Ramsey Tesdell
29 January 2018Renaissance numérique de la tradition arabe du récit
À l'ère de la saturation des données et de la désinformation qui nous font douter de tout, Sowt (qui signifie « voix » en arabe) fait le choix de revenir aux sources. S'adressant aux vrais gens, cette plateforme de création de podcasts audio propose une expérience intime qui touche du doigt les questions les plus sensibles qui dérangent au Moyen-Orient.

Redonner vie Sowt
« Je m'intéresse depuis longtemps au récit audio. La radio est, certes, un outil très puissant, mais du point de vue technologique, elle n'a pas vraiment évolué depuis une cinquantaine d'années », déclare Ramsey Tesdell, directeur associé de Sowt.
Spécialiste en développement des médias, Ramsey a réussi à convaincre un ami de redonner vie à Sowt en 2016. L'organisation n'ayant pas connu la croissance espérée, les fondateurs avaient fini par baisser les bras.
Ramsey a suggéré de changer de formule au profit du podcast, et au bout de quelques mois seulement, Sowt renaissait de ses cendres.
« Nous avançons un peu à tâtons avec différents formats, styles, voix et sons. Nous nous régalons à produire et diffuser un produit de grande qualité qui dépasse toutes nos attentes à bien des égards. »
Le pouvoir de l'audio
Dans la frénésie actuelle du monde moderne, l'audio reste un format extrêmement important, notamment en tant que véhicule de cet art ancestral : le récit, ou la narration. Le récit confère une expérience plus intimiste que les brefs clips vidéo qui maillent les réseaux sociaux, éléments omniprésents de la réalité numérique qui nous happe.
« C'est précisément ce que nous essayons de faire », insiste Ramsey. « Nous essayons de moderniser la radio en introduisant de nouveaux styles et formats afin de créer du contenu très percutant. »
L'intimité que confère l'audio est également un facteur crucial pour les personnes interviewées par Sowt.
« Réaliser des entretiens vidéos suppose la présence de caméras, de projecteurs, de techniciens, de plein de monde autour, et tout cela serait très intimidant. Nous demandons aux gens d'évoquer leur vie sexuelle, de raconter des épisodes de leur vie qui les ont marqués, comme un divorce, un avortement, la révélation de leur homosexualité à leurs parents, autant de propos qu'il ne serait pas facile de tenir face à une caméra. »
En respectant l'anonymat de ses protagonistes, Sowt présente un avantage non négligeable par rapport aux autres médias. Nous avons interviewé certaines personnes dont l'identité n'a même pas été dévoilée à l'équipe entière, dont seul le journaliste ayant réalisé l'entretien connaissait le nom. Ainsi, notre plateforme n'effraie pas les personnes disposées à venir partager leur expérience personnelle.
Le pouvoir de la parole
Avec un petit micro, quelques journalistes de confiance et un décor intime, Sowt a pour vocation d'avoir des vraies conversations avec de vrais gens.
« Le travail de journaliste peut vous faire perdre votre humanité. On entend tellement d'histoires tragiques de pertes et de morts qu'il faut à un moment verrouiller son filtre émotionnel pour se préserver. Dans le même temps, le but du journalisme est de donner aux histoires un caractère humain pour éviter que le reste du monde ne se déshumanise » ironise Ramsey.
Donner la parole aux gens et les laisser parler nous a paru être le meilleur moyen d'atteindre ce fragile équilibre.
« Le premier épisode de notre émission Blank Maps donnait la parole à une Soudanaise qui avait été victime de viol dans un camp de prisonniers au Soudan et qui était venue en Jordanie sans savoir qu'elle enceinte.
Son témoignage était d'une puissance inouïe, elle était une conteuse née, appuyant sur certains aspects de son récit par des bruits de bouche ou des claquements de doigts. Elle a raconté son histoire elle-même, avec très peu d'intervention de la part du journaliste. Et les auditeurs ont adoré. Ça reste aujourd'hui encore l'un des épisodes les plus écoutés. »
Les auditeurs sont intrigués par ce genre de témoignages personnels qui ne trouvent généralement pas d'écho dans les médias classiques.
« Voilà en quoi consiste notre travail. Il ne s'agit pas seulement de donner la parole, littéralement, mais plutôt d'offrir un format narratif plus profond pour que chacun soit inspiré par ces témoignages », explique Ramsey.
Ces récits souvent bouleversants de personnes confrontées au divorce, à l'avortement, aux barrières religieuses sont une fenêtre sur le plus vaste contexte social et les éternels tabous au Moyen-Orient.
Certains épisodes de la série de podcasts ont donné lieu à des critiques modérées. D'aucuns déplorent que les producteurs ne replacent pas plus les faits dans leur contexte socioéconomique ou religieux – une démarche délibérée et assumée, selon Ramsey.
« Nous voulons que les récits parlent d'eux-mêmes. Je ne veux pas dire aux auditeurs "Cette femme a dû se faire avorter parce qu'elle ne pouvait pas épouser un homme d'une autre religion". Sa voix et son récit se suffisent à eux-mêmes. »
L'avenir des podcasts
L'équipe de Sowt cherche actuellement à dresser le profil de ses auditeurs.
« Nous avons une idée assez nette de leur profil. Il s'agit essentiellement d'une audience jeune qui nous écoute à partir de supports numériques. Nous voulons élargir notre audience et toucher les générations plus âgées étrangères à l'outil numérique et pour cela nous souhaitons collaborer avec les stations de radio prêtes à diffuser notre contenu. Et nous devons les convaincre de diffuser parfois des histoires controversées. »
Plusieurs organisations, comme Al-Jazeera et Médecins Sans Frontières, ont fait appel à Sowt, lui demandant de reproduire leur contenu ou de créer des podcasts sur demande, marquant l'étape suivante de l'évolution de la plateforme.
La question cruciale qui se pose est de savoir ce qu'il va ressortir de cette expérience.
Ramsey voit en Sowt une stratégie à long terme de développement des médias indépendants capables de proposer un contenu alternatif à l'offre grand public actuelle. L'objectif ultime est de mettre le Moyen-Orient sur les rails d'une société plus démocratique, plus progressive et reposant sur la justice.
Cependant, comme tient à le souligner Ramsey, ce sont les gens et leurs histoires qui resteront au cœur de Sowt.
Tous les jours, ces gens sont pour nous une source d'inspiration. Ce qu'ils vivent est tout simplement démentiel. Il n'y a pas de mots assez forts pour décrire ce qu'ils doivent traverser. »
Par Joanna Nahorska
Clause de non-responsabilité :Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle de l’EED (European Endowment for Democracy).