Serhiy Zhukovskiy
17 February 2017Quand dans l'est de l'Ukraine, un incubateur de projets transforme les citoyens en activistes
Qu’il s’agisse de redonner sa place à l’histoire ou de sauver des espèces de fleurs menacées, l’initiative Hub For Social Activism aide les habitants de Kharkiv à donner vie à leurs projets.

Qu’est-ce que des mordus d’histoire, des paysagistes, une biologiste inquiète de la disparition de certaines plantes et des étudiants anglophiles de Kharkiv ont en commun ?
Ils ont tous frappé à la porte du Hub, une initiative destinée à consolider la société civile dans cette ville du nord-est de l’Ukraine.
Né à Kharkiv, Serhiy Zhukovskiy a fondé le Hub for Social Activism en octobre 2016 après avoir reçu une aide de l’EED.
Lui-même un activiste aguerri de la société civile, il a plus d'un projet social et culturel à son actif. Et il veut maintenant faire profiter les autres de son expérience.
Les gens ont d’excellentes idées, mais dans l’ensemble, ils ne savent pas comment les mettre en place et n’ont pas suffisamment foi en leur capacité à faire bouger les choses », explique Serhiy. « Nous les aidons à concrétiser leurs idées en initiatives réelles. »
Le Hub, établi dans le centre-ville de Kharkiv, est un mélange d’incubateur de projets, de café, de lieu d’événements et de manifestations et d’espace de coworking.
Les activistes en herbe viennent demander conseil à Serhiy et à ses collègues sur la manière de rédiger des demandes aux autorités municipales, d’obtenir l’autorisation d’organiser un événement ou de faire connaître un projet. Ils peuvent utiliser le Hub pour tenir des conférences et des ateliers, organiser des séances de réflexion avec d’autres activistes, peaufiner leur projet et en profiter pour prendre un café.
Le Hub est également ouvert aux visiteurs qui viennent assister à des événements très variés, qu’il s’agisse de conférences, de projections de films et d’expositions.
« Le but est d’unir les initiatives existantes et d’attirer de nouvelles personnes souhaitant participer plus activement à la société civile », précise Serhiy. « Avant la création du Hub, il n’existait à Kharkiv aucun espace de coworking où les gens pouvaient se rencontrer et échanger des idées. »
À ce jour, plus de 1 500 personnes sont venues au Hub.
Parmi elles, citons ce groupe d’historiens qui avait à cœur de faire connaître la riche histoire de Kharkiv à ses habitants.
Avec Serhiy, ils ont mis sur pied une série de conférences nocturnes au Hub, intitulée « La Nuit de l’Histoire », s'inspirant des nuits culturelles organisées par de nombreux musées dans le monde.
Serhiy a récemment été contacté par une biologiste souhaitant sensibiliser le grand public au sort des plantes et des fleurs d’Ukraine menacées d’extinction. En plus d’organiser des ateliers sur la flore native d’Ukraine, le Hub aide cette femme à convaincre les autorités de Kharkiv d’utiliser des espèces locales menacées plutôt que d’importer des fleurs pour décorer la ville.
Le Hub conseille actuellement un groupe d’étudiants qui souhaite ouvrir un espace de partage inspiré par les « anticafés », concept selon lequel les visiteurs payent en fonction du temps passé dans le lieu et non pas en fonction de ce qu'ils consomment. Ce café s’adressera aux personnes désirant améliorer leur anglais, avec des cours d’anglais, des films en anglais et des jeux en anglais mis à disposition.
Le Hub intervient également sur un autre projet qui s’intéresse aux cours intérieures des immeubles, un trait caractéristique des villes de l’ex Union soviétique.
« Un groupe d’architectes propose d’enseigner l’aménagement paysager à des personnes âgées » confie Serhiy.
« De nombreuses personnes âgées font pousser des plantes et des arbres dans leur cour. Certains d’entre eux sont particulièrement doués, mais pour la grande majorité, ce sont des amateurs et le résultat final de ces cours est parfois peu heureux. »
D’après Serhiy Zhukovskiy, l’activisme civique a fait un bond en avant en Ukraine, et plus particulièrement à Kharkiv, depuis l’éclatement de la guerre dans l’est du pays en avril 2014.
Vivant à seulement 40 kilomètres de la frontière russe, les habitants de Kharkiv ont activement aidé les forces du gouvernement qui ne percevaient plus leur solde en leur fournissant des vêtements et de la nourriture.
De nombreuses initiatives ont également vu le jour pour aider les Ukrainiens qui ont dû quitter leur maison en raison du conflit. Kharkiv compte actuellement pas moins de 350 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays.
Pour quiconque ayant toujours rêvé de jouer un rôle actif au sein de la société civile, c’est le moment ou jamais de le faire en Ukraine », affirme Serhiy.
Le jeune homme sait de quoi il parle.
Traducteur et psychologue de formation, il a participé à toute une série d’initiatives ambitieuses au fil des ans.
En juin 2014, c’est lui qui, avec trois copains, avait organisé la toute première Fête de la musique à Kharkiv. Alors que la guerre faisait rage à seulement quelques kilomètres de distance, les habitants ont afflué dans les rues pour jouer ou écouter de la musique, et danser.
« Nous pensions que ça ferait du bien à tout le monde de sortir de chez soi et de laisser les combats derrière soi pendant quelques heures » précise Serhiy, qui joue de la guitare à ces heures perdues. « Quand les choses vont mal, la musique est un allié sûr. Nous voulions leur montrer que la vie continuait malgré la guerre. »
Lorsque les réfugiés venus des zones contrôlées par les séparatistes sont arrivés en masse dans la ville, le groupe de copains a organisé un concert de bienfaisance appelé « Musique contre nourriture ». Au lieu d’acheter des billets d’entrée, les visiteurs achetaient de la nourriture, des vêtements et des produits d'hygiène destinés aux familles déplacées.
Serhiy ne cache pas que la guerre l’a durement touché lui aussi.
Sa mère est originaire de Donetsk et le conflit a causé de profondes divisions au sein de sa famille, une moitié soutenant les séparatistes, l’autre moitié soutenant les soldats du gouvernement.
Nombre de ses amis ont été tués au front. Leur mort l’ont poussé à s’investir d’autant plus pour la société civile dans sa ville natale, et récemment à ouvrir le Hub.
« J’aurais honte de rester à ne rien faire pour améliorer la vie en Ukraine, sachant que mes amis sont morts pour notre pays », déclare-t-il.
Pour ceux qui se rendraient au Hub, le panneau sur la porte affiche en réalité ‘Studio 42’.
« Studio » fait référence à la musique, que Serhiy apprécie particulièrement. Le nombre 42 renvoie à la saga culte de science-fiction « Guide du voyageur galactique » de Douglas Adams, dans lequel 42 est la réponse à la « grande question sur la vie, l’univers et le reste ».
« Le Hub ne prétend pas répondre à la question sur la vie », ironise-t-il. « Mais ce qui est sûr, c’est que nous pouvons fournir des réponses utiles aux personnes qui se tournent vers nous pour avoir des conseils en matière de société civile. »
Par Claire Bigg
Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle de l’EED (European Endowment for Democracy).