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Anna Nikoghosyan

20 May 2020

La co-fondatrice de FemHouse a créé un espace où militants, universitaires et artistes peuvent se re

Une jeune femme est au cœur d'une initiative destinée à ouvrir un espace dans lequel les femmes, les homosexuels et les transsexuels sont libres de se retrouver et d'imaginer leurs propres réalités. C'est une cause difficile à défendre en Arménie, où le discours hétéro-normatif règne en maître. Récemment, FemHouse a dû, pour la troisième fois de sa courte existence, se trouver un autre toit.

Anna Nikoghosyan

Anna Nikoghosyan, co-fondatrice de FemHouse, une association établie à Erevan, est depuis longtemps engagée dans les mouvements de défense des féministes et homosexuels. Mais c'est son Master en Genre, Sexualité et Culture qu'elle a pu suivre à l'université de Manchester grâce à la prestigieuse bourse Chevening financée par le Ministère britannique des Affaires Étrangères et du Commonwealth, qui a fini de la convaincre de la nécessité de transférer toutes ses connaissances vers son pays natal, l'Arménie.

« Je me savais tellement privilégiée d'étudier un sujet qui me tenait tant à cœur et de participer à des débats et des conversations si riches, mais j'étais dans le même temps très triste de constater que ce genre de conversations était rare dans mon pays. Quand je me rendais dans les bibliothèques de Manchester, j'étais frappée de voir des centaines d'éminents ouvrages traiter du féminisme et des études réalisées sur l’homosexualité. C'est là que j'ai décidé qu'il me fallait trouver le moyen de rapatrier tout ce savoir et ces livres chez moi », explique Anna.

Anna s'est alors adressée à l'une de ses professeurs pour solliciter son aide. Celle-ci a immédiatement accepté de lui faire don de deux valises pleines de livres et avec ce qu'elle avait pu économiser de sa bourse, Anna fit l'acquisition de nombreux autres ouvrages. « Dès que j'ai remis ma thèse de Master, je suis rentrée en avion avec toutes mes valises de livres. J'ai pu payer les bagages excédentaires avec le peu d'argent qu'il me restait. Je n'avais quasiment aucune affaire personnelle », se souvient Anna.

D’une bibliothèque nichée dans un appartement à un centre pour les femmes

La première FemLibrary est née dans la chambre d’amis de l’appartement d’Anna à Erevan. Anna s’est rapidement mise à enrichir sa collection, organisant une campagne de financement participatif pour lever des fonds, une initiative qui a largement dépassé tous ses espoirs. « Nous avons très vite reçu des livres et des lettres du monde entier », raconte Anna. La bibliothèque compte aujourd’hui plus de 800 ouvrages et 600 revues sur le féminisme et la question gay, sans compter ses archives électroniques très fournies.

Anna qualifie d’organique l’établissement de FemHouse qui a succédé à la FemLibrary en 2018. Lors de discussions avec une amie artiste et co-militante féministe, Arpi Balyan, cette dernière a eu maintes occasions de décrire sa vision d’un espace artistique et les deux femmes décidèrent d’unir leurs forces pour fonder ce centre communautaire féministe. Une troisième force vive, Armine Karapetyan, a ensuite rejoint les deux femmes.

« Notre ambition était de créer un espace où militants, universitaires et artistes pourraient se retrouver afin de repenser les réalités féministes. Nous voulions donner vie à un espace de co-working propice à l’émergence de nouvelles idées et qui mettrait à disposition des ressources que les personnes ou groupes pourraient utiliser dans leur travail militant et artistique. L’idée est de s’affranchir des structures oppressives hétéro-normatives de notre société et de ré-imaginer un monde où les femmes, les homosexuels et les transsexuels seraient libres et capables d’imaginer leurs propres réalités, à leur manière », explique Anna.

FemHouse Body

Un centre féministe dans un pays patriarcal

Obtenir des financements pour FemHouse s’est révélé être une tâche ardue dans un premier temps. L’initiative était jugée trop académique par les bailleurs de fonds et trop inédite par d’autres. Beaucoup ont été échaudés par son accent sur le féminisme et les théories et les droits des homosexuels, un sujet très sensible en Arménie qui reste un pays ancré dans une culture fortement patriarcale et traditionnelle. Les défendeurs des droits de l’homme qui interviennent dans ce domaine font régulièrement l’objet d’intimidations par des groupes d’extrême droite. Cette situation a empiré depuis la Révolution de velours de 2018, les opposants cherchant à discréditer le gouvernement actuel dirigé par le Premier ministre Nikol Pashinyan jugé trop tolérant.

Anna remarque avec tristesse que si certaines femmes réussissent très bien dans le pays aujourd'hui, cela ne reflète pas la réalité d'une société où la femme est systématiquement discriminée dans tous les aspects de la vie, à savoir dans les domaines politique, économique, social et culturel et où elle est le plus souvent confinée aux rôles traditionnels de la famille. La situation est pire encore pour les homosexuels qui subissent une très forte discrimination dans tous les domaines, victimes d’attitudes homophobes et transphobes très répandues dans le pays. Comme le fait remarquer Anna, les médias encouragent ces opinions hétéro-normatives, faisant eux-mêmes systématiquement appel à l’humour satirique pour stigmatiser dans leurs émissions locales les personnes qui ne sont pas comme les autres.

Actes d’intimidation et expulsions forcées

FemHouse a plusieurs fois fait les frais d’une telle intimidation dans sa courte vie. À la fin de l’année 2019, le collectif a dû déménager pour la troisième fois après avoir été expulsé de ses deux adresses précédentes.

Anna décrit l’expérience de leur première expulsion d’une maison individuelle dans le quartier universitaire de la ville comme traumatisante. « Juste avant notre expulsion, un groupe d’amis homosexuels a été pris à parti et frappé à coups de pierres dans un village voisin. Ce fut une expérience horrible pour nous tous. Après ce tragique événement, nous nous sommes réunis à la bibliothèque afin d’étudier la manière dont nous pouvions les aider et nous entraider. Nos voisins, qui ont reconnu l’un de nos amis, victime de cette brutale agression, ont contacté notre propriétaire, lui racontant que nous organisions des rassemblements homosexuels. Nous avons été immédiatement expulsés », rapporte Anna.

Après avoir rénové leur deuxième local, la même chose s’est produite, à la différence que cette fois-là, la police a été alertée sur les activités de l’association.
Grâce au soutien du FEDEM, FemHouse a maintenant emménagé dans son troisième local et les membres espèrent que cette fois, ils ne seront pas de sitôt délogés. L’association a également collecté plus de 12 000€ grâce à une autre campagne de financement participatif, dans le cadre du projet à long terme d’acquérir un local. Anna précise qu’il était prévu de lancer une importante campagne de collecte de fonds au printemps, mais pandémie oblige, ce projet a dû être reporté.

FemHouse Body2

FemHouse et Covid-19

Comme l’explique Anna, la situation pour de nombreux membres de la communauté FemHouse est particulièrement difficile actuellement, l’Arménie étant plongée dans le même confinement que les autres pays du monde. En ce moment, le collectif assure un soutien psychologique à ses membres.

« Nos membres homosexuels peuvent participer à nos séances de soutien psychologique en ligne. Je rappelle que nous sommes une communauté très fragile qui souffre déjà de nombreux problèmes mentaux et personnels. Les choses n’ont jamais été « normales » pour nous et les niveaux d’homophobie et de misogynie sont sensiblement plus élevés aujourd’hui qu’avant la Révolution. La situation n’a fait qu’empirer pendant le confinement dû à la Covid-19. Les niveaux de stress sont au plus haut actuellement dans la communauté homosexuelle, ses membres étant isolés les uns des autres et de notre collectif. Comme j’aimerais pouvoir les aider davantage », regrette Anna. Les membres peuvent compter sur des mesures d’aide d’urgence de la part d’autres groupes, comme Pink Armenia et cette idée réconforte quelque-peu Anna.

Le collectif organise également des clubs de lecture en ligne, dont l’un qui s'intéresse essentiellement à des textes féministes en langue anglaise et un autre qui porte sur des ouvrages en arménien. FemHouse s’efforce de toujours traduire en arménien les articles les plus intéressants et les critiques de livres pertinents.

Anna a bon espoir de voir le FemHouse rouvrir ses portes sous peu. Les membres espéraient organiser cet été un festival d’une semaine consacré aux questions de sexualité et d’homosexualité, et rouvrir leur cuisine communautaire financée par des dons.

« Nous devons maintenir en vie l’esprit collectif de notre groupe. Nous voulons continuer à encourager les discussions politiques et offrir un espace où les gens peuvent discuter de sujets qui leur tiennent à cœur, où ils peuvent être eux-mêmes, s’exprimer, s’informer, apprendre, se motiver et s’émanciper. »