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Polina Ceastuhina | Victoria Apostol

22 December 2016

Un groupe de féministes s’attaque au sexisme en Moldavie

Le jour, Polina Ceastuhina, 28 ans, travaille comme experte en communication pour une agence de création à Chișinău. Victoria Apostol, 27 ans, travaille pour un groupe de défense des droits de l’homme dans la capitale moldave.

Polina Ceastuhina | Victoria Apostol Polina Ceastuhina & Victoria Apostol © Group of Feminist Initiatives

En dehors du travail, les deux jeunes femmes partagent une mission commune : prouver à leurs compatriotes que ‘féminisme’ n’est pas un gros mot.

« Si les Moldaves ne sont pas très familiers avec ce terme, ils le sont en revanche avec les stéréotypes qui l’entourent, à savoir que toutes les féministes sont lesbiennes, qu’elles ont des poils aux jambes et qu’elles détestent les hommes », déclare Victoria. « Même s’il n’y a pas de mal à être lesbienne. »

Polina et Victoria dirigent le Groupe d’Initiatives Féministes, un mouvement destiné à promouvoir l’égalité entre les sexes et à défier les attitudes patriarcales encore fortement ancrées dans cet ancien pays soviétique.

Ces deux jeunes femmes, qui ont fait leurs études à l’étranger, savaient qu’elles mèneraient un rude combat en s’engageant dans le militantisme féministe, fin 2014. Si la Moldavie affiche un taux honorable de femmes qui réussissent sur le plan professionnel, les rôles traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes sont rarement remis en question, et un grand nombre de Moldaves, y compris les femmes, se méfient du féminisme.

« Les sociétés post-soviétiques sont très patriarcales, le mode d'interaction entre les hommes et les femmes est profondément enraciné », précise Polina. « Même les femmes d’affaires, les femmes de pouvoir, reprennent leur rôle traditionnel une fois qu’elles sont de retour à la maison. »

Lorsque le Groupe d’Initiatives Féministes fut créé, la Moldavie comptait déjà plusieurs ONG œuvrant pour l’égalité entre les sexes et une meilleure représentation des femmes sur la scène politique. Mais, selon Polina et Victoria, toutes rechignaient à se décrire comme des organisations féministes.

Les deux jeunes femmes étaient les premières à publiquement revendiquer leur féminisme en Moldavie et il n’aura pas fallu longtemps pour que leur position audacieuse attire l’attention à Chișinău.

Leurs clubs de lecture annoncés sur les réseaux sociaux et axés sur des questions liées au genre ont très vite séduit une audience constante. Elles se sont rapidement associées à GenderDoc-M, un groupe national de défense des droits des LGBT, afin d’organiser la toute première marche féministe dans le pays, au printemps 2015.

Le groupe a également fait entendre parler de lui en luttant activement contre la discrimination faite aux femmes dans la sphère publique, en particulier en politique. Il a soutenu une campagne en faveur de l’introduction de quotas pour la place des femmes au Parlement et en 2015, et a arraché des excuses officielles au maire de Chișinău, Dorin Chirtoaca, qui avait prononcé des remarques sexistes concernant sa rivale et déclaré que « la fonction de maire était pour les hommes ».

Le Groupe d’Initiatives Féministes a depuis élargi son champ d’action et cherche à sensibiliser sur d’autres aspects de l’égalité entre les sexes qui ne sont pas explicitement liés au féminisme. Entre mars et août 2016, Polina et Victoria ont organisé six conférences publiques financées par le FEDEM, portant sur des sujets d’expression sexuelles, les difficultés pour les mères célibataires, la discrimination faite aux femmes roumaines de Moldavie, le corps et l’identité, les droits des travailleurs du sexe et le rôle du gouvernement et de l’Église dans l’éducation sexuelle.

L’objectif, pour reprendre les propos de Victoria, était de briser les stéréotypes en mettant une plateforme à disposition des groupes vulnérables ou marginalisés souhaitant partager leurs expériences.

« Ces questions sont rarement évoquées en Moldavie et quand elles le sont, c’est en général avec une vision stéréotypée et biaisée », déplore Victoria.

Ces conférences, auxquelles ont participé d’éminents militants, représentants politiques et experts de Moldavie et d’ailleurs, ont rencontré un succès retentissant.

« Les salles étaient toujours pleines, parfois il n’y avait pas de chaises pour tout le monde », poursuit Victoria.
« Les conférences étaient programmées sur une heure mais elles finissaient toujours par déborder, les gens n’arrêtaient pas de lever la main pour poser des questions. Certaines séances s’étiraient sur plus de deux heures et se seraient même prolongées si nous ne les avions pas interrompues tellement les intervenants étaient épuisés. »

Pour toucher un plus large public, les séances ont été transmises en ligne et des vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Selon Polina et Victoria, les conférences ont été une expérience révélatrice pour de nombreux membres du public, dont certains se sont ensuite entretenus avec les militants pour partager leurs impressions.

Quand les gens commencent à remettre en question leurs propres préjugés, c’est là que vous savez que vous avez un impact », se réjouit Polina.

Les deux jeunes femmes sont régulièrement invitées à intervenir lors de manifestations, conférences et talk-shows en Moldavie. Mais elles sont conscientes que leur capacité à changer les mentalités en Moldavie reste limitée et comme le souligne Victoria, leur but n’a jamais été de dominer le discours public sur le féminisme et l’égalité entre les sexes dans le pays.

« Nous voulions encourager les personnes qui assistent à nos rendez-vous à organiser leurs propres événements ou à intégrer l’aspect du genre dans leurs propres projets » poursuit-elle. « Et c’est précisément ce qui est en train de se produire. »

Le groupe a en particulier incité un certain nombre d'hommes à promouvoir le féminisme et à se déclarer eux-mêmes publiquement féministes.

Pour Polina et Victoria, les fonds versés par le FEDEM, leur toute première subvention, convenaient parfaitement à leurs besoins. Ces fonds leur ont permis de couvrir les frais de location de salles de conférence, de transmission en ligne et de déplacement et d’hébergement des intervenants.

Elles ont désormais l’ambitieux projet de lancer la toute première ressource en ligne de documentations et publications féministes en roumain. Elles souhaitent cependant rester un mouvement de proximité reposant sur le volontariat.

« En Moldavie, les gens pensent que les ONG sont motivées par la perspective de percevoir des subventions » regrette Polina.
« Mais nous avons un travail, nous ne cherchons pas à gagner de l’argent à travers notre militantisme. Nous voulons continuer de fonctionner en tant que mouvement informel. C’est très important pour nous. »

Par Claire Bigg

Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du FEDEM.