Tbilisi Pride
27 July 2020Engager le dialogue avec le public sur les droits des personnes LGBT en Géorgie
En plaçant un drapeau arc-en-ciel devant la fenêtre, à l’extérieur de leur bureau au troisième étage, Giorgi Tabagari et ses collègues de Tbilisi Pride s’attendaient à susciter de vives réactions. Mais pas d'une telle ampleur. Dans un premier temps, le drapeau fut dérobé. Qu’à ce ne tienne, le malheureux fut rapidement remplacé par un autre, fixé au balcon. De la peinture noire a alors été déversée sur le drapeau et sur le bâtiment, tandis que des groupes homophobes ont commencé à se réunir chaque jour sous les fenêtres du bureau.
« Ils formaient deux files de part et d’autre de la porte de l’immeuble, tel un « couloir de la honte » et chaque matin nous devions passer devant eux pour nous rendre à notre travail, sous une pluie d'insultes », relate Giorgi lors d'un entretien avec le FEDEM depuis le siège de l’organisation, à Tbilisi. « Imaginez des gens qui vous hurlent dessus chaque jour quand vous arrivez ou quittez votre travail. Voilà ce que nous vivons ici, au quotidien. »
Environnement hostile pour la communauté LGBT
La Géorgie offre un environnement peu enviable aux membres de la communauté homosexuelle, même si la situation est pire dans les pays voisins. Un sondage réalisé en 2018 a révélé que seul un géorgien sur quatre était sensible à la protection des droits des personnes LGBT.
Les événements du 17 mai 2013 resteront gravés dans la mémoire collective de la communauté. Ce jour-là, un petit groupe de militants LGBT qui célébrait la Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie a été violemment agressé par des participants à une importante manifestation extrême-droite menée par des prêtres issus de la branche ultra conservatrice de l’église orthodoxe géorgienne. Les agresseurs ont franchi les cordons de sécurité de la police et lancé des pierres et des œufs aux défenseurs des droits des homosexuels. Sans la prompte intervention de la police qui a embarqué les agresseurs dans un bus situé à proximité, tous les éléments étaient réunis pour que la situation se solde par une tragédie. Douze personnes ont été hospitalisées après cette violente attaque, dont trois officiers de police.
Tbilisi Pride a été créé au début de l’année 2019, lorsque l’idée germa dans l’esprit d'une poignée de militants d’organiser la toute première Marche des fiertés en Géorgie. Une vingtaine de personnes à peine prit part à cette première parade de 30 minutes à travers la ville, un événement qui aura nécessité des mois de préparation et valu à ses organisateurs plusieurs menaces de mort. Mais si cette timide manifestation a eu un avantage, c’est qu’il a été l’élément déclencheur qui a donné lieu à une discussion publique sur les droits des personnes LGBT en Géorgie.
Un an plus tard, Tbilisi Pride est une structure mieux établie dans le pays. Ses membres ont eu l’occasion de rencontrer les représentants de tous les plus grands partis politiques. Cette année et pour la première fois, quatre partis politiques ont fait des déclarations officielles pro-LGBT à l’occasion de la Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. « Je n’irais pas jusqu’à dire que le gouvernement et l’opposition dans leur globalité nous soutiennent », reconnaît Giorgi, « mais de plus en plus de représentants politiques condamnent les actes de violence motivés par l’orientation sexuelle et l’identité de genre. »
La prochaine étape pour Tbilisi Pride, est une collaboration avec les partis politiques à l’occasion des élections législatives prévues cet automne. Ils espèrent qu’une déclaration commune d’intention sera signée par les principaux partis politiques pro-occidentaux sur les droits des personnes LGBT. Ils veulent également empêcher les partis extrémistes de diaboliser les questions relatives à ce sujet. Dans le passé, ces partis ont souvent présenté la question des droits des homosexuels comme une invention de l’Occident exportée vers notre pays et le signe d'une décadence, l’utilisant comme un épouvantail pour gagner des voix.
Célébrations du 17 mai en période de confinement
À ce jour, la Géorgie est parvenue à éviter le pire de la pandémie de Covid-19. Le confinement officiel a pris fin le 22 mai, même si certaines restrictions restent en vigueur.
L’équipe de Tbilisi Pride a repris le chemin du bureau depuis un moment, mais au 17 mai, l'une des journées les plus importantes pour la communauté homosexuelle du monde entier, le confinement était encore de mise. « La Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie est une date charnière dans l’histoire des homosexuels de Géorgie, surtout après les événements de 2013. Avec l’arrivée de la pandémie, nous avons compris qu'il fallait nous adapter à la situation et réagir », se rappelle Giorgi.
Début mai, le groupe a conçu des masques de protection à l’effigie de Tbilisi Pride et en a distribué près de 600 aux membres de la communauté et militants. Les masques ont été un grand succès sur les réseaux sociaux, tout comme les cadres Tbilisi Pride pour photos de profil. L’équipe a ensuite invité ses sympathisants à accrocher un drapeau arc-en-ciel à leur balcon. Selon les estimations de Tbilisi Pride, une centaine de drapeaux a ainsi flotté sur toute la ville. C’est à cette occasion que le drapeau du bureau de Tbilisi Pride a été vandalisé.
La campagne a atteint son point culminant avec un événement en ligne le 17 mai auquel ont participé des membres de la communauté, des militants de la société civile, des représentants politiques et des membres prestigieux de la communauté internationale, à l'image de Dunja Mijatovic, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. « D’une certaine façon, le confinement a joué en notre faveur. Jamais nous n’aurions pu espérer voir ces intervenants de haut vol participer en personne à notre événement. Nous avons réussi à faire de ce défi une opportunité », se réjouit Giorgi.
Tbilisi Pride a également formé un partenariat avec sept plateformes médias, y compris les principaux réseaux de chaînes de télévision et le partenaire du FEDEM, Publika, qui ont permis une vaste couverture de cet événement tout au long de la semaine. Selon les estimations, quelque 120 000 personnes ont suivi la manifestation en ligne.
Si la tentative d’amener le maire de Tbilisi, Kakha Kaladze, à illuminer la tour de télévision de la ville aux couleurs de l’arc-en-ciel n’a pas abouti, les militants ne peuvent que se réjouir de l’attention que cet événement a suscitée et des débats publics sur les droits des personnes LGBT+ qu’il a suscités.
Cette année, les activités de Tbilisi Pride pour le mois des fiertés ont été par la force des choses relativement modestes, les grands rassemblements étant interdits en Géorgie. L’équipe a lancé une campagne artistique, disséminant des pochoirs et de l’art urbain pro-LGBT dans toute la ville. Elle prévoit de lancer un talk-show en ligne sur des sujets variés, comme la visibilité de la communauté, l’instrumentalisation de la question LGBT par les politiques ou encore la relation entre l’homosexualité et la religion et la culture géorgienne.
Les membres de l’équipe sont également les protagonistes d’un documentaire réalisé par des cinéastes britanniques qui les ont suivis l’an passé pendant les préparatifs de la première Tbilisi Pride.
« Le film, qui sera certainement diffusé en ligne en raison de la pandémie, relate fidèlement les épreuves que nous avons endurées et les obstacles que nous avons dû surmonter. Nous espérons qu’il nous permettra de toucher un plus vaste public, de nous rendre plus visibles et de sensibiliser la population sur ce qu’est la vie des homosexuels en Géorgie », conclut Giorgi.