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Joumana Haddad et le Joumana Haddad Freedoms Center

27 September 2022

Mieux armer la nouvelle génération au Liban

L’auteur, journaliste et militante récompensée pour son travail se bat au Liban contre vents et marées pour constituer un vivier de jeunes activistes, futurs acteurs du changement.

Joumana Haddad et le Joumana Haddad Freedoms Center

« C’est après m’être vu privée de mon siège parlementaire à Beyrouth en 2018 que j’ai compris l’importance qu’il y a à investir dans les jeunes et à les armer et les équiper avec les bons outils pour défendre les valeurs qu’ils prônent et pour lesquelles je me bats depuis trente ans. Des valeurs comme la laïcité, la dignité, l’égalité, l’inclusion et les libertés individuelles », énumère Joumana Haddad, l’éminente auteur, journaliste et défenseur des droits de l'homme lors d'un entretien avec le FEDEM.

En septembre 2019, Joumana créait le Joumana Haddad Freedoms Center (JHFC), premier jalon qui allait l’aider à concrétiser cette vision. Militante reconnue sur le plan national et international – elle figure parmi les 100 femmes arabes les plus influentes recensées par le Arabian Business Magazine – Joumana s’est vu décerner de nombreux prix internationaux pour son travail et elle est l’auteur de dizaines de livres.

« JHFC, c’est comme mon legs, au même titre que mes livres, mes articles, le magazine Jasad et l’émission télévisée. C’est un prolongement du travail que j’ai accompli toute ma vie durant », précise Joumana.

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En décembre, le JHFC lançait ses activités avec un premier atelier qui a suscité un vif intérêt auprès des jeunes encensés par la vague de militantisme née des soulèvements et des manifestations d’octobre 2019.

« Nous sommes rapidement devenus un espace de rencontre pour des gens issus d’horizons différents, des journalistes, des militants, des universitaires, des citoyens vaguement intéressés par le militantisme, qui peuvent ici discuter des événements au Liban et débattre de la manière de faire émerger une autre société pour un avenir meilleur », ajoute-t-elle. « Nous avons également créé des clubs portant sur différents centres d’intérêt (féminisme, lecture, journalisme, etc.) et avons organisé des cours d’auto-défense pour les jeunes femmes compte tenu du nombre alarmant de cas de harcèlement de rue. »

Ces trois dernières années n’ont pas été un long fleuve tranquille pour le Centre, une situation plombée d’autant plus par la pandémie de Covid-19, contraignant le Centre à migrer vers les activités en ligne, et l’explosion au port de Beyrouth en août 2020 qui a détruit ses locaux. Mais là encore, il n’était pas question pour Joumana de baisser les bras. L’équipe a trouvé un nouveau lieu et s’y est installée.

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Débats itinérants : favoriser la prise de parole

C’est au lendemain de l’explosion que le Centre a commencé à collaborer avec le FEDEM, lançant son projet « Débats itinérants » qui a donné lieu à deux séries de débats qui se tiennent dans des cafés et des maisons de la jeunesse et de la culture de tout le pays.

« Au cours des deux dernières années, nous avons formé 128 jeunes à l’art du débat académique selon le modèle d'Oxford. Ils viennent tous de différentes régions, ils sont de sexes différents et ils ont des orientations sexuelles différentes. Nos débats abordent quatre grands thèmes : la laïcité, le droit des femmes et l’égalité, les questions LGBTQI+ et enfin, la liberté d’expression », explique Joumana.

Les jeunes sont formés pour argumenter en faveur des deux points de vue, une expérience qui, si elle reste difficile, les aide à comprendre les autres.

À la question de savoir s’il arrivait que les débatteurs soient la cible d’hostilités lorsqu’ils lancent des sujets souvent controversés, Joumana répond par la négative.
« Lorsque nous choisissons les sujets de nos débats, nous privilégions ceux pour lesquels la discussion est possible. Ainsi, lorsque nous lançons un débat sur les droits des personnes LGBTQI+, nous commençons avec le concept de liberté individuelle ou de respect de la vie sexuelle, même si certains désapprouvent ou déplorent ces modes de vie.

Et quand nous voulons aborder le thème de la laïcité, nous parlons de la situation inégalitaire au Liban en raison des différentes législations sur le statut personnel propres à chacune des 18 sectes religieuses que compte le pays. Ces arbitrages religieux ont de graves répercussions sur les femmes, notamment en matière de divorce ou de garde des enfants. Chaque communauté religieuse fixe son propre âge pour se marier, certaines permettant le mariage de fillettes de 12 ans à peine. Il nous faut un droit civil unifié et commun à tous », plaide Joumana.

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Mieux armer les acteurs du changement

Selon Joumana, en suivant ces formations et en participant à ces débats, les jeunes sont mieux armés pour devenir des citoyens actifs et informés. À travers ces débats, elle voit se former des ambassadeurs du changement, chacun dans sa propre communauté.

« J’appelle ça l’approche de la fourmi », ironise-t-elle. « Nous avançons lentement mais sûrement. J’ai foi dans ce changement qui se produit de manière progressive. Il peut s’agir simplement de dénoncer un harceleur ou de recadrer un ami qui raconte une blague homophobe. »

Malheureusement, avec la crise économique que traverse le Liban, nombreux sont les jeunes débatteurs qui ont quitté le pays ou prévoient de le faire. Et ceux qui restent ont trop à faire pour survivre et subvenir aux besoins de leurs familles et parents. Mais une fois de plus, Joumana refuse de se laisser gagner par le désespoir. « J’ai surmonté bien des obstacles dans ma vie. Je compte mener à bien ce travail », affirme-t-elle.
« Nous restons modestes et axés sur les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous n’avons pas de personnel à temps plein », poursuit-elle, expliquant que le Centre est actuellement en pourparlers avec des donateurs pour lancer un troisième cycle de débats.

Elle a également récemment redémarré Jasad Media, un magazine papier créé en 2009 et diffusé aujourd’hui au format en ligne qui aborde des sujets tels que le corps, la sexualité, l’identité de genre et la politique, sans oublier la discrimination et la violence dans le monde arabe et au-delà. Pour elle, ce média s’inscrit naturellement dans la lignée du JHFC.

Parce que les donateurs internationaux se focalisent actuellement sur l’aide humanitaire dans un Liban meurtri par la crise, il est difficile de trouver des financements pour des actions citoyennes. Le temps, ou plutôt le manque de temps représente également un obstacle majeur. Et Joumana de conclure, « j’ai plus d’une corde à mon arc. Je sais faire plein de choses en même temps et je ne renonce pas. C’est un peu comme faire du vélo. À trop y réfléchir, on finit par tomber.”

Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.