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Ucha Nanuashvili

22 June 2020

Surveiller la Covid-19 en Ossétie du Sud et en Abkhazie

Ucha Nanuashvili, ancien médiateur de la Géorgie, a fondé un groupe de réflexion sur les politiques publiques axé particulièrement sur les droits de l’homme dans les territoires occupés et sur les réformes politique et judiciaire destinées à consolider la démocratie, la responsabilité et la bonne gouvernance.

Ucha Nanuashvili

Ucha Nanuashvili est un acteur de longue date de la société civile géorgienne. Après avoir été médiateur de la Géorgie de 2012 à 2017, il a fondé le Centre géorgien des droits de l'homme et cordonné la Maison des droits de l'homme Tbilisi qui fait partie du réseau de défense des droits de l'homme du Caucase du Sud. M. Nanuashvili a également été membre du comité directeur du Forum de la société civile du Partenariat oriental.

Son dernier projet en date, Democracy Research Institute (DRI), est un groupe de réflexion sur les politiques publiques axé sur la défense des droits de l’homme et les libertés fondamentales, et sur l’instauration d’un système de gouvernance responsable en Géorgie. Le DRI s’intéresse également aux régions séparatistes que sont l’Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui sont sous le contrôle des Russes et dont l’accès est lourdement restreint.

Depuis sa création en 2018, le DRI a mené à bien plusieurs projets sur les droits de l’homme, la lutte contre la radicalisation et les réformes. Avec le soutien du FEDEM, M. Nanuashvili et son équipe surveillent la situation relative aux droits de l’homme en Ossétie du Sud et Abkhazie grâce à un réseau de contacts dans les régions qui leur permet de combler l’absence totale d'informations sur ces deux territoires occupés.

Covid-19 et territoires occupés

Dans des circonstances normales, il est difficile d’entrer en Ossétie du Sud et en Abkhazie, mais en mars, les deux territoires séparatistes ont rendu leurs frontières avec la Géorgie totalement hermétiques pour éviter la propagation de la Covid-19. Cette situation fait suite à une période turbulente de 2019 qui a vu les frontières se fermer pendant plusieurs mois, tout d’abord suite à l’éclatement de manifestations à Tbilisi l’été dernier, puis en raison des désaccords entre Tbilisi et les autorités d’Ossétie du Sud au sujet d’un poste de contrôle dans le village de Chorchana, discorde qui a déclenché la plus grave crise depuis 2008.

Les deux régions d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie sont coupées de la Géorgie et du reste de la communauté internationale, une situation qui expose les populations à une crise sanitaire dans le contexte de la pandémie de Covid-19. « Le poste de contrôle d’Akhalgori est fermé depuis septembre et la région est totalement isolée, non seulement de la Géorgie mais aussi de l’Ossétie du Sud », prévient Nanuashvili. « Il n’y a pas de réel système de santé à Akhalgori, et ce double isolement pourrait se solder par une crise humanitaire. Nous souhaitons que le gouvernement géorgien apporte son aide. »

Tbilisi a ouvert un nouvel hôpital à un kilomètre du pont Enguri, le poste de contrôle situé entre la Géorgie et l’Abkhazie, pour administrer des soins médicaux de part et d’autre de la ligne de démarcation. Mais aucun projet de ce genre n’est prévu pour l’Ossétie du Sud, le plus petit et le moins développé des deux territoires.

Comme Akhalgori, le village d’Ergneti est en proie à des difficultés liées à l’isolement. Le DRI a tiré la sonnette d’alarme, alertant que l’absence de pharmacie à Ergneti ne permettait pas à ses habitants de se procurer des médicaments pendant l’état d’urgence. D’ailleurs, se procurer ne serait-ce que du pain relevait du véritable miracle.

En date du 9 juin, il y aurait 57 cas confirmés de Covid-19 en Ossétie du Sud, et, selon un rapport du DRI, la population ne respecte pas les règles de distanciation sociale. Le gouvernement de facto refuse l’assistance de l’OMS.

Pendant la pandémie, les informations parvenues au DRI à travers des partenaires présents dans les territoires occupés soulignent l’absence de soins médicaux adaptés. Mais les difficultés ne se limitent pas à cet aspect pour les habitants d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en particulier pour les Géorgiens qui sont restés vivre là-bas après la guerre des années 1990.

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Le travail du DRI en Ossétie du Sud et Abkhazie

La libre circulation de la population est un problème majeur. Les fermetures arbitraires des points de passage opérationnels de la ligne de démarcation administrative par les autorités de facto nuisent grandement à l’économie locale qui dépend des échanges avec le territoire contrôlé par Tbilissi le plus proche. De nombreux habitants d’Ossétie du Sud ou d’Abkhazie franchissaient auparavant régulièrement la ligne de démarcation pour recevoir des soins médicaux dans le territoire contrôlé par Tbilissi, même avant la pandémie. En décembre dernier, l’arrestation par les autorités ossètes du docteur Vazha Gaprindashvili pour franchissement illégal de la frontière afin de se rendre auprès d'un patient dans le territoire occupé, a suscité l’indignation en Géorgie.

Par ailleurs, les autorités de facto repoussent toujours plus la ligne de démarcation dans le territoire contrôlé par Tbilisi, une stratégie désignée par le terme de « borderisation » qui consiste à mettre en place une frontière physique plus dure, qui, combinée à une militarisation accrue dans les territoires occupés, pèse lourdement sur les droits de l’homme et la vie quotidienne de la population locale, explique Nanuashvili.
Les Géorgiens vivant dans les territoires occupés se voient également privés de scolarité dans leur langue maternelle, le système éducatif étant en russe et de piètre qualité.

À ce jour, le DRI est la seule ONG parmi les acteurs intervenant dans les territoires occupés, à bénéficier d’un aussi vaste réseau de contacts locaux. En organisant des tables rondes et autres événements favorisant l’information, l’institut s’efforce d’informer les habitants et le gouvernement géorgiens, ainsi que l’Union européenne et les autres organisations internationales, de ce qu’est la vie en Ossétie du Sud.

Lutter contre la radicalisation et encourager la réforme en matière de sécurité

Les activités du DRI ne se limitent pas à la surveillance des territoires occupés. Le champ d’action de l’institut est relativement varié puisqu'il s’intéresse également au phénomène de radicalisation de l’extrême droite et formule des recommandations politiques au gouvernement sur les réformes à mener.

En matière de lutte contre la radicalisation, l’institut reste à l’affût des événements organisés par les groupes d’extrême droite et leurs activités sur les réseaux sociaux et suit de près les groupes et leurs dirigeants. La montée de l’extrême droite en Géorgie suit une tendance mondiale qui s’est particulièrement manifestée l’an passé quand l’organisation de la première marche des fiertés LGBT du pays a donné lieu à une forte contestation et à des menaces violentes de la part de groupes ultra conservateurs. Pendant la crise de la Covid-19, le DRI s’est également intéressé à la manière dont les groupes d’extrême droite ont profité de la pandémie pour diffuser des fausses informations et des théories conspiratrices anti-occidentales sur les réseaux sociaux.

Le DRI étudie par ailleurs les meilleures pratiques en matière de sécurité de différents pays européens afin de formuler des recommandations au gouvernement géorgien. Selon Nanuashvili, le service de sécurité est trop politisé et trop proche du bureau du procureur général. Il préconise la création d’un organe indépendant chargé de traiter les affaires de corruption et d'un service de sécurité indépendant placé sous le contrôle parlementaire et public.

Le DRI est également spécialisé dans le système juridique pour les mineurs. Il offre une aide juridique gratuite, ainsi qu’une assistance psychologique aux jeunes mineurs et à leur famille et dispense des formations aux juristes et avocats.

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La Géorgie en temps de confinement

Avec le confinement décrété en mars, M. Nanuashvili a poursuivi ses activités à distance. Les formations ont été repoussées, les consultations juridiques ont été assurées en ligne et le DRI a poursuivi son travail de recherche et d’information. L’institut a également lancé un nouveau projet de diffusion d’informations sur la Covid-19 traduites en différentes langues destinées aux minorités ethniques vivant en Géorgie. Les membres du DRI ont endossé le rôle de gendarme des actions des pouvoirs publics pendant la crise, faisant de régulières apparitions sur les plateaux de télévision afin d’aborder l’état d’urgence et les droits de l’homme dans ce contexte.

D’ailleurs le DRI n’a pas manqué de s’opposer à un projet de loi permettant au gouvernement de restreindre le droit de circulation et de rassemblement, une mesure officiellement destinée à lutter contre la pandémie mais qui pourrait, à terme, donner lieu à des abus de pouvoir de la part des organismes gouvernementaux. « Nous avons vivement critiqué ce projet et exigé du gouvernement qu’il le présente plus en détail », précise Nanuashvili. Malgré cette opposition, le Parlement a approuvé cette loi.

Globalement, selon les dires de Nanuashvili, le gouvernement géorgien a été relativement efficace dans sa gestion de la pandémie de Covid-19. Avec seulement 818 cas confirmés et 13 décès, la Géorgie s’en est nettement mieux tirée que ses voisins, et l’ordre de confinement qui a duré deux mois, fut levé le 22 mai. Mais le pays change. « Depuis juin 2019, la Géorgie n’est plus le même pays », prévient Nanuashvili.

L’été dernier est né un mouvement de protestation suite aux tirs de balles en caoutchouc ordonnés par le gouvernement contre des manifestants venus protester contre la présence d’un député russe au parlement géorgien. Depuis, le parti Rêve géorgien au pouvoir s’est octroyé encore plus de pouvoir et possède désormais le quasi-monopole non seulement dans la sphère politique mais également dans les médias grand public, ce qui ne manquera pas d’être un avantage certain pour obtenir la majorité aux élections législatives de cette année. Comme le dit Nanuashvili, dans les circonstances actuelles, « tout est possible. »