Ambitieux projets pour une chaîne de télévision indépendante en Ukraine

Dans le paysage médiatique lourdement commercialisé d’Ukraine, une chaîne de télévision indépendante s'impose - et ne manque pas de se faire quelques ennemis au passage.

Katya Gorchinskaya © Hromadske TV

Un pays en guerre, un gouvernement hostile, des menaces, des propos insultants en ligne et un budget restreint : l'avenir était plus qu'incertain pour Hromadske TV, la chaîne de télévision indépendante d'Ukraine.

La chaîne en ligne a été lancée en novembre 2013, au tout début des manifestations pro-démocratie d'Euromaidan à Kyiv, comme une alternative aux organes médiatiques étatiques et privés dirigés par les oligarques.

Malgré ces conditions défavorables, la chaîne s'est depuis imposée comme l'un des organes médiatiques les plus influents du pays.

Pour la directrice exécutive, Katya Gorchinskaya, l'engagement indéfectible de son équipe a permis à Hromadske TV de séduire un large public, mais lui a valu dans le même temps de se faire de farouches ennemis.

Nous voulons être un organe médiatique au service des Ukrainiens pour les aider à comprendre ce qui se passe réellement dans le pays et à se forger des opinions, assurés de pouvoir se fier à leur source d'informations », explique Katya.« Pour cela, nous révélons souvent des choses que les gens ne veulent pas entendre. Nous sommes comme une épine dans le pied de nombreuses personnes. »

Hromadske TV a été créée par un groupe de journalistes frustrés par la censure et la distorsion systématiques des médias ukrainiens. Leur but était de créer le premier diffuseur public du pays, un organe de média capable de diffuser de réelles informations sans l'interférence des autorités ou des magnats des médias.

Ayant le statut d'ONG, la chaîne en ligne compte désormais quelque 130 reporters et dépend des dons publics et des subventions. La chaîne est gérée par ses journalistes qui prennent collectivement les décisions éditoriales.

« La vaste majorité des canaux médiatiques appartiennent à des oligarques qui les utilisent pour promouvoir leur agenda politique ou commercial » déplore Katya Gorchinskaya. « Ce système est en place en Ukraine depuis 25 ans, il est très efficace et très difficile à démanteler. En ce sens, Hromadske TV est potentiellement un élément explosif de la scène médiatique du pays. »

Dénoncer la corruption

La chaîne n'a pas hésité à critiquer la politique du gouvernement et à dénoncer la corruption au sein des hauts fonctionnaires.

En avril 2016, elle publiait des documents qui avaient fuité à l'occasion des Panama Papers, suggérant que le président Petro Poroshenko - qui avait été élu en mai 2014 sur des promesses de grand nettoyage des politiciens véreux en Ukraine - avait secrètement créé une société offshore dans les Iles vierges britanniques trois mois après sa prise de pouvoir, alors que ses troupes subissaient une attaque dévastatrice par les séparatistes pro-russes dans l'est du pays.

Hromadske TV a joué un rôle crucial en brisant les mythes et les fausses rumeurs circulant dans les médias russes à propos du conflit. Dans le même temps, la chaîne a régulièrement mis en lumière les manquements de l'armée ukrainienne, un sujet très controversé que les journalistes ukrainiens rechignent trop souvent à aborder.

La chaîne a publié des rapports accablants faisant état d'unités en sous-effectifs, de soldats renvoyés au front alors qu'ils étaient gravement blessés et de tentatives d'entraver le travail des journalistes sur le terrain.

Encore plus controversé, la chaîne a dénoncé des violations des droits de l'homme commises par l’armée gouvernementale.

« Il n'y a pas que les méchants qui jettent les soldats ukrainiens en prison, les torturent et les exécutent. Nos soldats font exactement la même chose », déplore Katya. « Les chaînes appartenant aux oligarques continuent de nous débiter des rapports chauvinistes sur nos soldats héroïques. Nous avons, en effet, des héros parmi nos soldats et Hromadske TV ne s’est pas privée de vanter leur courage, mais cela ne justifie pas de passer sous silence les abus quand il y en a. »

Réaction brutale

La réaction des détracteurs a été violente.

La chaîne est régulièrement accusée de manquer de patriotisme et les reporters subissent un harcèlement et reçoivent des menaces en ligne. En juillet, Hromadske TV fut accusée dans un communiqué de dévoiler la position des troupes ukrainiennes et d'avoir introduit clandestinement un journaliste russe au front.

Les accusations diffusées en ligne se sont répandues comme une traînée de poudre dans ce que Katya Gorchinskaya qualifie d'« attaque organisée » par des trolls d'internet. La chaîne n'a pas tardé à recevoir des appels de militaires en colère déclarant qu’ils se sentaient trahis et ne communiqueraient plus avec la chaîne.

« C’était un tissu de mensonge, du début à la fin », accuse Katya. « Nos journalistes ont reçu des menaces et notre réputation a été sacrément entamée. »

Autre obstacle de taille pour Hromadske TV, un cruel manque de moyens. Comme l’explique Katya Gorchinskaya, les dons et les subventions qui ont permis à la chaîne de garder la tête hors de l’eau au cours des trois dernières années, ne suffisent plus à couvrir les dépenses croissantes.

La chaîne de télévision fait l’ambitieux pari d’atteindre le chiffre de 7 millions de téléspectateurs au cours de l’année à venir, quand elle aura obtenu une licence historique d’émission par satellite. Le lancement sera financé par l’EED.

Soutien de l’EED

« Avec l’aide de l’EED, nous avons créé un précédent en Ukraine », se réjouit Katya. « La réglementation en Ukraine avait été formulée de telle manière que seules les organisations commerciales pouvaient bénéficier d'une licence. Nos avocats ont réussi à convaincre les législateurs de changer de position, ce qui est un exploit ».

L’EED parraine plusieurs autres initiatives de Hromadske TV, notamment un projet vidéo 3D destiné à mettre en avant les difficultés quotidiennes des vétérans mutilés du conflit dans l’est de l’Ukraine. Le projet sera réalisé en collaboration avec Joseph Sywenkyj, éminent photographe américain d’origine ukrainienne.

Pour pérenniser son développement, Katya confie que la chaîne cherche à diversifier ses sources de revenus à travers des partenariats publicitaires et médiatiques. Quant aux menaces et aux attaques de trolls, elle choisit de les considérer comme un signe d’encouragement.

« Nous suscitons des émotions très disparates, allant de l’enthousiasme débordant à la haine profonde », ironise-t-elle.
« Cela me rassure car ça signifie que les gens ne sont pas indifférents à Hromadske TV, qu’ils nous prennent au sérieux.
Nous avons établi la barre haute et nous allons travailler très dur pour l’atteindre. »

Par Claire Bigg

Clause de non-responsabilité :Cet article reflète les opinions de Katya Horchynska de Hromadkse TV et non pas forcément la position officielle de l’EED.