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Irina Chernysh

5 March 2020

Une militante écologiste déterminée à lutter contre la pollution en Ukraine

Irina Chernysh n’est pas le genre de personne à accepter comme une fatalité les niveaux élevés de pollution dans sa ville natale, Dnipro. Après avoir contraint la direction de la centrale thermique de la ville à améliorer ses installations, Irina et son équipe de militants écologistes du mouvement SaveDnipro, armés de leur outil SaveEcoBot, sensibilisent les Ukrainiens et leur donnent les moyens de lutter pour un environnement plus propre.

Irina Chernysh Irina Chernysh

La pollution de l’air est une préoccupation majeure dans les régions fortement industrialisées du sud-est de l’Ukraine, en particulier dans les environs de la ville de Dnipro. Cette pollution a des effets néfastes sur l’environnement et l’écologie, et fait courir de graves risques de santé pour la population locale. Mais en Ukraine, il n’y a actuellement aucune législation exigeant la mesure des niveaux de pollution et il n’existe aucune donnée fiable sur les principaux indicateurs de pollution atmosphérique.

Irina Chernysh vit à Prydniprovsk, ancienne ville périphérique de Dnipro, désormais rattachée à la ville. C’est à Prydniprovsk qu’est implantée la centrale thermique Prydniprovska, filiale du groupe DTEK. Cette centrale compte parmi les plus vieilles d’Europe et certainement l’une des plus polluantes, émettant pas moins de 1 300 mcg/m3 de pollution atmosphérique, soit 20 fois la norme européenne de qualité de l’air ambiant. La ville de Prydniprovsk est souvent recouverte d’un épais brouillard de pollution et pendant les périodes particulièrement critiques de pollution, les habitants sont invités à ne pas sortir de chez eux.

Irina reconnaît que par le passé, elle ne s’était jamais vraiment sentie concernée par les questions environnementales et n’avais jamais pensé s’impliquer dans un mouvement de protestation, trop occupée qu’elle était à faire carrière dans le secteur de la banque. Comme la plupart de ses concitoyens, elle s’était tout simplement habituée aux niveaux élevés de pollution. Mais tout changea lorsqu’elle eut un fils et quand ce dernier, à l’image de nombreux enfants de la ville, était constamment malade, souffrant d’infections respiratoires et de bronchites à répétition.

Irina se rappelle, « En tant que maman, j’étais très inquiète. Je ne comprenais pas pourquoi mon fils était si souvent malade. J’en venais à me dire que c’était de ma faute. Et puis, un jour, en route vers mon travail après avoir déposé mon fils à la crèche, je remarquai qu’un épais nuage de fumée noire et âcre provenant de la centrale thermique survolait la crèche. J’ai immédiatement compris d’où venait le problème. »

« En tant que maman, j’étais très inquiète. Je ne comprenais pas pourquoi mon fils était si souvent malade. J’en venais à me dire que c’était de ma faute. Et puis, un jour, en route vers mon travail après avoir déposé mon fils à la crèche, je remarquai qu’un épais nuage de fumée noire et âcre provenant de la centrale thermique survolait la crèche. J’ai immédiatement compris d’où venait le problème. »

Irina se voit comme une idéaliste. Elle était convaincue qu’elle pourrait changer les choses et que l’information serait son plus meilleur allié et une arme efficace. Elle s’est alors mise en quête de toutes les informations disponibles sur la centrale Prydniprovska et sur les centrales thermiques en Ukraine et en Europe. Pendant un an et demi, elle a assisté à des conférences et séminaires sur l’environnement, elle a lu des rapports scientifiques, elle a étudié les questions environnementales et juridiques et elle s’est entretenue avec tous les experts possibles.

Elle a appris que la centrale thermique de DTEK fournissait à la ville la majorité de son électricité, ainsi que 20 % de la chaleur. Elle a appris que la centrale appartenait à l’un des oligarques les plus puissants d’Ukraine. Et elle a appris que pour toutes ces raisons, les autorités municipales et les représentants politiques locaux étaient peu enclins à prendre la moindre mesure. Elle a également appris l’existence d'une fenêtre d’opportunité unique permettant à la société civile de mettre la pression sur DTEK. En effet, les permis d’émissions industrielles sont délivrés tous les sept ans en Ukraine et l’heure était venue pour la centrale de renouveler sa demande de permis.

Le moment était venu d’agir. Elle a formé un groupe réunissant des personnes sensibles à cette question, des parents, comme elle, préoccupés par l’étant de santé de leurs enfants, et des professionnels issus de sphères très variées. Ils ont décidé de travailler ensemble afin de contraindre la centrale à réduire ses émissions polluantes et les autorités à prendre leurs responsabilités.

Ensemble, ils ont fondé le mouvement Save Dnipro et lancé une campagne de sensibilisation bien orchestrée. Ils ont manifesté, se sont entretenus à de nombreuses occasions avec la municipalité et la direction de la centrale, veillant à chaque fois à ce que leur intervention soit couverte par les médias locaux et nationaux. Ils ont fini par obliger la direction de la centrale à améliorer ses installations de purification de l’air, le premier filtre ayant été installé en décembre 2017, soit un an après le début de leur campagne. La centrale doit normalement procéder à d’autres améliorations dans les années à venir.

Save Dnipro fut la première grande victoire remportée par un groupe de militants écologistes en Ukraine et cette expérience fut très formatrice pour Irina et son équipe. « Ça a été la première initiative de défense environnementale menée avec succès en Ukraine au titre de la procédure européenne d’étude d’impact sur l’environnement désormais transposée dans le droit ukrainien. Nous avions énormément appris. Nous connaissions désormais le processus à suivre pour contraindre de grosses entreprises industrielles à améliorer leurs installations vieillissantes et polluantes. Nous connaissions la situation juridique et les documents à présenter. C’est donc tout naturellement que nous avons voulu en faire profiter d’autres personnes et les aider à faire de même. C’est alors qu’un membre de notre équipe, un informaticien, suggéra de créer une application afin de faciliter la tâche pour les autres. »

L’équipe de Save Dnipro s’est alors mise à l’œuvre pour développer une station de surveillance de la qualité de l’air, une application très conviviale qui permet aux bénévoles et militants environnementaux de contrôler la qualité de l’air dans leur ville. C’est ainsi qu’est né l’outil baptisé SaveEcoBot, un service gratuit de surveillance de la qualité de l’air qui compile des données en temps réel. Cet outil simple et convivial est devenu la pierre angulaire du premier réseau ukrainien décentralisé de surveillance publique de la qualité de l’air.

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Comme l’explique Irina, « SaveEcoBot est un outil laser qui mesure la pression, la température, l’humidité, la météo, ainsi que les particules fines dans l’air, les particules provenant des incendies, de l’activité industrielle, des gaz d’échappement, et les particules dures. Il est crucial de les mesurer car il s’agit de particules minuscules et invisibles, très nuisibles à la santé. Actuellement, ces paramètres ne sont pas mesurés en Ukraine et aucune information n’est disponible en ligne. »

L’application SaveEcoBot est désormais utilisée par plus de 13 000 personnes en Ukraine. Elle permet un suivi en temps réel de la pollution de l’air dans les villes de tout le pays et fournit un accès aux données environnementales recueillies par les agences gouvernementales nationales qui étaient jusque-là inaccessibles au public, notamment le détail des taxes écologiques payées par les entreprises, les permis d’émissions et des informations sur les licences de gestion des déchets dangereux. Les membres de l’équipe organisent régulièrement des réunions dans tout le pays pour apprendre à leurs concitoyens à utiliser l’application et font largement profiter les autres de leur expérience, donnant des conseils sur la manière d’amener les autorités locales et les pollueurs à opérer des changements positifs.

 En octobre dernier, la situation environnementale en Ukraine faisait une fois de plus les gros titres des médias, alors que Kiev et d’autres grandes villes industrielles au sud-est de la capitale suffoquaient dans un épais brouillard de pollution, suscitant une vive inquiétude parmi les populations. L'une des sources d’informations les plus fiables pour les médias et les experts était alors la plateforme SaveEcoBot qui représentait en temps réel les zones les plus polluées sur une carte de l’Ukraine. Pendant cette période, Irina et ses collègues ont accordé de nombreux entretiens aux médias, forçant le gouvernement à finalement admettre qu’il était face à un grave défi environnemental.

Save Dnipro diversifie désormais ses activités, englobant des problèmes environnementaux plus vastes. Après son travail de sensibilisation et d'information, l’équipe a récemment réussi à faire adopter des « Règles d’entretien des espaces verts publics » et un « Moratorium sur l’abattage des arbres » à Dnipro. Ayant intégré les groupes de travail du comité parlementaire et du gouvernement, l’équipe de l’association intervient également désormais dans l’action législative et l’élaboration des politiques environnementales. En 2019, SaveDnipro s’est vu remettre le prix Open Data Leader Award pour la promotion de données libres en Ukraine.

Naturellement, les succès de SaveDnipro ne sont pas du goût de tout le monde et l’initiative a été par le passé la cible de nombreuses attaques en ligne et de campagnes de dénigrement médiatiques, et si Irina et ses collègues consacrent beaucoup de temps et d’efforts à contrecarrer ces attaques, l’optimisme pour l’avenir reste de mise.

save dnipro in zaporizhzhya

 Irina se réjouit de l’annonce récente du gouvernement de l’instauration prochaine d’un système en ligne de surveillance de l’environnement et l’adoption des mesures de mise aux normes de l’UE, conformément aux exigences de l'Accord d'association entre l'UE et l’Ukraine. Irina est bien consciente de l’ampleur des défis en Ukraine, où 94 % de la pollution est causée par les déchets industriels et plus de 85 % des stations thermiques appartiennent à un puissant oligarque qui impose ses conditions au gouvernement.

Avec son équipe, Irina veut amener le gouvernement à engager la réforme de la législation applicable à la pollution en Ukraine. Elle veut que tous les Ukrainiens aient un accès libre aux informations environnementales dont ils ont besoin pour prendre en main leur santé et surtout rester en bonne santé. « Nous voulons permettre aux citoyens de prendre le contrôle de leur vie et d’être capables de mesurer les niveaux de pollution afin de prendre les décisions qu’ils jugeront opportunes. L’accès à ce type d’informations leur permettra de savoir s’il est prudent d’ouvrir les fenêtres ou pas, s'ils peuvent aller courir dans le parc ou se promener avec leurs enfants. Les gens ont besoin de connaître la qualité de l’air », conclut Irina.

L’équipe de Save Dnipro a été approchée par d’autres organisations souhaitant utiliser l’application SaveEcoBot, et il semblerait que des négociations soient en cours pour un futur déploiement en Bulgarie, en Géorgie et en Belgique. L’application est disponible en cinq langues. L’équipe a également lancé une campagne numérique sur l’application Viber où les internautes peuvent télécharger des stickers en lien avec la campagne. L’équipe ambitionne à être le plus important agrégateur de données libres au monde et à ce titre, l’un des membres de SaveDnipro a récemment suivi un programme à Stanford pour savoir précisément comment y parvenir.