Bassam Alahmad
31 July 2018Des livres aux droits de l'homme : en quête de vérité pour la Syrie
En quête de vérité et de justice pour la Syrie, Bassam Alahmad et ses collègues documentent minutieusement les atteintes aux droits de l'homme commises par toutes les parties au conflit.

La démarche de Syrians for Truth and Justice (STJ) s'inscrit dans la conviction que si la Syrie venait à retrouver la paix, il serait nécessaire d'apporter des éléments impartiaux et précis sur toutes les violations des droits de l'homme.
Comme l'explique Bassam, l'initiative est née en réponse à l'omniprésente propagande et à la croissante politisation du secteur des droits de l'homme. Très peu de personnes travaillaient sur les atteintes aux droits de l'homme de manière exhaustive : « Les organisations présentes sur le terrain faisaient un travail formidable, mais elles ne couvraient pas toutes les régions de Syrie, ni tous les types de violations », précise Bassam. « Nous nous efforçons de combler ce vide car ça nous paraît crucial et essentiel. Nous partons du principe que nous devons créer une vérité unique pour savoir qui a fait quoi et pouvoir parler de tout. Et dans le contexte syrien, c'est très difficile. »
De la littérature arabe aux droits de l'homme
La notion des droits de l'homme s'est imposée à Bassam alors qu'il vivait dans sa communauté, dans la province d'Al-Hasakah : « Je faisais partie de ces Kurdes apatrides de Syrie. Je n'avais aucun papier, pas de passeport. Quand on appartient à une communauté privée de ses droits politiques, ça ne laisse pas indifférent. C'est ce qui a suscité mon intérêt pour les droits de l'homme. »
Parti vivre à Damas pour y étudier la littérature arabe, Bassam découvre un monde d'échange où il côtoie l'élite intellectuelle syrienne. Là, il devient membre d'un mouvement étudiant qui organise des débats secrets et publie un journal clandestin sur les thèmes du leadership et de la démocratie. Il prend alors conscience que la seule et unique réponse aux problèmes auxquels sont confrontés la Syrie moderne et ses groupes ethniques, réside dans l'émergence d'un nouveau paradigme démocratique.
Aux premières heures du soulèvement civil, le groupe organise des rassemblements en faveur de la transformation non violente et pacifique de l'état. « Rétrospectivement, je me rends compte que nous étions des utopistes car personne n'avait anticipé la tournure qu'ont pris les choses. Nous nous attendions, certes, à des mesures de répression, à des blessés et à un conflit, mais jamais nous n'aurions imaginé que les événements de 2011 dégénèreraient en une mini guerre mondiale », se souvient Bassam.
Donner visage humain aux statistiques
En 2012, en pleine révolution, Bassam rejoint le Centre de documentation des violations en Syrie, une organisation qui publie des rapports statistiques sur les violations des droits de l'homme rapportées sur l'ensemble du pays. Il est immédiatement arrêté et emprisonné par le régime. Libéré 87 jours plus tard et plus déterminé que jamais à rester engagé pour la cause, il est contraint de partir en Turquie pour poursuivre son travail.
Les quatre années suivantes qu'il passera au Centre lui donneront l'occasion de suivre différentes formations internationales. Une en particulier l'a marqué, une bourse obtenue pour un séjour de quatre mois aux États-Unis qui s'est conclu par une présentation sur la Syrie devant le Conseil de sécurité des Nations unies.
« Ça a changé ma vie. C'était la première fois que j'allais aussi loin dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratisation. Après cela, je n'arrêtais pas de me dire : “Il faut mettre en place une structure et tirer parti de tous ces enseignements et de toutes ces informations”. Voilà comment en 2016, nous avons fondé Syrians for Truth and Justice. »
Les co-fondateurs de STJ se réunissaient déjà à l'université de Damas. Ce qui devait à l'origine n'être qu'un ouvrage unique compilant des témoignages et relatant les récits personnels cachés derrière les statistiques, ne tarde pas à prendre de l'ampleur et à se convertir en un projet beaucoup plus ambitieux.
« Le financement du FEDEM a été décisif pour la création du projet. Dans le contexte très polarisé de la Syrie où l'on manœuvre entre DAESH et le régime, il est extrêmement difficile de créer une structure indépendante axée sur les violations commises de toutes parts », ajoute Bassam.
Changer les choses
STJ s'intéresse aux droits de l'homme au sens large et dans l'ensemble de la société syrienne, pas seulement aux droits de l'homme dans le contexte de guerre, aidant les individus et les communautés à faire valoir leurs droits. Le groupe s'attache à établir la vérité cachée derrière les violations et à aider les victimes à obtenir justice, pour à terme aboutir à une paix véritable et durable en Syrie.
Le projet comporte deux volets. La documentation méticuleuse représente près de 50 % du travail, le reste étant consacré au travail d'information.
« La notion “de travail d'information” pour STJ est très vaste et va plus loin que la notion traditionnelle de lobbying auprès des organisations internationales », précise le co-fondateur de STJ. « Je l'appelle “changement”. Ce qui nous intéresse, c'est de faire bouger les choses en exploitant les informations réunies. Cela paraît simple, mais dans une société divisée et fragmentée, il n'est pas facile de façonner un esprit collectif. Tous ces gens vont vivre et rebâtir le pays, il est donc important de travailler avec eux et sur eux. »
STJ tient compte de la dynamique et du contexte local. Une telle approche est essentielle pour amorcer le changement, recréer une cohésion sociale et bâtir la paix et la réconciliation. Pour Bassam, la force de projet réside dans la proximité avec les gens : « Parmi les questions abordées, certaines peuvent paraître insignifiantes pour la communauté internationale, mais elles sont cruciales pour les communautés avec lesquelles nous travaillons. » L'initiative continue de grandir grâce aux efforts et aux sacrifices de nombreuses personnes dont la plupart opèrent en secret depuis la Syrie.
Une justice d'un nouveau genre
Bassam reconnaît être également animé par des motifs personnels, bon nombre de ses amis et collègues ayant perdu la vie dans ce conflit. Et s'il se laisse parfois envahir par le doute quant à l'utilité de cette initiative, se demandant si quoi que ce soit pourra jamais apporter du réconfort aux personnes dont la vie a été anéantie, il reste convaincu qu'un processus de documentation objectif est le premier pas vers une justice transitionnelle plus vaste.
En attendant, dans une société déchirée par la guerre qui ne croit même plus au changement, nombreux sont ceux qui trouvent une consolation certaine à relater leur expérience :
Certains veulent simplement qu'on les écoute et que l'on consigne et documente leur témoignage. Leur démarche n'est pas motivée par la quête de justice. Parfois, pour les victimes, ce qui compte réellement c'est d'être entendu et de se savoir écouté. »
Par Joanna Nahorska
Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM).