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Mouhamad Mallak

18 October 2018

Défendre les médias indépendants pour les femmes syriennes, par les femmes syriennes

À travers un magazine et un portail, un journaliste et dramaturge syrien primé aide les femmes du pays à avoir accès à des informations indépendantes et impartiales sur des sujets qui les touchent.

Mouhamad Mallak Mouhamad Mallak © EED

La guerre en Syrie a bouleversé la vie des gens, avec des conséquences catastrophiques. Et cela est particulièrement vrai pour les femmes qui endossent des rôles jusque-là réservés aux hommes, mais ces derniers ont été tués à la guerre, ont été faits prisonniers, ont trouvé refuge à l'étranger ou se cachent pour échapper aux milices ou à l'armée en perpétuelle quête d'hommes. Ces femmes veulent s'informer et faire entendre leur voix.

Mouhamad Mallak, journaliste, scénariste et dramaturge primé de Swaidaa, a fui en Turquie après avoir participé à la révolution contre le régime d'Assad. Là, il a créé deux magazines et formé plus d'un millier de journalistes citoyens, dont plusieurs centaines sont des femmes.

L'un des magazines, dont il est désormais le rédacteur en chef à Berlin, est la publication d'une organisation plus vaste qui s'intéresse au développement des femmes. Son nom : Saiedet Souria (un jeu de mot en arabe, signifiant « Dame de Syrie » par opposition à « La première dame de Syrie » qui fait référence au titre donné à la femme du président). Le magazine Saiedet Souria, dont l'équipe est essentiellement féminine, cherche à offrir aux femmes de Syrie une plateforme indépendante afin de les renseigner sur leurs droits, dénoncer les violences dont elles font l'objet, sensibiliser l'opinion publique sur la condition des femmes syriennes et leur donner l'occasion de partager leur récit et rester informées. Fort d'un réseau d'agences réparties dans tout le pays dont s'occupent quelques 80 employés, le magazine cible particulièrement les femmes et les enfants marginalisés dans les communautés les plus isolées. Il a, en outre, ouvert récemment un centre à Raqqa, désormais libérée de Daech.

Il pourra paraître surprenant de voir qu'un homme est à l'origine d'un magazine destiné à un public féminin, mais l'équipe de Saiedet Souria compte des dizaines de femmes, dont la plupart occupent des postes à responsabilités, et Mouhamad ne manque pas de préciser que son intérêt pour la condition de la femme n'a rien de nouveau. La première série télévisée qu'il a écrite, bien avant le déclenchement de la guerre, s'intéressait à la position des femmes travaillant au Moyen-Orient, mettant en garde contre la détérioration de leur condition et leur exploitation au travail. Souvent contraintes d'effectuer des journées interminables, indépendamment de leur état de santé, elles percevaient le salaire minimum, étaient victimes d'exploitation et enduraient des souffrances au seul motif qu'elles étaient des femmes.

Il est important que les hommes se fassent les porte-paroles des femmes et défendent leurs droits », affirme Mouhamad.

Une indépendance reconnue

Alors que je m'entretiens avec Mouhamad qui m'explique le concept de Saiedet Souria, en marge du Global Media Forum à Bonn, une femme vient s'adresser à lui et se présente en arabe. Il s'agit de Dareen Hassan, féministe et réalisatrice syrienne vivant aux Pays-Bas, qui s'avère être une fidèle lectrice de Saiedet Souria. « C'est totalement inédit dans le monde arabe », déclare Dareen. « Une voix indépendante qui ne soit pas politique. »

Le FEDEM a soutenu le magazine Saiedet Souria dès ses premières heures en 2015, contribuant à la création de la version électronique afin de s'adresser aux femmes qui ne peuvent avoir accès à la version papier. Le FEDEM a récemment renouvelé son soutien au magazine, lui permettant de continuer d'exister en ces temps difficiles et face à la fluctuation des aides versées par les donateurs. S'il existe désormais une version en ligne avec un forum de discussion actif, il est vital de pouvoir continuer à distribuer le magazine au format papier dans des zones de conflit dénuées d'un accès à Internet, précise Mouhamad. « La plupart des médias en Syrie sont soutenus par un camp ou par l'autre et se contentent de dénoncer les atrocités commises par le camp adverse. Le reste, on n'en entend jamais parler », déplore-t-il. « Certaines femmes des régions reculées n'ont aucune idée de qu'il se passe ; entre un tir et un autre, seul varie le titre du magazine. Nous devons informer les gens sur la paix. »

Le centre Saiedet Souria de Raqqa tente déjà de panser les blessures émotionnelles subies pendant l'occupation de la ville par Daech. L'un des projets du centre consiste à former les femmes à l'art du récit et à l'écriture de nouvelles qui pourraient être sélectionnées et publiées dans le magazine en contrepartie d'un paiement pour leur travail. Le centre organise également d'autres activités pour les femmes et les enfants, qui sont, pour beaucoup, profondément traumatisés par les bombardements et l'occupation de Daech.

Un bel avenir pour les femmes de Syrie ?

Si Mouhamad s'émeut de voir que les différents acteurs internationaux qui soutiennent des factions en guerre en Syrie n'ont aucune idée de ce à quoi la paix doit ressembler et prolongent la guerre à travers leur soutien aux belligérants, il est persuadé que les gens finiront par se lasser et cesseront de se battre. Et il croit fermement que ce jour-là, les femmes syriennes bénéficieront d'une énorme opportunité, citant l'exemple du Rwanda d'après-guerre où le nombre de femmes parlementaires dépasse le nombre de leurs homologues masculins. Il est convaincu que l'impulsion du changement sera insufflée autant par celles qui sont restées pendant toute la durée du conflit et celles qui sont actuellement à l'étranger et qui espèrent revenir dans leur pays.

Les syriennes sont allées en Europe et ont vu comment elles peuvent changer leur vie », déclare Mouhamad. « Aucun Syrien qui a pu voir à quoi ressemblait la vie en Allemagne ou dans d'autres pays européens n'acceptera la Syrie dans son état actuel ou comme elle était avant. »

Par Sarah Crozier

Clause de non-responsabilité : Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM).