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Yuliy Morozov

29 November 2019

Créer de nouveaux réseaux de militants civiques et politiques dans la ville de Kryvyi Rih

Yuliy Morozov est un personnage volubile qui déborde d’idées pour sa ville natale, Kryvyi Rih. Cette ville minière, située dans une région communément qualifiée de « cœur d’acier de l’Ukraine », a récemment été sous les projecteurs de la communauté internationale à l'occasion de l’élection d’un autre enfant du pays, l’ancien acteur Volodymr Zelensky, désormais à la tête du pays.

Yuliy Morozov

Yuliy Morozov est un personnage volubile qui déborde d’idées pour sa ville natale, Kryvyi Rih. Cette ville minière, située dans une région communément qualifiée de « cœur d’acier de l’Ukraine », a récemment été sous les projecteurs de la communauté internationale à l'occasion de l’élection d’un autre enfant du pays, l’ancien acteur Volodymr Zelensky, désormais à la tête du pays.

Kryvyi Rih est la huitième plus grande ville d’Ukraine, avec une population de près de 625 000 habitants. Elle est aussi la ville le plus longue d’Europe, s’étendant sur plus de 126 kilomètres de long, à force d’englober toujours plus de mines au cours de son histoire de l’exploitation minière vieille de 200 ans. La ville abrite quelques-unes des plus importantes usines de métallurgie et sites d’extraction du minerai du pays, un palmarès qui vaut à l’Ukraine de figurer au sixième rang des exportateurs d’acier mondiaux.

Kryvyi Rih caracole également en tête des villes les plus polluées du pays, offrant à sa population locale une qualité de vie jugée médiocre en raison des faibles salaires des mineurs et des industries minière et métallurgique qui utilisent des technologies obsolètes, refusant de se moderniser et se montrant peu concernées par l’écologie. Une infrastructure insuffisante et un transport public peu développé entravent la mobilité des habitants et la capacité à générer un sentiment d’appartenance à une communauté.

Yuliy a la ferme intention d’améliorer le sort de ses concitoyens. C’est un homme qui a plusieurs casquettes : il a co-fondé diverses initiatives destinées à développer la société civile dans cette ville hautement industrialisée, notamment la Union of Responsible Citizens, (Union des citoyens responsables) Stop Poisoning Kryvyi Rih (Non à l’empoisonnement de Kryvyi Rih), une association écologique et Expert-KR, une plateforme de médias. Le jour de notre rencontre, il porte fièrement sous un costume sobre bleu un T-shirt de couleur vive arborant le logo de l’association écologique « Stop Poisoning Kriviy Rih ».

Yuliy n’est pas seulement un militant citoyen, il est aussi un homme politique, membre du parti Syla Lyudey et adjoint au conseil municipal de Kryvyi Rih. S’il est conscient que son activité politique n’est pas une vocation, il juge cependant que compte tenu des circonstances actuelles, il se doit d’endosser ce rôle.

Le FEDEM soutient le travail de la Union of Responsible Citizens depuis 2018. L’Union s’attache à promouvoir le militantisme civique et politique à Kryvyi Rih et dans les communautés rurales voisines. Ses membres aident des projets locaux à voir le jour, soutenant des groupes de citoyens qui cherchent à améliorer leur environnement immédiat dans le but de former des réseaux de militants dans la ville. L’union s’efforce également de développer l’activisme politique car, de l’opinion de Yuliy, seul l’engagement politique permettra à ces militants civiques d’obtenir des changements à long terme.

Dans la ville post-soviétique qu’est Kryvyi Rih, l’attitude paternaliste a la vie dure. Comme le souligne Yuliy, la plupart des citoyens n’ont même pas conscience qu'ils peuvent agir pour améliorer leur situation et qu’ils peuvent avoir une influence sur la politique locale. Il voit cette organisation comme un moyen d’éduquer et de sensibiliser les citoyens à leur rôle dans la société et comme un outil pour renforcer les compétences locales.

L’Union soutient des initiatives très variées, englobant de modestes projets d’amélioration d’infrastructures locales, l’organisation d’événements, des projets médias, des initiatives sportives et même de petits projets commerciaux. Pour résumer, l’Union peut apporter son aide à tout projet qui lui paraît utile pour la communauté locale, l’unique contrainte étant qu’elle n’intervient pas pour les initiatives individuelles. En effet, l’Union exige que les projets et initiatives soient portés par une structure, quelle qu’elle soit, l’objectif étant de bâtir des réseaux plus vastes au sein de la société civile. Elle ne verse aucune aide financière directement aux organisations qu’elle choisit de soutenir, préférant identifier les besoins et couvrir les dépenses.

Mais avant tout, l’Union se voit comme un partenaire flexible. « S’il y a un besoin, nous aidons », affirme Yuliy.

L'une des actions les plus abouties de l’Union est 'Movement without Limits', un collectif de personnes handicapées, se déplaçant en fauteuil roulant, pour la plupart victimes de mines antipersonnel. Les personnes handicapées sont souvent les grands oubliés dans les villes comme Kryvyi Rih, mais ces hommes étaient bien décidés à se battre pour faire valoir leurs droits. Les membres de l’Union ont travaillé avec le collectif pour l’aider à rédiger et déposer une plainte officielle auprès des autorités locales, dénonçant l’absence de mise en œuvre des nouvelles règlementations en faveur des personnes handicapées. L’une des difficultés caractéristiques d’une ville comme Kryvyi Rih est le fossé trop fréquent entre la législation nationale et sa mise en application au niveau local.

Par exemple, la loi exige la mise en place dans les villes de comités sur l’accessibilité pour les personnes handicapées. Et la ville de Kryvyi Rih s’est pliée à cette exigence dans ses sept districts. Sauf que, comme l’a prouvé le collectif, la plupart de ces comités n’existaient que sur le papier et étaient souvent implantés au troisième étage d’immeubles sans ascenseurs et donc totalement inaccessibles aux personnes qu’ils étaient censés aider.

Le collectif s’est également attaqué aux projets de construction de la ville pour lesquels les trottoirs étaient construits avec des bordures élevées, en totale violation avec les nouvelles régulations qui prévoient de faciliter l'accès et le déplacement des fauteuils roulants. Avec le soutien de l’Union, le collectif a organisé une conférence de presse dans la rue afin de dénoncer l'inaccessibilité de ces nouveaux trottoirs, allant même jusqu’à en détruire un à coups de massue, un exercice de relations publiques qui n’a pas manqué de s’attirer une large couverture dans les médias locaux et nationaux.

Un an plus tard, le collectif a créé et enregistré une ONG et ses membres sont considérés comme des experts en matière de législation relative au handicap. Ils sont fréquemment invités par les médias pour des interviews et sollicités par des entrepreneurs locaux souhaitant être conseillées avant l’ouverture de locaux commerciaux, comme des cafés.

Yuliy évoque un autre projet né dans un village proche appelé Radushne. Ce village de 4 000 habitants n’avait jamais organisé de fête du village, pourtant une tradition dans cette partie du monde. Après quelques recherches effectuées dans les archives locales, les habitants se sont accordés sur la date de fondation du village et ont organisé la première fête du village pour célébrer son 88e anniversaire. L’Union a organisé un feu d’artifices et aidé les habitants à trouver des professionnels du spectacle et à organiser un marché avec des produits artisanaux locaux. Les villageois ont créé un groupe Facebook qui compte désormais plus de 2 700 membres.

Cette humble initiative a été l’élément déclencheur, encourageant les habitants à se réunir régulièrement pour donner vie à d’autres projets. Récemment, ces derniers ont insisté auprès de la mairie pour qu’elle répare un arrêt de bus laissé à l’abandon au milieu des détritus depuis une dizaine d’années. Au bout de quelques jours, une équipe municipale fut envoyée sur place pour remettre la structure en état.

Comme l’explique Yuliy, l’une des difficultés en Ukraine et en particulier à Kryvyi Rih, tient à l’absence de culture de coopération de la société civile avec les autorités. Par ailleurs, les militants, de manière générale, n’ont aucune confiance dans les appareils de gouvernance et de politique et voient d’un très mauvais œil les militants qui s’engagent en politique. Mais comme il aime à le dire, « la politique a besoin de sang neuf ».

L’Union cherche à faire bouger les lignes. « Nous devons donner un nouveau visage à la politique. Nous devons sortir du schéma qui veut que ceux qui sont au pouvoir ne comprennent pas les soucis des citoyens, et entrer dans une ère où la société civile a le droit d’être entendue et est écoutée. Les hommes et les femmes politiques ont besoin de l’expérience de la société civile pour apporter des améliorations. Les militants citoyens sont plus à-même de faire évoluer la politique. Ils n’entrent pas en politique pour protéger leurs intérêts personnels, contrairement à beaucoup d’autres ».

Faire de la politique n’est facile nulle part en Ukraine et encore moins dans une métropole régionale comme Kryvyi Rih. Si la récente victoire politique de M. Zelensky a placé la ville sous le feu des projecteurs, elle a aussi eu un effet pervers sur la vie politique.

Nous nous sommes beaucoup battus pour améliorer les choses dans notre ville et voilà qu'un candidat de Zelensky se présente sans avoir jamais rien fait pour la ville et avec un agenda douteux. Mais les électeurs s’en fichent. Tout ce qu'ils voient, c’est la marque Zelensky et sans surprise, il recueille 90 % des suffrages. C’est très démoralisant pour ceux qui se sont longuement investis pour faire bouger les choses et instaurer une autre culture de la politique.

Avec les prochaines élections prévues fin 2020, mais qui risquent d’être anticipées afin de profiter de la popularité actuelle dont jouit le parti de M. Zelensky, il est d’autant plus crucial de faire entrer du sang neuf dans le processus politique.

Yuliy sait que la situation de Kryvyi Rih est loin d’être simple. Les jeunes désertent la ville en grand nombre, attirés par les meilleurs salaires que proposent les pays voisins, comme la Pologne. Si le chômage reste encore faible dans la ville, ils savent parfaitement que l’activité minière est vouée à disparaître. Les pouvoirs locaux savent que la ville doit se diversifier sur le plan économique et qu'un solide leadership est nécessaire pour mener cette transition à bien.

Yuliy est persuadé que l’avenir de sa ville est lié à l’émergence de la société civile et dépend des petites et moyennes entreprises qui, ensemble, sauront asseoir l’avenir économique et politique de la ville.