Inna Bilous et Manifest Mira
14 June 2022Venir en aide aux réfugiés ukrainiens en Roumanie
Une militante ukrainienne, connue pour son engagement à Odessa, dirige depuis la Roumanie une action d’aide humanitaire pour aider ses compatriotes restés dans sa ville d’origine.

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Inna Bilous est une jeune femme investie d'une mission : consacrer sa vie à l’amélioration de celle des habitants d’Odessa. Fondatrice de l’ONG Manifest Mira créée dans le sillage de la Révolution de la dignité de 2014 en Ukraine, Inna s’est depuis longtemps illustrée comme une activiste engagée et déterminée.
Inna a mené pendant cinq ans une campagne pour la rénovation du Musée des Beaux-Arts d’Odessa alors complètement délabré. Elle a aussi remué ciel et terre pour contraindre les autorités d’Odessa à lancer un processus de réforme visant à remplacer les grands foyers impersonnels pour mineurs et assurer une meilleure prise en charge des enfants vulnérables. Pendant la crise de la Covid, Inna coordonnait les bénévoles d’une plateforme de crise conjointement dirigée par la société civile et les entreprises afin de combler les lacunes des autorités complètement dépassées par les événements.
Constanța : un emplacement stratégique
Inna est aussi maman de trois jeunes enfants et après l’invasion militaire russe, elle a dû prendre la douloureuse décision de quitter l’Ukraine, et ce dès les premiers jours du conflit.
« Nous sommes partis d’Odessa le premier jour des explosions. Nous avions prévu de nous rendre en Slovaquie, mais une fois arrivés à Constanța, nous savions que nous y resterions. Constanța est le port le plus proche d’Odessa, ce qui en fait un endroit stratégique », relate Inna, se remémorant leur arrivée au port roumain de Constanța, sur la Mer Noire.
Remarquant dès son arrivée l’absence de centres humanitaires en activité en Roumanie, elle et quelques amis se mirent immédiatement à organiser des collectes de produits de première nécessité afin de les envoyer à Odessa, par transport terrestre. Ce travail quelque peu désorganisé dans un premier temps a progressivement pris une tournure plus professionnelle. L’équipe dirige désormais à Constanța un véritable centre humanitaire pleinement opérationnel, en lien avec le centre bénévole humanitaire d’Odessa qui collabore avec des ONG et entreprises locales, ainsi que la mairie d’Odessa pour la distribution de l’aide.
Un réseau d’Ukrainiens qui travaillent main dans la main
Au cours des missions antérieures, Inna a eu souvent l’occasion d’entrer en conflit avec les autorités de la ville. Aujourd’hui, alors que l’Ukraine est en guerre, la mairie d’Odessa collabore étroitement avec Manifest Mira, avec le Centre humanitaire d’Odessa et avec un réseau de partenaires qui, ensemble, assurent un flux constant d’aide dans la ville. Inna tient à souligner que son groupe n’a pas pour autant renoncé à son indépendance.
« Ils savent que nous maîtrisons la logistique et que nous sommes efficaces. Ils nous ont donné accès au système de gestion de la relation client de la municipalité d’Odessa afin de mieux gérer les besoins et les livraisons. Les autorités signent les documents d’exportation et nous veillons à ce que tout soit transparent. Notre équipe reçoit la marchandise et la trie. Nous l’entreposons et organisons son acheminement vers Odessa par l’intermédiaire d'un réseau de partenaires. Notre accréditation en Ukraine est un plus, car la plupart de nos partenaires ici n'ont aucune accréditation », précise Inna. L’aide versée par le FEDEM garantit la continuité des opérations du centre, qui peut ainsi assurer le bon fonctionnement de l’équipe et le travail de coordination.
Manifest Mira reçoit de l’aide humanitaire de différents pays de l’Union européenne. « Nous recevons essentiellement des denrées alimentaires, des produits d'hygiène et des fournitures médicales. Nous payons l’acheminement et l’entreposage des produits, c’est pourquoi nous n’acceptons que ce dont nous avons besoin. La semaine dernière, par exemple, nous avions un besoin urgent en équipement médical. En ce moment, nous devons nous séparer de vêtements d'hiver car nous n’avons pas la place pour les entreposer. Il nous arrive de refuser des produits, comme l’eau qui coûte cher à transporter et qui est nettement moins onéreuse en Roumanie », explique Inna.
Alors qu’Inna s’entretient avec le FEDEM, sa caméra filme les cartons d’aide humanitaire en attente d’être triés, tandis que d’autres attendent d’être enlevés et acheminés vers l’Ukraine. Les envois sont triés par les bénévoles, des réfugiés ukrainiens qui, comme Inna et sa famille, ont fui la guerre dans le sud de l’Ukraine. « Ils veulent s’occuper et se rendre utiles », dit-elle, se tournant vers deux jeunes femmes souriantes : Anna, qui gère les processus et assistent les réfugiés dans les ville, et Yulia, qui se charge de la comptabilité et des formalités administratives.
Comme elle l’explique, l’acheminement de toute cette aide humanitaire vers Odessa n’est pas simple et fait appel à de nombreux partenaires et différents véhicules, et donne souvent lieu à de délicates tractations.
Évacuation des enfants handicapés
Manifest Mira a également participé à l’évacuation de civils d’Odessa et de la région, notamment des enfants handicapés que l’organisation a placés dans différents établissements médicaux en Europe.
Les bus affrétés pour aller chercher les civils à Odessa ne roulent jamais à vide, l’équipe profitant de chaque évacuation pour acheminer de l’aide humanitaire vers l’Ukraine.
Inna est également reconnaissante envers la municipalité de Constanța qui contribue à l’aide humanitaire et participe à l’évacuation des réfugiés vers la Roumanie.
Les défis à venir
Malheureusement, avec l’arrivée de l’été, la vie à Constanța prend une autre tournure, les établissements hôteliers de la ville se préparant pour leur première saison touristique après deux ans de hiatus pour cause de Covid. Le coût du logement dans la ville est monté en flèche.
« Nous aidons également les réfugiés ukrainiens ici. Nous leur donnons des vivres et les aidons à se loger. De nombreux réfugiés doivent maintenant quitter les hôtels dans lesquels ils étaient logés ces derniers mois et nous venons de trouver un gymnase que nous préparons actuellement pour en faire un abri temporaire. Des entreprises locales ont fait don de lits et de matelas. En haute saison, le loyer du logement que j’occupe actuellement avec ma famille peut aller jusqu’à 2 000€. Nous n’en n’avons pas les moyens, et pourtant nous devons rester ici, s’émeut Inna
Malgré l’éloignement actuel et son travail en Roumanie, Inna dit ne pouvoir s’empêcher d’être très préoccupée par la détresse vécue par les nombreux enfants vulnérables qui ont été renvoyés dans leur famille par les institutions étatiques alors que la guerre éclatait, mettant un coup d’arrêt à la réforme des institutions résidentielles pour mineurs.
Inna a pendant longtemps fait campagne pour obliger les autorités d’Odessa à appliquer le plan de réforme ukrainien de 2017 pour la désinstitutionnalisation des foyers pour mineurs. Le plan prévoit de reloger les 3 000 enfants placés en foyers impersonnels dans des structures de plus petite capacité et mieux adaptées aux enfants, et de veiller, avant toute chose, à ce que moins d’enfants finissent dans ces institutions.
« Je regrette de n’avoir pu mener ce projet à bien. Nous n’avons aucune nouvelle des enfants retournés vivre dans des zones rurales qui souffrent de pénuries alimentaires et de chômage de masse. Nous essayons actuellement de compiler une liste des familles concernées afin que des gens de la région leur apportent du ravitaillement alimentaire », explique Inna.
Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.