Diana Ruda et Nakipelo
22 September 2022Raconter la guerre depuis Kharkiv
Il y a sept mois, Diana Ruda de Nakipelo endossait du jour au lendemain le rôle de journaliste, travaillant depuis sa cave à Kharkiv, alors que la ville était la cible de tirs d’artillerie des forces russes.

Цей матеріал також доступний українською
Le jour de l’invasion russe en Ukraine, la vie de Diana Ruda changeait à tout jamais.
Munie d'un appareil-photo, elle s’est mise à arpenter la ville afin de documenter la dévastation de Kharkiv, la deuxième ville du pays et cible d'un intense pilonnage russe.
Devenue journaliste du jour au lendemain, elle a publié des photos et des actualités sur les réseaux sociaux et sur le site de Nakipelo, la plateforme médias basée à Kharkiv qu’elle dirige aujourd'hui.
Autrefois directrice associée de la branche commerciale de Nakipelo, elle assume désormais le rôle de directrice générale du média.
Diana était l’une des trois journalistes de Nakipelo à être restés sur place alors que la ville essuyait un déluge de bombes russes. Les premiers jours de la guerre ont été particulièrement difficiles.
« Nous étions désemparés au début. Nous ne savions pas comment travailler dans nos caves. Nous voulions agir et montrer au monde ce qu'il se passait. Contrairement aux journalistes étrangers, nous n’avions pas de gilet pare-balles, et disposions de matériel très limité. Nous avons appris à travailler en temps de guerre », raconte Diana.
Un média créé dans l’ère post-Maidan
La plateforme Nakipelo a été créée dans le sillage de la Révolution de la Dignité, se voulant être une source d’information alternative pour la population essentiellement russophone de la ville de Kharkiv et des environs, une région qui a toujours sous la coupe de médias contrôlés par le Kremlin et qui manquait cruellement de médias indépendants.
Officiellement enregistrée en 2015, la plateforme intègre différentes entités : un site d'information en ligne, Nakipelo.ua, un centre de presse qui, avant la guerre, débordait d’activités mais qui est aujourd'hui à l’arrêt, une station de radio en ligne, lancée en septembre l’année dernière et une palpitante académie de formation pour les professionnels des médias.
Bilingue dans un premier temps, avec du contenu à la fois en russe et en ukrainien, Nakipelo est désormais publiée uniquement en ukrainien, et la plateforme a également lancé une série de vidéo en langue anglaise sur Youtube.
Comme l’explique Diana, la plateforme Nakipelo s’est toujours efforcée de servir et d’informer la population sur des sujets qui la touchent, une mission qu’elle continue à remplir alors que la guerre s’éternise. Si Diana devait décrire le profil type de son lectorat, elle dirait qu’il s’agit de trentenaires diplômés, travaillant probablement à leur compte. Des personnes qui s’investissent dans le futur de leur ville, « des gens actifs », comme elle les décrit.
Rester au service de la population en temps de guerre
Le jour où Diana s’entretient avec le FEDEM, la ville baigne dans un calme apparent, mais la guerre n’est pas loin et les combats font rage à seulement 15 minutes de la dernière station de métro de la ville. Kharkiv est loin d’être sécurisée, mais les habitants rentrent chez eux.
« Nous ne couvrons pas la guerre 24/24 heures et 7/7 jours, d’autres médias s’en chargent. Nous continuons à animer les mêmes débats, comme nous l’avons toujours fait avec notre audience. Nous faisons état des dégâts occasionnés par cette guerre et parlons de ce qu’il faut faire. Nous aidons les gens et les informons sur la situation du logement, de l’emploi à l’étranger, du support psychologique, une aide précieuse en cette période où tant de personnes sont séparées de leurs familles et de leurs proches », insiste Diana.
Nakipelo n’a jamais cessé de publier les actualités et des récits sur son site Web, l’élément moteur du média. « Au début, nous étions portés par la montée d’adrénaline. Les choses se sont un peu calmées. Nous savons ce que nous faisons », souligne Diana.
La station de radio de Nakipelo a été relancée en juillet après une brève interruption. Elle traite essentiellement de l’Ukraine. « Notre programmation est en grande partie axée sur les Ukrainiens. Nous interviewons des musiciens et d’autres bénévoles qui font un formidable travail. Nous sommes en contact avec la ville et les autorités régionales, comme nous l’avons toujours fait, depuis notre centre de presse », précise Diana. Les auditeurs peuvent écouter la radio via le site web de Nakipelo.
« Lors de notre dernière émission, la veille de l’invasion russe, nous recevions le maire de Kharkiv. Il nous assurait qu'il n’y aurait pas de guerre », se souvient-elle, non sans ironie. « Nous réfléchissons actuellement à une série d’émissions axées sur l’avenir de Kharkiv et la reconstruction de notre ville. »
EED support helped stabilise Nakipelo's operations
Over recent months, the Nakipelo team were under increased pressure to produce more content from Kharkiv as it was under siege, including photo and video reports, testimonies and interviews with locals, volunteers, military, reps of local authorities who continue governing the city and the region. With urgent EED support, they were able to cover the salaries of six additional staff to expand their war coverage from Ukraine’s second biggest city to a well-established and growing audience.
Nakipelo have also continued to run training programmes throughout these weeks of war, which provides training to journalists. EED is supporting an ‘online laboratory’ for civil society representatives to help them learn basic journalistic skills.
In 2017, EED provided bridge funding to Nakipelo, that was vital in helping them stabilise their operations and grow to become an important local media platform.
Soutien du FEDEM : une aide précieuse pour les opérations de Nakipelo
Au cours des derniers mois, l’équipe de Nakipelo a dû faire face à une charge de travail accrue pour produire plus de contenu depuis Kharkiv qui était assiégée, avec notamment des reportages photo et vidéo, des témoignages et des entretiens réalisés avec des habitants, des bénévoles, des militaires et des représentants des autorités locales qui continuent de diriger la ville et la région. L’aide d'urgence versée par le FEDEM a pu couvrir le salaire de six personnes supplémentaires venues en renfort rendre compte des événements dans la deuxième ville du pays à un lectorat fidèle et toujours plus nombreux.
Nakipelo a par ailleurs maintenu ses programmes de formation adressés aux journalistes, et ce malgré les terribles circonstances. Le FEDEM finance également un laboratoire en ligne pour des représentants de la société civile en vue de les aider à acquérir des compétences journalistiques élémentaires.
En 2017, le FEDEM a alloué à Nakipelo un financement provisoire, une aide vitale qui a permis à l’équipe de stabiliser ses opérations et de s’étendre pour devenir une plateforme de médias locale incontournable.
Ne pas oublier Kharkiv
Après trois mois passés dans la cave, Diana est rentrée chez elle dans le centre de la ville et a retrouvé ses repères. Elle ne cache pas sa joie de revenir à une normalité toute relative, même si elle sait que rien n’est acquis.
« Je retournerai dans la cave s’il le faut. Je connais les risques et je les accepte », entonne-t-elle.
Tout ce qu’elle demande, c’est que l’Ukraine et Kharkiv ne soient pas oubliés. « Je sais que tout le monde en a assez d’entendre parler de cette guerre. Nous aussi, à Kharkiv, nous en avons assez mais il est important que le reste du monde ne nous oublie pas. Le monde doit continuer à nous aider », clame Diana. Grâce au travail de Nakipelo et à son compte Patreon, lancé récemment, Diana et son équipe veillent à ce qu’il en soit ainsi.
*Cet entretien avec Diana Ruda de Kharkiv a eu lieu durant l’été. Alors que les combats se poursuivent dans le nord-est de Ukraine et que l’armée ukrainienne a libéré les régions périphériques, Kharkiv reste une cible privilégiée des attaques, et des millions d’habitants à l’est de Kharkiv et dans la région de Donetsk sont régulièrement privés d’électricité. Nakipelo continue de faire le point sur la situation dans la région et de rendre compte des événements qui s’y déroulent.
Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.