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Dmytro Bulakh

24 April 2018

Lever le voile sur la corruption en Ukraine imprimer

Le Centre anti-corruption de Kharkiv divulgue des cas de corruption dans la ville de Kharkiv, à l'est de l'Ukraine. Le Centre a dénoncé la cession illégale de terrains et enquête actuellement sur des entreprises de service public suspectées d'activités frauduleuses, au prix parfois d'un réel danger pour les militants concernés.

Dmytro Bulakh Dmytro Bulakh © EED

Dmytro Bulakh avait 30 ans quand il a dû faire un choix décisif. Ce chef de projet informaticien allait-il emboîter le pas à ses amis proches et migrer au Canada pour profiter des nombreuses opportunités professionnelles outre-Atlantique ou rester dans son Ukraine natale pour essayer de changer les choses au lendemain du mouvement EuroMaidan ?

Quatre ans plus tard, Dmytro vit à Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, également considérée comme un important centre industriel. La situation a été particulièrement difficile depuis le conflit dans l'Est, mettant à mal les relations d'affaires traditionnellement fortes que le pays entretenait avec la Russie.

À Kharkiv, la plupart des gens ont renoncé à espérer voir changer les choses. Mais pas moi », déclare Dmytro.

Si son engagement militant remonte aux événements d'EuroMaidan, Dmytro appartenait déjà auparavant à ceux qui pensaient que le changement était possible. C'est dans cet état d'esprit qu'il a co-fondé le Centre anti-corruption de Kharkiv avec le soutien financier du FEDEM. Au début, Dmytro cumulait son emploi d'informaticien et son travail au Centre, mais très vite son enthousiasme pour la lutte contre la corruption a pris le dessus et il se consacre depuis entièrement à cette activité.

L'une des affaires les plus retentissantes révélées par le Centre fut le « scandale des coopératives », un programme pour lequel la mairie avait gracieusement cédé des terrains de la ville à des coopératives pour la construction de logements destinés à améliorer les conditions de vie de leurs membres. En réalité, ces terrains avaient été cédés à des promoteurs et entreprises commerciales.

« Au début, personne ne faisait attention à ce programme, qui avait démarré vers 2008 », raconte Dmytro. Les fonctionnaires ayant participé à ce programme sont maintenant poursuivis ou font l'objet d'une enquête, et les terrains mal acquis ont été rendus à la ville. Les innombrables audiences au tribunal sont régulièrement couvertes par les médias locaux et l'affaire reste très suivie par la population. « Depuis que nous avons rendu public ce scandale, aucun terrain n'a été cédé dans le cadre de ce programme urbain. Cela fait plus d'un an », ajoute Dmytro.

Le Centre s'intéresse désormais aux entreprises de service public qui sont régulièrement soupçonnées de corruption. Dans un effort d'améliorer la transparence, Dmytro et ses collègues ont demandé à ces entreprises de présenter leurs états financiers, mais ces dernières n'ont pas donné suite. Face à l'absence de coopération de leur part, le Centre s'est tourné vers la justice. Et de fait, plusieurs décisions de justice leur ont donné raison, ce qui est un grand pas vers plus de transparence.

Ces avancées et petites victoires n'ont pas manqué de susciter une certaine nervosité au sein de l'élite de Kharkiv. « Depuis nos premiers procès gagnés, on m'a à plusieurs reprises invité à revoir notre position pour « arriver à un arrangement » afin d'éviter de passer par les tribunaux », confie Dmytro.

Mais tous n'ont pas fait preuve de la même subtilité. En août 2017, Dmytro fut victime d'une brutale agression en se rendant à son travail. Sans autre motif évident, il ne peut qu'en conclure que cette agression était liée à son enquête. Des attaques de ce type sont un risque réel dans ce genre de travail, et malheureusement Dmytro n'est pas le seul : au cours des derniers mois, plusieurs militants ukrainiens anti-corruption ont été victimes de violentes menaces et de campagnes de diffamation.

Mais si ses agresseurs ont pensé une minute que cette manœuvre d'intimidation allait détourner Dmytro de sa mission, ils se sont trompés. A-t-il envisagé de renoncer à ses activités ? « Pas une seconde », s'indigne Dmytro. Et après ces événements, pas un seul de ses collègues ne s'est ravisé, préférant réagir avec une dose d'humour noir ukrainien.

L'impact de la corruption en Ukraine est l'une des raisons qui ont motivé Dmytro à se lancer dans cette croisade. Selon une récente étude réalisée pour le Center for Insights in Survey Research de l'IRI, les Ukrainiens considèrent la corruption comme la plus grande menace pour leur société, au même titre que le conflit avec la Russie.

En mars 2018, Dmytro fut invité à venir s'exprimer au Parlement européen lors d'un événement organisé par la délégation du Comité de l'Association parlementaire UE-Ukraine, où il fit un compte rendu des dernières avancées en matière de lutte contre la corruption en Ukraine.

L'intérêt porté à son expérience présente un avantage mutuel. « Pour ce qui est du soutien, ce n'est pas tant le soutien financier qui est important que le soutien et les messages politiques venant du Parlement européen ou du FEDEM. Après mon agression et la prise de position d'instances européennes, condamnant ce geste, j'ai senti l'inquiétude que cette attention internationale avait suscitée chez certains de ceux qui pourraient avoir été impliqués. Et cela me confère un sentiment de protection », confie Dmytro.

Dmytro ne cache pas qu'il reste encore beaucoup à faire dans la lutte contre la corruption dans son pays, et il aimerait que plus de gens y prennent part.

Avant, je pensais que ce n'était pas à moi de faire ça, mais il m'a fallu me rendre à l'évidence : si je ne le faisais pas, personne d'autre ne le ferait.

Si je devais donner un conseil à ceux qui aimeraient s'impliquer et participer à une telle activité, je leur dirais de ne pas hésiter, de se lancer. C'est plus facile qu'on ne le croit. L'indispensable qualité dont on doit être doté est la persistance. »

Quant au Canada, compte tenu des quatre dernières années, il dit n'avoir aucun regret. « Sauf peut-être pendant quelques instants, quand mes amis de Vancouver m'envoient des photos de la mer. C'est plus joli que Kharkiv », ironise-t-il.

Par Sarah Crozier

Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle de l’EED (European Endowment for Democracy).