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Sergiy Sydorenko

28 December 2016

En Ukraine, un site Web comble le fossé de la couverture médiatique sur l’UE

Lorsque le journal russe Kommersant annonçait en mars 2014 la fermeture de son édition ukrainienne, précipitée par des relations dégradées entre les deux pays et des recettes publicitaires en chute libre, Sergiy Sydorenko et une douzaine d’autres journalistes se sont retrouvés sans travail.

Sergiy Sydorenko Sergiy Sydorenko © European Pravda

Alors que ses confrères cherchaient tant bien que mal un autre poste, Sergiy Sydorenko eut une autre idée :
créer son propre organe d'information.

« Pendant toutes ces années où j’avais alimenté la rubrique Affaires européennes pour le journal Kommersant, je m’étais rendu compte que l’Ukraine avait grandement besoin d'une source d’information fiable sur les questions européennes », explique Sergiy. « L’intégration européenne était une priorité nationale depuis plus de dix ans, et pourtant les médias n’en parlaient pas vraiment. »

La décision de Viktor Yanukovych de remiser un accord clé avec l’Union européenne (provoquant par là même une mobilisation et des manifestations massives à Kiev, puis la destitution de Yanukovych de son mandat de Président quelques semaines avant la fermeture de Kommersant) a fini de convaincre Sergiy Sydorenko que plus que jamais une telle ressource avait toute sa place en Ukraine.

Mais dans un pays ébranlé par l’instabilité politique et chancelant au bord de l'effondrement économique, le financement d’un tel projet était un problème majeur.

« Je savais que ce projet ne pourrait pas être établi dans une démarche commerciale, les médias en Ukraine n’étant pas considérés comme une activité professionnelle », explique Sergiy. « Parce que je ne voulais recevoir d’argent d’aucun oligarque pour des raisons éthiques, je ne pouvais compter que sur des subventions. »

Ainsi, avec un confrère de Kommersant, Yuriy Panchenko, Sergiy Sydorenko contacta la délégation de l’Union européenne en Ukraine, qui lui conseilla de déposer une demande auprès du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM).

« Le FEDEM n’a pas pour habitude de financer les organes médiatiques mais j’ai expliqué qu’en Ukraine, l’intégration européenne était synonyme de démocratie », raconte Sergiy. « Et j’ai trouvé une oreille attentive. »

Convaincus que leur projet verrait le jour, Sergiy Sydorenko et Yuriy Panchenko achetèrent du matériel d’occasion : tables, ordinateurs et fournitures de bureau vendus par Kommersant qui fermait son antenne de Kiev.

« Nous avons eu de la chance parce que la subvention du FEDEM ne nous aurait pas permis d’acheter tout ce matériel neuf », précise-t-il.

Leur site Web, European Pravda, est désormais l’unique organe d’information à couvrir de manière exhaustive les questions de l’Union européenne et le processus de rapprochement du pays. Rédigé en ukrainien et en russe, le site fonctionne comme une ONG sous l’égide du holding Ukrainian Pravda.

Après deux années d’activité, Sergiy Sydorenko peut affirmer que le site Web s’est largement imposé dans le paysage médiatique du pays.

Nous voulions offrir une source d’information fiable sur les questions de l’UE afin de permettre aux médias ukrainiens de mieux informer la population à ce sujet », poursuit Sergiy.

« Aujourd’hui, la qualité de la couverture de l’intégration européenne de l’Ukraine dans les médias nationaux et régionaux n’a rien à voir avec ce qu’elle était il y a deux ou trois ans. Il n’y a aucune comparaison. »

En publiant des informations objectives sur l’Union européenne, le site Web joue un rôle important en ce sens qu’il démonte les théories des médias pro-Kremlin qui clament qu’un rapprochement avec l’Europe serait néfaste pour l’Ukraine.
Pour Sergiy Sydorenko, le site Web invite également les Ukrainiens à s’intéresser aux réformes fondamentales que leur pays va devoir introduire s'il souhaite rejoindre le rang des 28 États membres.

Lorsqu’il a lancé European Pravda, Sergiy Sydorenko pensait que les étudiants et les jeunes habitants de Kiev ayant fait des études formeraient le gros de son audience. À sa grande surprise, les moins de 25 ans ne représentent que 5 % de son lectorat.

Il fut également stupéfait de constater que la moitié du trafic de site Web provenait de régions hors de Kiev. European Pravda compte des lecteurs dans toutes les régions d’Ukraine à l’exception de la Crimée, où le site a été bloqué par les autorités pro-russes qui contrôlent la péninsule depuis son annexion par la Russie en 2014.

Cet intérêt croissant pour les questions européennes est pour lui un signe encourageant de l’intégration difficile de l’Ukraine dans l’UE.

« J’ai été agréablement surpris, car nous, les Ukrainiens, avons l’habitude de vivre dans notre bulle. Nous ne nous intéressons pas vraiment à ce que font nos voisins », déplore Sergiy. « Je pense que les Ukrainiens commenceront à se sentir européens quand nous aurons une véritable couverture médiatique de l’Europe. »

Après avoir bénéficié de trois subventions du FEDEM, European Pravda est désormais co-financé par l’office de l’Union européenne à Kiev et par l’OTAN.

Sergiy Sydorenko souligne que son équipe reste farouchement indépendante et n’hésite pas à condamner les politiques de l’UE qu’elle jugerait erronées.

« C’est un privilège de savoir que nous pouvons critiquer nos donateurs et que nos critiques seront reçues de manière constructive ».

Malgré les longues journées et les modestes salaires versés par European Pravda, Sergiy Sydorenko se dit satisfait de la popularité du site et n’a aucunement l’intention de saisir des opportunités plus lucratives. Et selon lui, toute l’équipe pense la même chose.

« Nous ne voulons pas des journalistes qui cherchent à gagner beaucoup d’argent, nous voulons ceux qui se passionnent pour l’intégration européenne », déclare Sergiy. Et de conclure, « l’enthousiasme est le secret de notre réussite : European Pravda n’existerait pas son cet ingrédient indispensable. »

Par Claire Bigg


Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions du bénéficiaire de subventions et non pas forcément la position officielle du FEDEM.