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Éditions Lis

28 June 2022

Quand la littérature fait naître des liens au sein d’une communauté de la région kurde de la Turquie

Depuis 18 ans, la maison d’édition Lis offre une tribune à la littérature en langue kurde dans la ville de Diyarbakır.

Éditions Lis

L’histoire des Kurdes en Turquie n’est pas simple. Cette communauté représente près d’un cinquième de la population nationale et elle est la minorité ethnique la plus importante. De tout temps la langue kurde a été réprimée. Elle a été bannie pendant des décennies pour être réintroduite en tant qu’enseignement facultatif dans les écoles publiques en 2012.

Depuis 2004, la maison d’édition Lis, fondée par Lal Lales et établie à Diyarbakır, dans le sud-est du pays, la capitale de la région kurde de Turquie, se bat pour maintenir en vie la langue kurde, publiant de la littérature kurde et de la littérature étrangère traduite en kurde. À plusieurs égards, Lis est bien plus qu'une simple maison d’édition.

« Nous sommes un espace citoyen de rencontre pour artistes et activistes avec pour ambition de faire connaître la culture kurde en Turquie et dans le reste du monde », affirme Seçkin Arslan, coordinatrice des éditions Lis lors, d'un entretien avec le FEDEM.

La maison d’édition compile actuellement une collection d’œuvres littéraires classiques kurdes, souvent écrites en langue non usuelle, dans l’idée de les publier. Ce faisant, elle procède à un archivage des œuvres classiques kurdes. Ses publications de littérature étrangère en langue kurde permettent d’ouvrir les lecteurs à d’autres visions du monde.

Tout aussi important, Lis fournit une plateforme favorisant l’émergence d’auteurs kurdes contemporains et contribue à la constitution d’une communauté littéraire à Diyarbakır.

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La Maison de la littérature : un espace citoyen pour une communauté littéraire

L’équipe de Lis a récemment rénové et ouvert la Maison de la littérature à Diyarbakır, offrant aux auteurs et activistes un espace physique de rencontre, un projet qui a pu voir le jour grâce à l’aide du FEDEM.

L’idée derrière le projet de la Maison de la littérature est de créer un lieu convivial dans la ville, où les gens viendraient débattre de littérature et de culture. La Maison abrite un grand salon pour y tenir des discussions et des événements, ainsi qu’un café littéraire agrémenté d'un jardin pour les réunions plus informelles.

Inaugurée en février 2020, la nouvelle Maison de la littérature a dû fermer temporairement pendant la pandémie de Covid-19, un mois à peine après son ouverture. Pendant cette période, le café littéraire n’a pu fonctionner que de manière intermittente, entraînant une importante perte de revenus pour les éditions Lis.

« Ça a été très douloureux pour nous de devoir immédiatement fermer cet espace dans lequel nous avions mis tant de temps, d’argent et d’ardeur à rénover. Nous avons dû nous résigner à organiser des activités en ligne », se rappelle Seçkin.

Rapprocher les gens, les langues et les cultures par le biais de la littérature

Avant la pandémie, les éditions Lis étaient déjà connues dans la région pour l’organisation de rencontres avec des écrivains de différentes nationalités et d’horizons variés. Elles ont accueilli trois éditions des Journées de la littérature comparée de Diyarbakır, un festival axé sur la littérature multilingue et les langues sous-représentées, en présence d’auteurs turcs, kurdes, arméniens et syriaques. Le festival explore également l’idée d’utiliser la traduction pour interconnecter des cultures différentes, combinant les discussions à des projections cinématographiques et à des expositions photographiques.

« Nous n’abordons pas explicitement des débats politiques. Nous sommes un espace dédié à la littérature. Les thèmes comme les droits de l’homme, la démocratie et la liberté d’expression surgissent de manière organique dans nos discussions », précise Seçkin.

Ce type d’échange est crucial dans la région kurde de la Turquie, où le conflit depuis 2015 a des répercussions sur la vie culturelle et citoyenne locale, comme l’explique Seçkin. « Le tissu social est très fragile, fragmenté et hautement politisé. Les gens se forgent des opinions et des points de vue à partir de souvenirs traumatiques, ce qui ne facilite pas les démarches qui visent à trouver un terrain d’entente. Nous essayons d'y parvenir à travers notre langue et notre littérature communes. »

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Faire connaître les auteurs kurdes en Europe

Au fil des ans, les éditions Lis ont organisé des projets littéraires très variés qui ont permis de donner plus de visibilité à la littérature kurde, à travers notamment des rencontres entre auteurs et lecteurs locaux, l’accueil d’écrivains européens et la participation d’écrivains kurdes à des événements littéraires à l’étranger.

Un sujet récurrent, qui s’impose systématiquement pendant les différentes manifestations, est l’écologie et ses liens avec la politique, un thème largement abordé lors de la dernière édition des Journées de la littérature comparée intitulée « Fragile futur » et qui s’est déroulée exclusivement en ligne. La question des femmes fait également l’objet d’une attention particulière et à ce titre, Lis publie les œuvres de nombreuses femmes traduites en kurde.

Pendant la pandémie, Lis s’est également engagée dans de nouvelles activités. « D’une certaine façon, passer au format numérique nous a fait sortir de notre zone de confort et nous a obligés à trouver d’autres moyens de faire se rencontrer le public et la littérature », admet Seçkin.

L’équipe a lancé une série de discussions et d’échanges numériques entre écrivains kurdes et samis, une autre langue elle aussi historiquement réprimée. L’idée est de faire prochainement venir les auteurs samis à Diyarbakır.

Lis est en lien également avec plusieurs consulats de pays européens présents dans la région afin de créer des occasions de faire connaître des écrivains kurdes en dehors de la Turquie.

« Nous voulons que la littérature kurde soit reconnue pour sa qualité et non pour faire de l’ombre à la littérature turque », souligne Seçkin. « Nous sommes fiers de notre culture. Dans le même temps, nous voulons montrer aux habitants de la région que le populisme et le nationalisme, véritables forces motrices dans la société actuelle, n’apportent rien à la communauté kurde. »

Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.