Svitlana Kolodii
7 August 2018Bâtir un réseau de confiance en Ukraine orientale
Une jeune ukrainienne s'attache à bâtir un puissant réseau réunissant les ONG actives en Ukraine, avec un accent particulier sur l'implication des jeunes.

C'est à la cafétéria du Parlement européen, à Strasbourg, que je me suis entretenue avec Svitlana Kolodii, coordinatrice de l'ONG ukrainienne GoEast. Nous sommes à la veille de son allocution à L'événement européen de la jeunesse, une expérience qu'elle décrira comme « immensément stimulante ».
Mais pour comprendre le parcours de Svitlana qui l'aura amenée jusqu'ici, revenons à Donetsk, deux ans avant l'éclatement de la guerre. Svitlana est une femme d'affaires de 25 ans à qui la réussite sourit, tant sur le plan professionnel que personnel. Et pourtant, elle a le sentiment de passer à côté de quelque chose.
Bien décidée à « se trouver », la jeune femme part pour la capitale, Kiev, où elle travaille comme photographe freelance et tient bénévolement le magasin d'une œuvre caritative. C'est alors qu'éclate la Révolution de la Dignité :
L'année 2014 a bouleversé ma vie – à moi et à beaucoup d'autres. Nous, en tant que société, avions changé et nous savions que nous pouvions faire entendre notre voix. Nous nous sentions unis, légitimes et capables de faire bouger les choses. »
Avec un optimisme généralisé et un vent de renouveau soufflant sur tout le pays, rien ne laisse présager l'ampleur des événements à venir. La nouvelle de l'annexion de la Crimée a l'effet d'un coup de massue sur le monde entier. Juin 2014 voit également l'arrivée massive des forces appuyées par la Russie en Ukraine orientale.
De l'autre côté de la frontière
Svitlana se souvient qu'au début, personne ne comprenait vraiment ce qu'il se passait. Les Ukrainiens étaient persuadés que cette situation anormale ne durerait que quelques mois. « Je me rappelle un jour ma grand-mère, qui, alors qu'elle me souhaitait un joyeux anniversaire, avait ajouté : "J'espère qu'il n'y aura pas de guerre et que tu vivras en paix." À l'époque, je n'avais pas compris pourquoi elle m'avait dit ça. »
Les jeunes comme Svitlana se sont retrouvés face à une nouvelle réalité, ne sachant pas comment continuer à vivre leur vie dans l'ombre de la guerre. Svitlana n'avait auparavant jamais pensé à s'engager dans une action sociale. Ses parents vivaient encore dans la région de Lougansk. Elle s'est alors demandé comment elle pourrait s'impliquer.
Voilà comment elle a poussé les portes de la société civile. En 2017, alors qu'elle coordonnait des projets sur le terrain dans l'Est du pays, Svitlana fait la connaissance de Mustafa Nayyem, co-fondateur de Global Office, une initiative défendant l'intégration de l'Ukraine dans la communauté mondiale et la réconciliation interne dans le pays. Global Office recherchait un coordinateur pour son nouveau projet, GoEast, et Svitlana semblait être la personne indiquée.
Cap vers l'Est
GoEast intervient dans les territoires contrôlés par le gouvernement des régions de Donetsk et de Lougansk. L'équipe du projet a procédé à des recherches approfondies en Ukraine orientale, établissant une cartographie des activités, des besoins et des défis, dans le but de consolider les projets existants et les donateurs recensés dans la région. L'initiative tente de contrecarrer le phénomène de projets éphémères qui pullulent en Ukraine depuis la guerre du Donbass.
« Nous voulions créer quelque chose destiné à perdurer au fil des ans. Mais nous voulions également stimuler la confiance et les liens. C'est d'ailleurs notre objectif premier – instaurer plus de confiance entre les citoyens. »
Svitlana souligne que le manque de confiance omniprésent induit une forte concurrence entre les ONG. Elle est convaincue qu'en changeant les mentalités, les choses pourraient évoluer : « La concurrence est une bonne chose, mais il me paraît plus important d'instaurer des coalitions. Un projet mené de concert a tout simplement plus de chances d'aboutir et d'avoir plus d'impact. »
Un autre problème identifié par l'équipe est l'absence de la dimension pratique et communautaire dans les activités mises en œuvre et la faible mobilisation des ressources locales.
« Nous avons dans la région un immense vivier d'acteurs expérimentés. Nous voulons leur donner les moyens de mettre leurs idées en pratique, de gérer des projets et de constituer des équipes. En mutualisant leurs compétences, ils ouvriront la voie au changement », affirme Svitlana.
« Je crois que de nos jours en Ukraine, comme partout dans le monde, on apprend aux gens à devenir des leaders, mais pas à travailler en équipe. Le travail d'équipe est essentiel, et pourtant on continue d'encourager la concurrence entre les individus, des loups solitaires qui ont des idées géniales mais qui ne savent pas les mettre en pratique. »
Un an après le lancement du projet, le nombre de connexions et de nouveaux réseaux en Ukraine orientale a augmenté. « Le FEDEM nous a aidés à constituer une équipe et à sortir du schéma habituel de financement de projets. Vous avez eu confiance en nous et cru à notre projet, peut-être même plus que nous », ironise Svitlana.
Miser sur les jeunes
GoEast s'attache également à bâtir la future génération de militants. S'adressant aux jeunes de l'Est de l'Ukraine, l'initiative donne à ces derniers les moyens de s'impliquer socialement à l'échelle locale : « Nous montrons aux jeunes combien il est gratifiant de s'investir pour sa communauté. »
Un autre aspect crucial de l'initiative consiste à faciliter les échanges entre les jeunes. Dans le cadre du programme GoExchange, l'organisation met en relation des élèves, des étudiants et des organisations de différentes régions du pays : « Je suis très fière de ce projet. Nos jeunes ont débuté leurs propres activités. C'est la plus belle récompense », ajoute Svitlana. L'organisation organise également des camps éducatifs pour les jeunes ukrainiens afin de les ouvrir au reste du monde.
À la question de savoir si elle a le sentiment de s'être (re)trouvée maintenant qu'elle est revenue travailler dans sa région de l'Est de l'Ukraine, Svitlana répond la chose suivante : « J'y réfléchis beaucoup. Étant partie, puis revenue, j'essaie de faire bouger les choses dans ma région. GoEast ne porte pas sur la réussite seulement professionnelle, mais personnelle aussi. Et comme j'adore le café et la photographie, il se pourrait bien que je mette sur pied un autre projet à côté de ça. Après tout, pour être épanoui, rien de tel que varier les plaisirs. »
Par Joanna Nahorska
Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM).