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Fourth Power

28 July 2020

Une nouvelle vie pour un journal satirique dans le paysage médiatique post-révolutionnaire de l’Armé

Fourth Power s’est bâti une solide réputation en Arménie pour son indépendance sans faille. Connu pour la qualité de ses analyses de l’actualité politique et sociale et pour son penchant pour la satire, le média est désormais disponible en ligne et au format papier.

Fourth Power est un « vieux de la vieille » sur la scène médiatique arménienne. Lancé au milieu des années 90 dans une Arménie fraîchement indépendante et peu de temps après la fin du conflit Nagorno-Karabakh, Fourth Power, fondé par Shogher Matevosyan, alors commerçante, avait pour ambition de donner une vision indépendante des événements, différenciée de cette des autres médias essentiellement placés sous la coupe des partis politiques. Shogher voulait participer à l’émergence de la culture de la société civile dans l’Arménie post-soviétique et Fourth Power était pour elle le moyen d’expression idéal.

Dans son entretien avec le FEDEM, Shogher reconnaît que le choix du nom était délibéré, voulant placer le journal sur un pied d’égalité avec les autorités. « Le journal était pour moi la quatrième branche du pouvoir qui demanderait des comptes au gouvernement », explique Shogher. À ce jour, Shogher reste une figure de proue du journal. Elle est directrice générale de l’ONG World Power qui dirige le média dont elle pilote la branche éditoriale et politique.

Depuis sa création, l’hebdomadaire s’est toujours distingué à la fois pour son analyse des événements politiques et sociaux en Arménie et pour son style créatif et satirique.

Un parcours semé d’embûches

Les premières années n’ont pas été un long fleuve tranquille, loin s’en faut ! La position farouchement indépendante de Fourth Power a valu au journal de nombreux heurts avec le régime politique, qui se sont traduits par des difficultés financières constantes, des entraves à sa distribution et des tentatives répétées pour lui faire mettre la clé sous la porte.

En 1998, les autorités publiques ont même engagé des poursuites pénales contre le journal. Les employés ont été convoqués par la police dans l’espoir qu’ils témoignent contre les rédacteurs et journalistes de Fourth Power, en vain, ils s’étaient tous refusés à le faire. Le journal a ensuite fait l’objet d'un contrôle fiscal qui a duré plusieurs mois. Les entreprises étaient sommées de ne plus acheter d’encarts publicitaires au journal et celles qui ont bravé l’interdiction en ont fait les frais et ont dû subir les représailles des autorités. Depuis lors, Fourth Power doit sa survie aux dons et aux faibles revenus tirés de la vente du journal.

Ce moment marque le début d'une campagne acharnée contre le journal et ses journalistes qui se traduit par de brutales agressions physiques à l’encontre de journalistes, souvent perpétrées par des fonctionnaires du service national de sécurité et du ministère de la Défense et de la Police. Les locaux du journal ont également essuyé plusieurs tentatives d’incendie criminel.

En 2008, le journal s’est vu contraint de fermer provisoirement lorsque, après les élections présidentielles, le président alors en poste, Robert Kocharyan, avait déclaré l’état d’urgence, interdisant les rassemblements publics et imposant une censure à tous les médias papier et ligne qui ne pouvaient alors que couvrir les sujets choisis par l’État et publier des informations soigneusement triées par ses soins. L’année suivante, le journal a dû à nouveau fermer suite à de nouvelles poursuites pénales engagés à son encontre, et il est revenu sous un nouveau nom : Fourth Self Power.

Révolution de velours ou un nouveau départ pour Fourth Power

Dans les mois précédant la Révolution de velours de 2018, l’équipe avait lancé un nouveau site Web, Hayastan 24 (ou Arménie 24), dont les émissions hebdomadaires passaient au crible la couverture télévisée de l’actualité et mettaient à nu les fausses informations. L’aide versée par le FEDEM est arrivée à point nommé pour la nouvelle plateforme, permettant de maintenir les effectifs de l’équipe de Fourth Power dans un moment très difficile.

C’est au cours de la révolution de 2018 et de ses manifestations massives contre la corruption du parti politique au pouvoir de Serge Sargsyan que fut nommé un nouveau premier ministre favorable aux réformes, Nikol Pashinyan. C’est également là que de nombreux amis de Fourth Power, membres du mouvement de l’opposition, sont entrés au gouvernement.

En cette période post-révolutionnaire, le soutien du FEDEM a permis à Shogher et à ses collègues de relancer Fourth Power au double format, papier et numérique. Pour Shogher, le journal est encore plus important en cette nouvelle ère post-révolutionnaire : « Nous tenions à ce que l’esprit de la révolution de 2018 reste palpable. Certaines des réformes démocratiques qui ont été promises tardent à être adoptées. Il arrive que le gouvernement prenne des décisions discutables. Nous gardons un œil critique sur les actions du gouvernement et nous les dénonçons lorsque cela le justifie, mais c’est un exercice d’équilibre délicat car de toute évidence, il y a des améliorations. »

Sous cette nouvelle forme, Fourth Power marche très bien. Outre son site Web, le journal possède également une page Facebook très suivie sur laquelle sont postés les articles publiés sur le site. Comme le fait remarquer Shogher, de nombreux lecteurs partagent leurs récits sur notre réseau social, récits qui sont ensuite souvent repris et publiés par d’autres médias.

Si Fourth Power s’est adapté au paysage médiatique actuel, l’intégrité analytique qui anime l’équipe de journalistes reste inchangée. « La plupart des médias couvrent les événements et la politique. Ils sont comme des agences de presse, ils relaient l’information là où elle se trouve. Il y a très peu d’analyse sociale ou politique sérieuse en Arménie, et c’est sur ce créneau que nous intervenons. Nous abordons des sujets importants pour le pays, comme la nouvelle constitution introduite par le précédent gouvernement en 2015 et dont a hérité le gouvernement actuel, les réformes environnementales et agricoles, l’agenda en matière de lutte contre la corruption et nous restons très attentifs à l’action du gouvernement et de ses ministères », confie Shogher.

La plateforme jouit d’un lectorat très varié dans tout le pays. De par sa double déclinaison, papier et numérique, elle touche également le monde rural et les plus vieilles générations qui sont moins enclins à consommer de l’actualité en ligne. Aujourd'hui, l’édition numérique est lue chaque jour par près de 7 000 internautes et l’édition hebdomadaire du journal papier est distribuée dans tout le pays.

Les journalistes et membres de l’équipe éditoriale de Fourth Power sont des personnalités connues en Arménie et il n’est pas rare de les voir participer à des émissions télévisées. Comme le précise Shogher, la plupart des membres de l’équipe travaillent pour le journal depuis plus de 15 ans, et l’un d’eux, même, est présent depuis le tout début. « Nous partageons tous les mêmes valeurs et avons la même vision du rôle des médias dans la continuité et dans l’esprit de la révolution », insiste-t-elle.
Elle remercie le FEDEM pour son aide, reconnaissant que celle-ci est arrivée à un moment critique pour l’équipe de Fourth Power. « Nous n’avions à l’époque aucune ressource financière. Nous ne savions pas comment nous allions tenir », admet Shogher.

Les presses au repos pendant la Covid-19

La crise liée à la pandémie de Covid-19 s’est fait ressentir sur le journal ces derniers mois. L’équipe a dû cesser de publier la version papier alors que le pays était confiné. Pendant une courte durée, aussi, le lectorat du site a connu un déclin, les lecteurs étant alors en quête d’informations brutes et rapides sur le coronavirus, mais le nombre est à nouveau à la hausse et la situation commence à redevenir normale. Pour Shogher, la pandémie est une indication supplémentaire de l’absence dangereuse de pensée critique dans la population en général, remarquant, non sans effroi, à quel point les fausses informations étaient nombreuses. Elle reste convaincue que Fourth Power continue de jouer un rôle crucial dans l’éducation des citoyens afin de leur apprendre à être plus avisés en matière de médias.

Aujourd’hui, Shogher et son équipe sont tournés vers l’avenir. Ils aimeraient générer plus de revenus à travers la publicité même si le contrôle exercé par le gouvernement dans ce domaine rend les perspectives plutôt faibles. Des éléments plus interactifs sont actuellement ajoutés au site Web, notamment du contenu vidéo, des collages photos avec voix-off et des caricatures interactives pour attirer les lecteurs plus jeunes.

Shogher reste optimiste. « Pendant des années, les forces du gouvernement ont maintenu la société civile muselée. C’est en train de changer. Je suis convaincue que nous avons aujourd'hui l’occasion de rendre notre pays plus démocratique. Je veux que Fourth Power participe à cette transition et à la formation d’une société au mode de pensée logique et critique, une société capable de se battre pour ses droits. »