Abdelwaheb Madhi
26 January 2017De femmes au foyer à leaders : quand une ONG tunisienne fait entrer des femmes dans l'arène politiqu
Abdelwaheb Madhi a passé plus de 20 ans en détention pour ses opinions politiques. Aujourd'hui, il entend soutenir la transition démocratique de la Tunisie – et aider les femmes à s'engager dans ce processus.

Le 12 février 2016, un groupe de femmes se rendait au parlement tunisien pour réclamer une plus grande parité en politique.
Elles étaient venues du gouvernorat de Médenine, à quelque 400 kilomètres au sud de Tunis, pour s'adresser au comité chargé de rédiger les nouvelles lois électorales du pays, suite à la révolution de 2011.
Pour la région de Médenine profondément conservative, cette audience fut ni plus ni moins historique.
« Dans certaines zones de notre gouvernorat, les femmes ne peuvent même pas sortir dans la rue sans être accompagnées d'un homme » dénonce Abdelwaheb Madhi, directeur de l'ONG qui a soutenu cette petite délégation. « Les femmes doivent pouvoir peser plus dans les prises de décision. Elles possèdent une vaste expérience pratique et sont largement capables de participer à la vie politique. »
Quatre mois après l'audience, les législateurs avaient massivement adopté une loi historique garantissant la parité aux élections régionales et municipales - une belle victoire pour les défendeurs des droits des femmes tunisiennes qui, à l'instar d'Abdelwaheb, avaient mené une campagne active pour cette loi.
Abdelwaheb Madhi a fondé en 2014 l'antenne de Médenine de l'ONG tunisienne Pôle Civil pour le Développement et les Droits de l'Homme. Le groupe s'attache à renforcer la société civile à travers des activités très variées, allant de la sensibilisation aux questions des droits de l'homme à la promotion de la responsabilité du gouvernement, en passant par l'amélioration des services de santé, la formation des observateurs électoraux ou l'entrée des femmes en politique.
Six années se sont écoulées depuis que la révolution de Jasmin a causé la chute de l'homme fort Zine El-Abidine Ben Ali, et la Tunisie a été saluée comme une réussite des révoltes du printemps arabe. Mais en dépit de ses incontestables avancées démocratiques, le pays reste une société profondément patriarcale. Abdelwaheb Madhi précise que bien que 60 % des diplômés des universités soient des femmes, elles restent largement sous-représentées dans la vie politique du pays.
Les lois qui ont été votées depuis la révolution confèrent, certes, plus de droits aux femmes, mais dans les faits, la réalité est tout autre » déplore-t-il.
Les femmes qui ont rencontré les parlementaires en février dernier faisaient partie d'un groupe de 40 personnes de la région de Médenine qui avaient suivi une formation dispensée par le Pôle civil afin de renforcer la participation des femmes à la vie politique locale. Le programme continu, financé par l'EED, se déroule dans le contexte d'un gouvernement cherchant à déléguer plus de pouvoir aux communautés locales.
« Ce projet me tient particulièrement à cœur », confie Abdelwaheb Madhi. « Nous aidons à mettre en avant des femmes qualifiées qui bénéficieront d'égalité des chances lors des futures élections. Ces femmes sont capables de faire bouger les lignes. »
Si certaines des femmes ayant suivi le stage avaient déjà une expérience de la gouvernance de par leur appartenance à des partis politiques, beaucoup étaient des mères au foyer lorsque le Pôle civil les a sélectionnées parmi les candidates aux programmes. Certaines d'entre elles jouent depuis un rôle de leadership au sein de leur communauté.
« C'est un changement énorme pour ces anciennes femmes au foyer ; elles ont véritablement défié le statu quo patriarcal », commente-il sans bouder son plaisir.
Abdelwaheb Madhi lui-même est un nouveau-venu sur la scène de la société civile.
Arrêté alors qu'il avait 17 ans pour son implication dans un parti souterrain de l'opposition, il a passé plus de deux décennies - quasiment la moitié de sa vie - en prison ou sous le coup d'une assignation à résidence. Il a aujourd'hui encore du mal à évoquer cette période de sa vie.
« En prison, j'ai été torturé pendant 40 jours », dit-il en essuyant ses larmes. « J'ai été libéré six mois plus tard et placé en résidence surveillée. J'ai passé 22 ans confiné dans ma propre maison à Tunis. »
Quand Abdelwaheb a pu finalement sortir, les autorités lui ordonnèrent de quitter la ville et de ne jamais revenir. Après un bref séjour en Libye, il revint en Tunisie et reprit ses activités au sein de l'opposition. Il rencontra sa femme peu de temps après et partit vivre avec elle dans sa ville natale, Médenine.
Lorsque la révolution de Jasmin éclata, Abdelwaheb prit fait et cause pour le soulèvement contre le régime qui lui avait volé sa jeunesse. Il expliqua la révolte à ses deux enfants et les emmena à quelques-uns des rassemblements. Et lorsque lui et son épouse introduisirent fièrement leur bulletin de vote dans l'urne lors de la première élection démocratique tunisienne après la révolution, en octobre 2011, leurs enfants étaient là pour assister à l'événement.
C'est un commentaire de son fils au bureau de vote qui persuada Abdelwaheb de se retirer de la politique et de se consacrer au militantisme civique.
« Après que nous avions voté, voyant nos doigts barbouillés d'encre, mon fils, qui avait six ans à l'époque, déclara la chose suivante : « Je veux voter moi aussi quand je serai grand », se souvient-il avec une certaine émotion. « Ce jour-là, je fis une promesse à mon fils : que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger les acquis de la révolution et garantir qu'il pourra à son tour participer à des élections libres. »
Pour Abdelwaheb, il est apparu évident qu'il serait plus utile à la Tunisie post-révolutionnaire en tant militant de la société civile qu'en tant que membre d'un parti politique. Sur un plan plus personnel, sa participation à la société civile l'a également aidé à panser les plaies de ses années de détention.
Aujourd'hui, il se consacre pleinement à la gestion de son organisation grandissante et à la transition démocratique de son pays.
« Du statut de victime ayant subi une injustice, je suis devenu un membre actif de la société », déclare-t-il. « Je me suis engagé dans la société civile pour des raisons très personnelles, mais mes motivations autrefois émotionnelles sont aujourd'hui sont d'ordre pratique. Créer une telle ONG relevait, avant, du rêve. Maintenant, c'est une réalité. »
Par Claire Bigg
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