Hakima Lebbar
4 May 2018Quand les hommes, à travers l'art, luttent pour l'égalité des droits de succession des femmes
Directrice d'une galerie d'art et psychanalyste, Hakima Lebbar a réalisé un ouvrage qu'elle présente à l'occasion d'une exposition itinérante et de débats auxquels participent des hommes en faveur de l'égalité en héritage entre hommes et femmes au Maroc.

Certaines personnes embrassent l'action militante une fois atteint l'âge de raison, suite à un événement ou à une succession de circonstances. D'autres sont nées pour cela.
« J'ai passé ma vie à militer », déclare Hakima Lebbar. Son intérêt pour les droits de l'homme et l'égalité des chances remonte à ses années de lycée. Jeune élève, elle a adhéré à l'Union nationale des étudiants du Maroc. Avide de lutter contre l'injustice et en faveur de la démocratie, elle s'est engagée auprès de plusieurs organisations de la société civile et est co-fondatrice de l'ONG anti-corruption Transparency Maroc.
Elle exerce la psychanalyse depuis 1989 et depuis 2004 elle dirige également une galerie d'art à Rabat. Au premier coup d'œil ces deux activités semblent être aux antipodes et pourtant Hakima voit un lien entre elles :
Je mets à profit mon expertise en psychologie et ma capacité à mobiliser les artistes pour favoriser le changement social. »
Hakima a récemment publié son troisième ouvrage traitant des problèmes qui gangrènent la société marocaine. Suite à des projets collectifs sur la lutte contre la corruption et sur les femmes et les religions, son dernier ouvrage, publié avec le soutien du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), est une anthologie d'écrits par des auteurs masculins - universitaires, théologiens, poètes, musiciens et journalistes - sur le sujet de l'égalité en matière de droits de succession.
Au Maroc, une interprétation très restrictive des enseignements de l'Islam désavantage grandement les femmes en matière d'héritage, celles-ci ne pouvant percevoir que la moitié des montants perçus par les héritiers masculins. La religion étant profondément ancrée dans la société marocaine, la première étape vers l'égalité passe par une conversation nationale sur le sujet. Les hommes étant favorisés en matière d'héritage, qui mieux qu'eux pouvait monter au créneau pour réclamer un traitement équitable dans ce domaine ?
Toutes générations et tous milieux sociaux confondus
Pour faire évoluer les mentalités dans la société marocaine au sens large, y compris parmi les populations analphabètes, Hakima a dû se rendre à la réalité qu'a lui seul, un livre ne suffirait pas. Qu'à cela ne tienne, dans le cadre de l'initiative, Hakima a invité des artistes masculins âgés entre 28 et 80 ans à créer une œuvre d'art inspirée par le sujet. L'exposition qui compte des peintures, photographies, dessins, caricatures, sculptures et installations, a voyagé à travers le pays, accompagnée d'une série de débats publics.
Les villes et villages au Maroc possèdent en général un centre culturel local créé par le ministère de la Culture qui sert de centre pour des activités pédagogiques, culturelles et sociales. Avec le soutien de partenaires locaux de la société civile, Hakima s'est naturellement tournée vers ces lieux pour toucher un public très varié.
Autre élément important, fut la participation d'intervenants venant d'horizons différents, parmi lesquels Ahmed Aassid, philosophe, poète et militant laïque, Abu Hafs, ancien prédicateur extrémiste devenu militant pour les droits de l'homme, et Farida Bennani, activiste féministe et professeur de droit public à l'université. Cette diversité a permis d'aborder le sujet sous différents angles, par exemple d'une perspective religieuse contre une perspective séculaire ou en expliquant les différents textes religieux et l'évolution de la société.
« À l'occasion d'un débat, la directrice d'une école locale bien qu'ouvertement féministe nous a suppliés de ne 'pas toucher au Coran', relate Hakima. « La présence d'un universitaire islamique à nos côté a permis de citer des vers du Coran et d'illustrer qu'un système équitable en matière d'héritage n'est en rien en contradiction avec le Coran. Il a pu expliquer que le système de succession, reposant sur une structure sociétale totalement dépassée qui n'a plus sa raison d'être, peut parfaitement être adapté. Au terme de la discussion, cette directrice d'école s'est déclarée convaincue, promettant d'en parler autour d'elle. »
Mais toutes les rencontres n'ont pas été aussi fructueuses. Hakima et à son équipe ont à plusieurs reprises dû faire face à une féroce opposition de la part de fonctionnaires ou leaders religieux. Les coups bas font légion : un bruit qui court que le débat était annulé, intimidation auprès des gens prêt à venir assister au débat, changement de dernière minute du lieu de la rencontre ou refus net du personnel du centre culturel de parler et de placer les affiches d'information. Dans le quartier de Sidi Moumen à Casablanca, par exemple, à la place d'un public qui aurait dû compter des centaines de personnes, seule une vingtaine de personnes avaient fait le déplacement.
« Nous sommes convaincus du bien-fondé de notre action, c'est-ce qui nous aide à surmonter les obstacles », précise Hakima. « Une fois le débat avait été annulé mais des gens étaient quand même venus et le lendemain nombre d'entre eux parlaient de ce sujet dans les cafés d'Azrou. »
Prêcher la bonne parole
Et le message finit par passer. Les vidéos sur le projet ont été visionnées plus de 70 000 fois en ligne sur différents forums.
« Nous avons réussi à en faire un débat public. L'étape suivante consistera à tenter de l'inscrire dans la loi », déclare Hakima.
Elle sait combien cela sera difficile et qu'elle devra faire face à une farouche opposition de la part des associations et institutions religieuses. Mais ça fait partie du processus et Hakima est convaincue que le changement est possible.
En attendant, pour maintenir le dialogue ouvert, elle prévoit d'amener l'exposition itinérante dans des zones difficiles du nord du pays et dans le Sahara dans le sud, et au-delà.
Comme elle le fait remarquer, « après 40 années de militantisme, on ne renonce pas facilement ! »
Par Sarah Crozier
Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM).