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Igor Kotelianets

28 September 2020

Association of Relatives of Political Prisoners of the Kremlin

Militer pour la libération des prisonniers politiques ukrainiens détenus dans les prisons russes et soutenir les familles des prisonniers.

Le 22 septembre, l’Association of Relatives of Political Prisoners of the Kremlin (Association des familles des prisonniers politiques du Kremlin) publiait sur son site Web deux éloquentes cartes sous forme d’infographie, portant les noms et les portraits en noir et blanc des prisonniers politiques détenus en Russie. L’une présentait 38 prisonniers détenus dans les prisons en Crimée occupée et la seconde 61 emprisonnés en Russie. La plupart des prisonniers sont des Tatars de Crimée. Seuls 48 d’entre eux ont été jugés et le nombre d’années d’emprisonnement auxquelles ils ont été condamnés apparaît dans le cercle rouge à droite de leur portrait. Certains ont vu leur peine aller jusqu’à 19 années d’emprisonnement.
Plus d'une vingtaine d’autres, là encore majoritairement des Tatars de Crimée, sont assignés à résidence en Crimée ou soumis à une interdiction de quitter le territoire. Comme le précise l’infographie, il s’agit-là des prisonniers politiques recensés. Le nombre réel est probablement nettement plus élevé.
Le jour-même de la publication de ces cartes, le FEDEM s’est entretenu avec le président de l’association, Igor Kotelianets, depuis son bureau à Kiev. Igor explique que cette liste est le résultat du travail de différentes organisations de défense des droits de l'homme, qui grâce à une collaboration continue avec les familles et les juristes spécialisés dans les droits de l'homme, ont rassemblé les récits des arrestations et des détentions de ces hommes disparus.
Igor travaille avec l’association depuis sa création en 2016. Comme pour les 94 autres membres, un de ses proches est prisonnier politique. Son frère, Eugen Panov, a disparu le 6 août 2016 et il se sera écoulé plusieurs mois avant que lui et sa famille n’apprennent qu’il avait été capturé par les services secrets russes alors qu’il se trouvait en Crimée.
À l’époque, Eugen travaillait comme chauffeur pour la centrale nucléaire d’Energodar, dans l’Oblast de Zaporijia, dans le sud de l’Ukraine. Au moment de l’éclatement du conflit en 2014, Eugen avait formé un groupe de bénévoles pour défendre la ville contre les mercenaires russes et créé une ONG locale pour acheminer de la nourriture et des médicaments aux forces ukrainiennes dans les territoires occupés. En ce jour fatidique de 2016, il s’est rendu en Crimée à la demande d'un autre bénévole, pour aider une famille à quitter le territoire. Il fut immédiatement arrêté.
Il aura fallu attendre deux mois avant que la famille d’Eugen ait de ses nouvelles, et elles n’étaient pas bonnes. Une vidéo fut diffusée sur les médias grand public russes montrant Eugen terrifié, les yeux tuméfiés et le corps meurtri, lisant une déclaration dictée par ses ravisseurs dans laquelle il annonçait être accusé d’avoir mené des activités d’espionnage en Crimée en vue de perpétrer des opérations de sabotage sur le territoire.
« C’était clairement un geste politique », se rappelle Igor. « À travers cette vidéo, la Russie voulait discréditer l’Ukraine à l’échelle internationale et accusait le pays de prôner le terrorisme et le non-respect des obligations prévues par le droit international. »
Le 13 juillet, au terme du procès dit « des saboteurs ukrainiens », Eugen fut condamné à huit de réclusion dans une prison de sécurité maximale pour ses prétendues activités. Il fut ensuite transféré de Simferopol en Crimée à la célèbre prison de Lefortovo à Moscou, puis vers la colonie pénitentiaire n°6 de régime strict à Omsk.
Le calvaire vécu par Eugen au moment de son arrestation, puis pendant son incarcération est un sujet douloureux et difficile à évoquer. Il a été sauvagement torturé et souffre depuis de graves problèmes de santé. En prison, ses dents sont devenues noires au point de se désagréger, l’obligeant à endurer des maux de dents débilitants. Il aura fallu des mois à ces avocats pour lui obtenir l’accès à des soins dentaires.
L’association encourage les citoyens ukrainiens à écrire aux prisonniers et elle publie sur son site Web le nom et l’adresse de tous les détenus. Ces derniers n’ont droit qu’à un appel téléphonique par mois et dans le contexte de la pandémie de Covid-19 actuelle, les rares visites de la famille accordées par le passé sont désormais impossibles. Ils ont très peu de contact avec le monde extérieur et beaucoup se sentent abandonnés par leur famille et la société. Ces lettres sont vitales pour eux. Igor raconte comment son avocate, Vera Goncharova, à l’occasion d'une rare visite à Eugen, montra à ce dernier une page Facebook sur laquelle figuraient des centaines de messages et de vœux pour son anniversaire, lui qui se croyait oublié de tous.
Eugen fait partie des « chanceux ». Il fut libéré le 6 septembre 2019 à l’occasion d’un vaste échange de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine. Il est retourné vivre dans sa ville natale et a repris ses activités dans la vie politique locale.
Mais comme le constate amèrement Igor, ces échanges ne préfigurent en rien le règlement de la question des prisonniers politiques. « Il reste aujourd’hui presque autant d’Ukrainiens qui croupissent dans les geôles russes qu’avant. La Russie a beau avoir libéré des prisonniers emblématiques, nous devons encore nous battre pour les quelque 100 autres qu’il reste. C’est un combat difficile, mais nous ne renonçons pas », explique-t-il.
Si l’association fut à l’origine créée pour fournir aux familles des prisonniers une aide juridique et psychologique, le travail de sensibilisation et de plaidoyer fait aujourd'hui partie intégrante de ses activités. Elle collabore étroitement avec les divers ministères ukrainiens, défendant avec succès la création d’un nouveau département au sein du ministère ukrainien de la Réintégration des territoires temporairement occupés, chargé de traiter la question des prisonniers politiques. Elle a permis aux familles de prisonniers de rencontrer le président actuel (et le précédent) de l’Ukraine. L’association élabore des amendements législatifs pour améliorer l’aide sociale accordée aux familles et elle a joué un rôle actif dans la formulation d’une loi sur les crimes de guerre qui doit encore être soumise au Parlement et qui prévoit de donner le statut de prisonniers politiques aux victimes de l’agression russe, qui pourront dés lors prétendre aux garanties sociales qui leur sont réservées.
Les membres de l’association se sont par le passé rendus dans les capitales européennes et à Washington pour défendre la cause des prisonniers et demander leur libération. Ce travail de plaidoyer s’effectue désormais également en ligne et grâce à l’aide versée par le FEDEM, les membres ont organisé une conférence en ligne faisant la lumière sur le sort des prisonniers rendu encore plus indigne en période de Covid-19. De nombreux détenus sont décédés de la Covid-19 qui fait des ravages dans les centres pénitentiaires russes. Aucun test n’est effectué et aucun soin ne leur est prodigué.
En dépit des circonstances actuelles, il est important de maintenir le cap et de donner de la visibilité aux actions menées par l’association. Avec l’aide du FEDEM, Igor anime également une émission de radio hebdomadaire intitulée « Libérez nos proches » sur Hromadske Radio à Kiev, où il aborde des sujets tels que le premier projet de loi sur les crimes de guerre, s’entretient avec d’anciens prisonniers, comme Edem Bekirov, et parle de prisonniers en détention.
« Notre organisation est unique en son genre », précise Igor. « Nous ne sommes pas des professionnels. Nous sommes des individus ordinaires venant d’horizons différents mais animés par une cause commune. Nous aidons des prisonniers et leur famille à obtenir l’aide juridique et les prestations sociales auxquelles ils ont droit. Nous les aidons dans leur vie quotidienne. »
La force de l’association réside dans l’émotion et l’implication de ses membres, mais cela ne se fait pas sans mal. « Nous ne devons pas sous-estimer les risques que nous prenons à faire ce travail. Je le rappelle sans cesse aux membres, je leur dis de faire attention à eux. Je leur rappelle que leur famille a besoin d’eux et qu'ils doivent se préserver, qu’ils ne peuvent pas tout donner pour ce projet. »
Igor remercie sa femme et les psychologues professionnels pour leur soutien continu et pour l’avoir aidé à surmonter des moments extrêmement difficiles ces dernières années, une expérience partagée par d’autres membres. Quant à l’avenir, Igor s’est mis en quête de trouver la relève au sein de l’association, son mandat arrivant à expiration à la fin de l’année.