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Andriana Arekhta

12 October 2020

Mouvement des anciennes combattantes ukrainiennes

Défendre les droits des femmes soldats et anciennes combattantes ukrainiennes et participer à la construction d’un avenir démocratique plus égalitaire.

La vie d’Andriana Arekhta a changé du tout au tout avec les manifestions Maidan en 2013. La jeune fille fraîchement diplômée promise à une carrière marketing internationale en tant que responsable de marque a pris part à quelques-unes des batailles les plus meurtrières de l’interminable conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine. Elle dirige le mouvement des anciennes combattantes ukrainiennes. En Ukraine, elle incarne ce combat difficile.

Sa transformation a été progressive mais, de son propre aveu, également inévitable. Après plusieurs mois passés à conjuguer son travail le jour et les manifestations de Maidan Square la nuit pendant la Révolution pour la dignité en Ukraine, l’invasion de la Russie et l’annexion de la Crimée en mars 2014, et le conflit qui s’en est suivi dans la région du Donbass dans l’est de l’Ukraine, lui ont fait prendre conscience que son pays vivait une période charnière.

En mai 2014, elle est montée à bord d’un taxi mini-van pour rejoindre une centaine d’autres volontaires en partance pour Luhansk, dans le Donbass. « J’étais partie pour 5 jours. Je savais juste qu’il fallait que je fasse quelque chose. Personne ne parlait de la guerre à cette époque et j’étais loin de me douter que j’allais finir par m’enrôler comme volontaire, puis comme soldat pour les 15 mois suivants », raconte Andriana lors d'un entretien téléphonique accordé au FEDEM depuis Kiev. Elle a dû démissionner en 2015 pendant sa grossesse. Son mari, lui aussi soldat dans l’armée, est encore en service pour les Forces d’opérations spéciales.

Le conflit en était alors à ces premiers mois et Andriana était l’une des rares femmes volontaires en service actif. Elle n’a suivi aucune formation formelle pour la préparer à la vie militaire. Elle n’a reçu aucune tenue militaire, avouant avoir combattu les premiers temps en t-shirt et baskets. Elle ne savait même pas manier les armes et elle se rappelle avoir un jour glissé une grenade dans son soutien-gorge pour éviter de l’égarer ! Elle salue le commandant du bataillon Aïdar où elle a combattu à partir de juin 2014 en guise de formation. « Il a su déceler mon potentiel et il savait de quoi j’étais capable », relate Andriana.
Andriana est convaincue du rôle vital qu’elle et les autres combattantes volontaires ont joué dans la réplique de l’Ukraine à l’agression russe, l’armée ukrainienne étant en faible effectif à l’époque, même si au début ces femmes n’avaient aucun statut militaire. Officiellement, elle était enrôlée comme couturière.
« Si j’avais trouvé la mort, je n’aurais pas été reconnue comme un soldat mort pour sa patrie. Je n’aurais été qu’une couturière morte à la guerre », ironise-t-elle. Elle déplore les centaines de volontaires et amies qui ont péri parce qu’elles n’avaient reçu aucune formation, ni équipement au cours des premiers mois et dont la mort aurait pu être évitée. Elle reconnaît que la situation est loin d’être idéale encore aujourd’hui, les femmes soldats et anciennes combattantes continuant à faire face à de nombreux défis dans une armée enlisée dans ses traditions et dans l’environnement législatif de l’Ukraine.
C’est là toute la raison d’être du Mouvement des anciennes combattantes ukrainiennes, fondé en 2019 par les anciennes combattantes, qui s’efforce de surmonter ces difficultés et de faire valoir les droits des femmes soldats et anciennes combattantes. Les membres de l’association plaident pour une parité hommes-femmes dans l’armée et essaient de faire changer le regard que porte le public sur les femmes soldats ou anciennes combattantes. Le Mouvement met également à disposition un réseau de soutien très précieux à ces anciennes femmes soldats.
Andriana se souvient des premières réunions informelles comme d’une expérience très révélatrice. « En tant qu’anciennes combattantes, nous avions toutes les mêmes problèmes. Il est incroyablement difficile de revenir à une vie normale après avoir combattu au front. Vous avez besoin du soutien des femmes, qui comme vous, ont été témoin des horreurs de la guerre. Nous avons perdu des êtres chers mais la société n’a aucune idée de ce que nous avons pu vivre », confie Andriana.
L’une des plus grandes victoires obtenues par les anciennes combattantes fut l’adoption d'une loi historique en 2018 qui, pour la première fois, reconnaissait le rôle des femmes dans les affrontements, un geste fort et nécessaire dans un pays dont l’armée compte parmi les plus féminisées en Europe.
Récemment le Mouvement a demandé une modification de la loi visant à autoriser l’admission des femmes dans les écoles militaires, jusque-là réservées aux hommes. Depuis 2019, les jeunes femmes peuvent obtenir la formation pratique et psychologique nécessaire pour prendre part aux combats. Les femmes reçoivent désormais des affectations militaires officielles, au même titre que les hommes. Elles ne sont plus de simples bénévoles. Comme l’affirme Andriana, « les femmes ont toute leur place dans la guerre ».
Elle reconnaît que la vie n’est pas facile pour les femmes soldats pendant et après le service. Malgré d’immenses sacrifices, elles font l’objet de harcèlement sexuel et de discrimination. Les femmes ne peuvent accéder au grade d’officier dans l’armée. Les femmes soldats et les cadettes peinent à obtenir les tenues appropriées et beaucoup se voient contraintes de porter des sous-vêtements d’homme, ceux destinés aux femmes étant en quantité très limitée. Avec la pénurie de gynécologues et d’obstétriciens dans le Donbass, les femmes soldats ont très peu accès aux soins médicaux pendant leur service, avec parfois des conséquences à long terme sur leur santé. De nombreuses femmes blessées et mutilées se battent également pour obtenir le versement de leur solde, entravé par des obstacles bureaucratiques.
Grâce à l’aide versée par le FEDEM, Le Mouvement des anciennes combattantes ukrainiennes a pu engager pleinement le dialogue avec les législateurs, l’armée, la société civile et la société dans son ensemble afin de surmonter tous ces obstacles et bien d’autres encore. Les membres donnent des conférences et font des présentations dans tout le pays, en particulier dans les écoles où elles relatent leurs expériences et parlent aux enfants de l’importance de la démocratie et de l’égalité entre les sexes.
Souhaitant sensibiliser le public et attirer l’attention sur les expériences des femmes soldats, elles réalisent des documentaires traçant le portrait de femmes mortes au combat. Ces courts métrages publiés sur Facebook racontent l’histoire de ces femmes soldats à travers les témoignages de la famille, des proches et des compagnons d’armes, et présentent des séquences des protagonistes elles-mêmes. Ces documentaires délicats et touchants comblent un vide dans la narration militaire ukrainienne, ces récits étant trop rarement relatés.
Cette année et pour la première fois, le Mouvement a participé à la Marche des défenseurs le jour de l'indépendance de l'Ukraine, un geste fort qui reconnaît le rôle centrale des femmes dans les combats.
Avec les élections locales au mois d’octobre, une vingtaine d’anciennes combattantes sont candidates dans leur circonscriptions. Ces femmes ont toutes participé à un programme de mentorat animé par le Mouvement, qui permet à ces femmes d’être encadrées par des mentors afin de développer leurs compétences de leadership et étendre leurs réseaux.
« Ces femmes veulent agir pour l’Ukraine et améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens. Elles veulent bâtir un avenir démocratique pour notre pays », précise Andriana. Ces femmes représentent divers partis politiques, le Mouvement se voulant résolument apolitique.
Désormais armée d’un Master en Administration publique de la prestigieuse Académie Mohyla de Kiev grâce à un programme de bourse réservé aux vétérans, Andriana a une vision très claire de l’avenir.
« Je veux que nos expériences d’anciennes combattantes profitent aux autres. Nous sommes en contact régulier avec le ministère de la Défense ainsi que des membres du Parlement auprès desquels nous faisons pression que pour soient introduites des politiques anti-discriminatoires au sein de l’armée comme l’exigent les obligations résultants des protocoles de l’OTAN. Malheureusement, la plupart de nos généraux sont de l’ancien temps et ils résistent aux réformes. Nous comptons sur la nouvelle génération pour faire bouger les lignes. C’est pour cela que nous sensibilisons les enfants de notre pays. Nous voulons faire comprendre à la jeune génération l’importance de la démocratie, nous voulons qu’ils se mobilisent et œuvrent pour une Ukraine pour égalitaire », conclut Andriana.