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Safya Akorri

29 May 2017

Pleins feux sur la politique marocaine

Un nouveau groupe de réflexion cherche à faciliter la réforme démocratique au Maroc et examine de près la structure politique et juridique du Royaume, et en particulier sa nouvelle constitution.

Safya Akorri Safya Akorri © EED

Certains Marocains avaient salué la nouvelle constitution de leur pays, dévoilée il y a six ans par le Roi Mohammed VI au cœur de l'agitation du printemps arabe, comme une étape historique vers la démocratie.

D'autres, n'y ont vu qu'un document au contenu douteux, brandi par le Roi dans un souci de faire avorter la révolte marocaine naissante et de maintenir sa mainmise sur le pouvoir.

Et puis il y a ceux, qui comme Safya Akorri, pensent qu'il y a un peu des deux.

La constitution de 2011 est un premier pas », déclare-t-elle. « Ce n'est pas un pas de géant, mais c'est un début. Aussi imparfaite soit-elle, au moins nous avons quelque chose à améliorer.
Alors commençons par le commencement. »

Safya est une avocate franco-marocaine vivant à Paris. Diplômée de la meilleure faculté de sciences politiques de France, son flegme apparent cache un esprit affûté et un engagement indéfectible en faveur de la réforme démocratique au Maroc.

Cette jeune femme de 34 ans dirige son propre cabinet d'avocat à Paris, spécialisé dans les affaires de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocides. Elle parcourt le monde pour assister à des procès politiques en tant qu'observatrice.

Elle est également membre de Tafra, un groupe de réflexion basé à Rabat qui promeut la transition démocratique au Maroc à travers une analyse scrupuleuse des institutions et des processus politiques du pays, et en particulier la constitution de 2011.

Tafra signifie « bond en avant » en arabe.

Tout comme les autres bénévoles de Tafra, Safya est convaincue que la démocratie ne pourra prospérer au Maroc que lorsque les Marocains auront une meilleure compréhension de leur structure juridique et politique.

« Les Marocains ne comprennent pas la constitution », affirme Safya. « J'ai l'impression qu'ils s'intéressent un peu plus au fonctionnement des institutions depuis le Printemps arabe, mais sans plus. C'est pour cela que nous avons créé Tafra. Nous voulions que les Marocains aient accès à toutes les informations utiles pour comprendre le cadre légal de leur pays. »

Tafra a été créé il y a deux ans par un groupe d'amis qui se sont connus lors des manifestations de 2011, alors que des dizaines de milliers de manifestants étaient descendus dans les rues pour réclamer plus de justice sociale et un frein aux pouvoirs du Roi – un acte de rébellion rare dans ce pays traditionnellement stable.

Le petit groupe avait commencé par fonder Cap Démocratie Maroc, également appelé Capdema, une organisation de jeunesse pro-démocratie au Maroc. Tafra est né en 2015 pour asseoir et professionnaliser les activités de Capdema.

« Parler de la démocratie, c'est bien, mais les deux principaux fondateurs de Capdema ont compris que l'organisation devait aller au-delà des débats et mener des recherches exhaustives sur la question », poursuit Safya.

Tafra, cofinancé par l'EED, est la première initiative du genre au Maroc. Ses membres compilent et analysent des données sur la constitution, les élections, le Parlement, la législation et les partis politiques au Maroc.

En contrôlant la performance des institutions publiques, ils espèrent favoriser la démocratisation au Maroc et placer les autorités face à leurs responsabilités, elles qui tardent à mettre en œuvre les réformes annoncées suite aux contestations du Printemps arabe.

Le groupe a récemment publié une analyse inédite des 0élections législatives au Maroc de 1963 à nos jours. Il publie tous ses travaux en ligne et poste des graphiques et des vidéos sur les réseaux sociaux afin de toucher un plus large public.

« Nous ne devons pas nous contenter de publier des articles et des documents de travail », explique Safya. « Nous voulons que les informations que nous fournissons soient à la portée de tous. »

Tafra organise également des conférences et des débats dans tout le pays, où interviennent des groupes de jeunes, des organisations de la société civile et des responsables politiques.

À peine deux ans après sa création, le groupe de réflexion est devenu une ressource incontournable d'informations détaillées et impartiales sur la politique au Maroc. À tel point que Tafra recrute pour la première fois un directeur exécutif à plein temps.

Comme l'explique Safya, les fondateurs ne s'attendaient pas à une telle popularité de l'initiative.

« L'idée initiale était de travailler principalement avec des chercheurs et des académiciens », souligne la jeune femme. « Mais très rapidement, des législateurs et des partis politiques se sont adressés à nous et certains nous ont demandé d'organiser des conférences pour les aider à mieux comprendre nos processus législatifs et électoraux. Nous nous rendons compte que notre travail représente un outil très utile pour les acteurs politiques du Maroc.
Nous ne nous attendions pas à cela. »

Malgré la lenteur des réformes et l'intérêt limité du public, Safya est pleine d'espoir pour l'avenir du Maroc.

Les citoyens ordinaires organisent de plus en plus des manifestations dans les rues pour dénoncer la corruption, une évolution qui illustre, selon elle, la confiance croissante qu'ils placent dans les instances politiques.

Et si le Roi conserve le pouvoir au Maroc, il délègue depuis les manifestations de 2011 une partie de son autorité à un gouvernement élu. En vertu de la nouvelle constitution, un Premier ministre issu du parti ayant la plus forte majorité au parlement, est désormais nommé.

Avant le Printemps arabe, les Marocains n'accordaient que peu d'importance aux élections », précise Safya. « Mais cela est en train de changer. Aujourd'hui, le Premier ministre reflète le choix du peuple, même s'il n'exerce que peu de pouvoir. »

Les réformes entérinées par la constitution visent à renforcer l'état de droit, à améliorer l'indépendance de la justice et à décentraliser le pouvoir. La constitution est également garante d'un élargissement des libertés individuelles, d'un accès équitable pour les femmes à la représentation politique et d'un renforcement des droits de l'homme.

Safya et ses collègues de Tafra ne se bercent pas d'illusions et savent qu'il faudra de nombreuses années, voire des décennies, pour que ces changements aboutissent. Ils sont fermement convaincus que la voie de la démocratie pour le Maroc passera par une nouvelle constitution améliorée, qui sera le fruit d'une réflexion concertée plutôt qu'une concession faite à la hâte par le Roi.

« C'est toute la raison d'être de Tafra : identifier les défauts et les manquements de la constitution pour tirer les enseignements de nos erreurs passées ». Et Safya de conclure : « Nous préparons l'avenir. Et quand le jour viendra de modifier la constitution, nous serons préparés. »

Par Claire Bigg

Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle de l’EED (European Endowment for Democracy).