Jovana Radosavljević
27 May 2020Promouvoir le dialogue parmi les communautés du Kosovo
Une jeune femme, rentrée au pays, est à l’origine d'une initiative qui vise à encourager la participation citoyenne, à favoriser le dialogue et la normalisation des relations au sein du Kosovo et à revenir sur les événements passés. L’initiative anime plusieurs e-plateformes dans le nord du Kosovo, permettant aux populations locales d’avoir accès aux informations utiles sur les services municipaux.
Jovana Radosavljević a grandi à Leposavić, l’une des quatre villes du Kosovo* dont la population est majoritairement serbe. Elle n’avait que dix ans au début du conflit en 1999, trop jeune pour comprendre véritablement les événements.
Elle a, cependant, eu plus de chances que les autres enfants. Leposavić se trouvant dans les montagnes, juchée à la pointe nord du Kosovo, la ville a été quelque-peu épargnée par le conflit. La situation a toutefois évolué par la suite, et les tensions et la présence internationale qui ont suivi se sont ensuite fait profondément ressentir.
La jeune Jovana a fait ses premiers pas dans la société civile alors qu’elle était encore scolarisée, travaillant pour une organisation pour la jeunesse à Leposavić.
Traverser des océans et traverser des ponts
Une opportunité qui allait changer sa vie s’est alors présentée, celle d’aller suivre les deux dernières années de lycée aux États-Unis, dans un pensionnat Quaker, dans l’état de l’Ohio. « Jusque-là, j’avais toujours vécu dans un environnement mono-ethnique aux concepts très homogènes et dont l’ordre des choses établi ne tolérait aucune remise en question », explique Jovana. « Dans l’Ohio, c’était tout l’inverse et j’ai pu m’ouvrir au monde. »
S’en sont ensuivies des études en sciences politiques dans la dynamique capitale serbe de Belgrade. « Mais même là, je savais que je reviendrais », commente-t-elle.
Pendant les élections de 2013 et de 2014 au Kosovo, Jovana a travaillé pour des missions d'observation électorale de l’UE, d’abord en tant qu'interprète dans la ville divisée de Mitrovica (à majorité serbe au Nord et à majorité albanaise au Sud, terrain de nombreuses tensions et d’incidents inter-ethniques) pendant les élections municipales, puis pour les élections législatives en tant qu’assistante de l’analyste politique de la mission à Pristina.
Bien qu’elle eût traversé l’Atlantique à plusieurs reprises, c’était la première fois depuis le conflit, que Jovana foulait le sol de la capitale du Kosovo, pourtant située à une heure de route à peine de Mitrovica.
Home sweet home
Ayant obtenu une place dans un programme financé par les États-Unis, Jovana est partie passer son Master en résolution des conflits et développement international à Denver, Colorado. À ce stade, malgré le confort de la vie aux États-Unis où « il était très facile de s’habituer à vivre dans un système qui fonctionne », elle savait déjà qu’elle retournerait vivre dans son pays d’origine. « Je connaissais parfaitement le Kosovo, je savais que je serais très utile là-bas », explique-t-elle.
De retour des États-Unis, Jovana a co-fondé New Social Initiative (NSI), un groupe de réflexion dont le travail est axé sur la communauté et qui cherche à combler un fossé dans la société civile serbo-kosovar, qui, à son sens, a cruellement manqué d’innovation et a stagné durant les deux décennies qui ont suivi le conflit.
Jovana et ses co-fondateurs avaient tous une chose en commun : ils avaient fait l’expérience de l’étranger et étaient habités par le désir d’inscrire les valeurs démocratiques occidentales dans leur communauté. Paradoxalement, ironise Jovana, ce sont souvent ceux qui ont vécu à l’étranger qui veulent revenir au pays, tandis que les jeunes diplômés serbo-kosovar s’exilent pour aller travailler à Belgrade ou ailleurs.
NSI intervient dans trois principaux domaines : la participation citoyenne, le dialogue et la normalisation des relations, et enfin les évènements passés. Ce dernier aspect revêt une importance particulière pour Jovana, étant elle-même membre de l’équipe chargée des préparatifs pour la Commission pour la vérité et la réconciliation.
« Nous ne voulons pas trop nous éparpiller, avoue Jovana qui estime que trop souvent les organisations de la société civile au Kosovo se plient aux préférences des bailleurs de fonds au lieu d’établir elles-mêmes leur programme. Le FEDEM aide NSI à s’établir en tant que solide organisation professionnelle, grâce à un financement de base destiné à asseoir l’activité de l’organisation, à ouvrir un bureau et à développer les ressources humaines, avec des formations prévues en albanais et en anglais.
Actuellement NSI anime cinq plateformes en ligne, une dans chacune des quatre municipalités du Nord, ainsi qu’un forum pour l’instauration de la confiance dans tout le Kosovo, lancé en partenariat avec la mission UN au Kosovo.
Les plateformes d’e-municipalités comblent un terrible fossé de l’information. En effet, les municipalités n’étant pas pleinement intégrées dans le système centralisé national, les citoyens sont souvent dans l’incapacité d’obtenir les informations utiles sur les services publics. L’initiative assure également un service de réponse sous 48 heures à travers lequel les citoyens peuvent signaler des problèmes via le site Web, que NSI répercute aux autorités locales.
C’est une solution temporaire mais elle trouve un écho favorable auprès des municipalités qui prévoient d’intégrer la solution de NSI une fois leur site Web officiel opérationnel.
Football et forums
Pour Jovana, l’un des domaines de prédilection de NSI qui lui tient particulièrement à cœur est une série de forums clos lancés suite à un match de football très controversé en 2018 opposant la Serbie à la Suisse, dont l’équipe nationale compte un grand nombre de joueurs d’origine albano-kosovar. Après avoir marqué le but de la victoire, un joueur de l’équipe suisse a mimé l'aigle à deux têtes, emblème de l'Albanie, geste qui a causé une vive émotion parmi les membres des deux groupes ethniques.
La discussion organisée par NSI a réuni à Mitrovica d'importants journalistes, faiseurs d'opinion et acteurs de la société civile des deux parties afin que chacun puisse exprimer son ressenti après cet incident.
« C’est le genre d'intervention que l’on avait l’habitude de faire dans mon pensionnat Quaker », plaisante Jovana. Et c’est une formule qui semble porter ses fruits puisque NSI a depuis organisé plusieurs autres discussions de ce genre, y compris sur la récente crise gouvernementale et sur les mesures mises en place face à la Covid-19.
Les quatre dernières années ont été un processus d'apprentissage exigeant, mais d’après Jovana, des changements positifs ont été opérés au Kosovo. Son travail la fait désormais voyager en dehors de Pristina et dans tout le pays, un changement énorme par rapport aux premières années post-conflit. « J’ai l’impression que l’Histoire est en train de s’écrire juste devant mes yeux », déclare-t-elle. « Tant que j’en aurai l’énergie, ma place sera ici. »
* Toutes les références au terme Kosovo dans le présent article sont entendues sans préjudice de la position concernant le statut du Kosovo et conformément à la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies et à l’avis de la CJI sur la déclaration d'indépendance du Kosovo.