Lesia Vasylenko
7 April 2018Quand des avocats prennent fait et cause pour des anciens combattants ukrainiens
Alors que le conflit dans l'est de l'Ukraine entame sa quatrième année, les difficultés dans l'armée ukrainienne persistent. Une ONG de Kiev se bat pour défendre les droits des soldats.

Un jour de l'été 2014, alors que la guerre opposant les forces du gouvernement aux séparatistes pro-russes faisait rage dans l'est de l'Ukraine, Lesia Vasylenko se rendit à un hôpital militaire de Kiev.
Elle venait porter à un jeune soldat qui avait été gravement blessé au combat et devait subir une opération très coûteuse, une enveloppe pleine d'argent qu'elle avait aidé à récolter à la demande d'une amie.
Elle ne se doutait pas que cette visite allait changer sa vie.
« J'ai commencé à me renseigner sur les lois et j'ai expliqué à la famille du jeune blessé comment elle pouvait faire valoir ses droits », explique Lesia, avocate de formation.
« Et puis la famille m'a demandé d'aider le compagnon de chambre du jeune soldats à l'hôpital, et l'hôpital m'a ensuite demandé d'aider une autre personne, et ainsi de suite.
Ce fut une réaction en chaîne. »
Lesia, qui était alors en congé maternité, décida de consacrer son temps libre à aider les soldats blessés à défendre leurs droits et à obtenir les indemnisations qui leur étaient trop rarement versées en raison de la législation complexe de l'Ukraine et d'une commanderie sans scrupule.
Ce qui débuta comme une initiative bénévole est rapidement devenu un travail à temps plein pour cette jeune femme de 29 ans, qui a mis de côté son emploi au sein d'un cabinet d'avocats pour se consacrer à son action de défense des droits des soldats.
Aujourd'hui, Lesia est à la tête de Legal Hundred, une importante ONG qui compte plus de 200 bénévoles et représentants dans 12 régions.
« C'est plus qu'un travail à temps plein, je travaille 24/24 heures, 7/7 jours », plaisante-t-elle. « Je dis souvent que ce travail est mon troisième bébé : j'en rêve la nuit et je consacre plus de temps à l'ONG qu'à ma famille et à mes amis. Ça fait partie de ma vie.
Ce que nous faisons apporte de réels changements en Ukraine qui ont des répercussions positives sur la vie de centaines de milliers de personne. »
Comme le précise Lesia, les anciens combattants et les soldats actifs dans l'Est représentent l'un des groupes de la population les plus vulnérables du pays.
Leur statut juridique est, dans le meilleur des cas, flou et Lesia affirme que la plupart d'entre eux sont trop fiers pour se plaindre, et encore moins pour demander de l'aide.
Pour les informer sur leurs droits, Legal Hundred, en partie financée par l'EED, imprime des prospectus d'information qu'elle diffuse auprès des hôpitaux militaires et des ONG qui aident les familles de soldats blessés ou tués. Lesia encourage également les entreprises privées à soutenir la campagne d'information en imprimant des prospectus pour son groupe.
« Le rôle d'information de notre travail est très important », précise-t-elle. « Grâce à nous, les gens en savent plus sur leurs droits et sur ce à quoi ils peuvent prétendre. Une fois qu'ils sont en possession de ces informations, ils entreprennent les démarches nécessaires. J'aime à penser que notre action favorise le militantisme social et lutte contre cet état passif-agressif dans lequel sombrent tant de vétérans quand ils reviennent de la guerre. »
Au cours des deux dernières années, Lesia a établi d'étroites relations de travail avec l'état-major et les services publics chargés des anciens combattants. Cette collaboration a permis à son groupe d'obtenir des informations de première main sur les changements juridiques et réglementaires concernant les soldats, mais aussi d'exercer un lobbying plus fort en faveur de réformes législatives.
L'an passé, Legal Hundred formulait une proposition consistant à supprimer des amendements introduits depuis le début de la guerre dans l'est de l'Ukraine, qui autorisent l'armée à prolonger indéfiniment le contrat de soldats qui s'étaient engagés temporairement dans l'armée.
La guerre dans l'est de l'Ukraine entrant dans sa quatrième année, le nombre de volontaires accuse une chute rapide et selon Lesia, les chefs militaires s'arrogent régulièrement le droit de prolonger le contrat des soldats pour les maintenir sur le champ de bataille.
« De nombreux soldats nous ont demandé de les aider à obtenir l'annulation de ces contrats, que beaucoup comparent à une forme moderne d'esclavage », ajoute-t-elle. « Nous avons réussi à rallier l'état-major à notre cause en lui expliquant que ces contrats commençaient à donner une très mauvaise image de l'armée. »
Les changements proposés ont été votés et Legal Hundred signale désormais directement à l'état-major toute violation du processus de retour à la vie civile des soldats. À ce jour, absolument toutes les plaintes ont abouti et tous les soldats qui ont saisi l'état-major à travers l'ONG ont pu rentrer chez eux.
Le groupe s'attache maintenant à renforcer la protection juridique des soldats qui souffrent d'une invalidité permanente, les familles de soldats tués et les personnes qui ont été prises en otage dans l'est de l'Ukraine.
« Personne n'avait prédit cette guerre, notre législation est totalement inadaptée à cette situation » explique Lesia.
Legal Hundred tente également de lutter contre la discrimination endémique entre les sexes qui sévit dans l'armée ukrainienne, où les femmes ne peuvent légalement pas accéder à certaines fonctions réservées exclusivement aux hommes.
« Cela n'a aucun sens, c'est un héritage de l'ère soviétique », déplore Lesia. « Les femmes savent se battre aussi bien que les hommes et elles sont nombreuses à être envoyées au front mais en raison de la législation ukrainienne, elles sont officiellement déclarées comme cuisinières, blanchisseuses ou comptables. Ce qui ampute largement leur salaire et leurs avantages. »
En collaboration avec une autre ONG, Legal Hundred a formulé des amendements sur le statut des femmes dans l'armée. Le projet de loi attend d'être voté, et s'il l'est, il assurerait un salaire égal et le respect des principes d’égalité entre les sexes dans l'armée.
Voilà maintenant presque trois ans que Lesia a lancé son combat pour les soldats ukrainiens.
Le conflit ne montre aucun signe d'accalmie et la jeune femme reconnaît qu'elle et ses compagnons à Legal Hundred sont épuisés.
Mais Lesia n'a aucunement l'intention de baisser les bras.
Les gens que nous défendons représentent un pourcentage relativement faible de la population mais ce sont eux qui protègent notre pays actuellement », insiste-t-elle.
« La situation insupportablement injuste et la douleur de la guerre que vit mon pays, tout cela me donne la force de continuer. Je ne peux pas aller me battre sur le champ de bataille, c'est ma manière à moi d'aider l'Ukraine. »
La hotline du groupe reçoit actuellement 900 demandes d'aide par mois en moyenne - soit trois fois plus qu'il y a un an.
Par Claire Bigg
Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle de l’EED (European Endowment for Democracy).