ne comporte actuellement aucun module sur l’éthique, une absence qui ne facilite pas la lutte contre l’acceptation généralisée que la réussite des élèves se mesure au nombre de relations et de connaissances bien placées et non à l’honnêteté et à l’intégrité, des valeurs essentielles pour présider un tribunal. C’est-là l’une des priorités de la fondation DEJURE et elle est déterminée à changer la donne.

Pendant l’élection présidentielle de 2019, DEJURE a élaboré un « agenda de réforme judiciaire » défendu par une équipe composée d’organisations de la société civile partenaires, lequel agenda énonçait les principales étapes d’une véritable réforme de la justice. Cinq des candidats en lice ont soutenu la campagne, y compris l’actuel président Volodymyr Zelensky. Malheureusement, comme le déplore Iryna, à ce jour, M. Zelensky n’a toujours pas donné suite à ces promesses.

Le deuxième pilier de la mission de DEJURE, dont était chargée Iryna dans ses précédentes fonctions, est la justice pour les enfants.

La fondation travaille en étroite collaboration avec des juges, des procureurs, des avocats, des enquêteurs, la police et des Médiateurs pour les droits de l'homme et pour l’enfance afin de veiller à ce que les intérêts des enfants soient au cœur du système judiciaire. Les programmes de justice réparatrice sont un autre aspect important et DEJURE veille également à ce que la législation ukrainienne soit en adéquation avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et avec d’autres normes internationales.

Le troisième aspect du travail de la fondation touche à la justice pour les entreprises. Comme le fait remarquer Iryna, les investisseurs internationaux n’investiront pas en Ukraine tant que leurs actifs ne seront pas protégés par la loi. En 2019, les experts de DEJURE ont participé à la rédaction d’un projet de loi visant à améliorer les règles en matière d'arbitrage.

Le FEDEM a récemment accordé une aide à DEJURE pour soutenir son travail dans le cadre d’une alliance de lutte contre la corruption formée avec All-Ukrainian Association Automaidan et l’organisation Anti-Corruption Action Center (AntAC), visant à mettre le gouvernement face à ses responsabilités et à exiger la transparence et l’équité des nouveaux organes de lutte contre la corruption en Ukraine. Dans le cadre de cette alliance actuellement soutenue par le FEDEM, DEJURE surveille étroitement l’agenda de la réforme judiciaire.

« Nous surveillons la législation relative au système judiciaire et participons à la rédaction de projets de loi destinés à renforcer l’indépendance de la magistrature. Nous suivons les décisions de la Cour constitutionnelle d'Ukraine (CCU). Étant donné que la CCU est influencée par les représentants politiques, notre rôle consiste à dépolitiser le processus de nomination des juges par la CCU. Nous nous intéressons particulièrement au travail du tribunal administratif de district de Kiev. Un autre aspect important de notre travail consiste également à informer nos concitoyens des évolutions », précise Iryna.

Ce travail est d’une importance vitale, l’Ukraine étant confrontée à une crise constitutionnelle avec la récente décision très controversée de la CCU selon laquelle l’Agence nationale de prévention de la corruption n’est plus habilitée à demander aux fonctionnaires de présenter une déclaration de patrimoine, une attaque manifeste contre les lois anti-corruption en Ukraine. Selon Iryna, cette décision menace l’agenda de réforme et la sécurité nationale de l’Ukraine.

Les experts juridiques de DEJURE ont rédigé un document complet en ligne énonçant les mesures destinées à surmonter la crise constitutionnelle en restaurant l’intégrité de la CCU et en garantissant la stabilité de l’infrastructure anti-corruption.

Cette crise constitutionnelle n’est qu'un exemple des récentes difficultés auxquelles est confrontée la fondation dans son travail de réforme du système judiciaire.

« Il est difficile de changer un système qui ne veut pas être réformé. Les magistrats corrompus ne veulent pas renoncer à leurs privilèges et bien entendu la volonté politique brille par son absence. Mais la réforme du système judiciaire est vitale pour l’avenir de l’Ukraine, aucune autre réforme ne sera possible sans elle. Comment pourrait-on envisager de lancer une réforme foncière sans réforme judiciaire », s’interroge Iryna.

Iryna constate que le travail de DEJURE est très bien accueilli par les citoyens. « Les gens font au quotidien les frais de l’injustice. Ils ont constamment affaire à des fonctionnaires corrompus qui s’affranchissent des lois. Ça se passe d’explication. Les gens réclament justice, des procès équitables et des juges impartiaux. Ils savent que c’est vital pour l’avenir économique du pays. Nous voulons amener les institutions étatiques à répondre de leurs actes et à sélectionner des magistrats disposés à faire leur travail correctement », souligne Iryna.

Elle voit l’équipe de DEJURE comme des agents du changement et elle se dit fière des actions menées et des résultats obtenus par l’équipe.

« J’ai rejoint DEJURE pour me rendre utile et depuis quatre ans, nous courrons un marathon. Nous nous battons contre des personnes corrompues qui font barrage à la réforme judiciaire. Mais je reste optimiste. Il s’agit de faire changer les mentalités et de former une nouvelle génération de brillants esprits juridiques qui seront les juges du futur, les juges de l’intégrité », conclut Iryna.