Jeter un pont entre les communautés du Kosovo

Une nouvelle plateforme média bilingue établie dans la deuxième ville du Kosovo, à Prizren, s’attache à faire le lien entre la communauté albanophone majoritaire et la communauté turcophone minoritaire, dans cette ville historiquement diversifiée.

Prizma Medium a été développée et lancée comme une plateforme de média en ligne par une équipe qui met un point d’honneur à offrir autre chose que le sempiternel contenu superficiel, les actualités copiées/collées à l’infini et la désinformation.

Au lieu de cela, Prizma propose un journalisme de solutions, des actualités positives et du contenu de fond et analytique, le tout mettant l’accent sur le journalisme « lent » et local. Le site a été lancé en novembre 2021, après 12 mois de préparation et grâce à une aide de démarrage versée par le FEDEM qui a permis à Prizma de devenir pleinement fonctionnel.

L’équipe éditoriale est dirigée par Adelina Hasani et Suer Celina, rédacteurs en chef pour le contenu en albanais et en turc respectivement. Deux autres rédacteurs au parcours académique hétéroclite ainsi qu'un traducteur et un directeur de la photo sont depuis venus grossir les rangs.

« Chez Prizma, nous préconisons le leadership partagé. Nous discutons avec toute l’équipe des décisions à prendre afin de tenir compte de l’expertise de chacun », commente Adelina Hasani.

Outre le noyau dur de l’équipe, Prizma coopère avec de nombreux journalistes de la région. À travers un dialogue franc et ouvert, Adelina et Suer ont su gagner la confiance d’une vaste communauté de professionnels, contributeurs, collaborateurs et lecteurs qui ont aidé à matérialiser l’idée initiale en une structure concrète.

La philosophie de la plateforme est tournée vers l’extérieur, cherchant constamment des parallèles et des connexions au-delà de la région, y compris avec les pays voisins. Et ce n’est pas une coïncidence si la plupart des membres de l’équipe ont vécu et étudié à l’étranger.

Cette diversité reflète l’histoire multiculturelle de la région de Prizren, bordée par l’Albanie et la Macédoine, où, en plus de la population turque, cohabitent plusieurs minorités, comme les Bosniaques, les Roms, les Ashkalis, les Égyptiens, les Goranis et les Serbes.

Offrir de nouvelles perspectives au journalisme local

Prizma Medium a opté pour un design simple qui n’est pas sans rappeler celui des journaux papier. Comme l’explique Suer Celina : « La décision de démarrer au format numérique s’explique par l’absence de journaux papier au Kosovo et par le taux d’utilisation d’Internet qui est l’un des plus élevés de la région. »

Adelina considère que la plateforme est plus qu’un simple canal d’information. « Nous voulons aider les gens à se forger un esprit critique et à faire entendre la voix de ceux que personne n’écoute. »

L’approche éditoriale de la plateforme ne passe pas inaperçue dans le paysage médiatique du Kosovo, tant sur le plan journalistique que sur le choix des sujets. Prizma Medium propose du contenu régional de qualité dans des domaines qui sont habituellement abordés de manière superficielle, comme le changement climatique, l’identité de genre, l’éducation aux médias, la justice sociale et les groupes marginalisés.

« À travers une perspective singulière, nous cherchons à produire du contenu fiable, qui s’inscrit dans la durée et qui est conforme aux normes éditoriales et éthiques les plus exigeantes », explique Suer.

Prizren jouit d’une scène culturelle animée et Prizma s’attache à couvrir de manière exhaustive les événements tout en les plaçant soigneusement dans leur contexte social. Avec sa formule bilingue, la plateforme peut espérer sensibiliser un plus large public aux développements culturels en s’affranchissant de l’obstacle linguistique.

« Prizma est également un espace consacré aux personnes dont on n’entend jamais parler : les groupes marginalisés, les femmes et les filles, les personnes handicapées. Quand je me déplace pour une interview, je me pose toujours la même question : ‘Mais où sont les femmes’ ? », s’émeut Adelina.

Adelina a travaillé sur une série d’articles à propos de l’éco-féminisme, s’efforçant de rassembler pour l’occasion des militants de la région. « Les femmes qui vivent en zones rurales se sentent réellement concernées par ce sujet. »

Les deux rédacteurs en chef s’attachent à sensibiliser les lecteurs aux questions qui comptent au sein de leur communauté, à encourager le débat et à donner aux lecteurs les informations utiles et le courage d’aborder leur avenir.

Créer une culture de l’éducation aux médias pour mieux lutter contre la désinformation

À en croire Suer, l’une des principales difficultés liées à la profession de journaliste à Prizren est l’absence d’éducation aux médias et aux médias sociaux, laquelle favorise considérablement la diffusion de la désinformation.

« Les journalistes, qui sont en première ligne dans la lutte contre la mésinfomation et la désinformation doivent déjouer les pièges et trouver les moyens de contrer les nombreuses tactiques de manipulation s’ils ne veulent pas devenir eux-mêmes un outil de propagande politique. »

Pour ce qui concerne la minorité turque en particulier, les problèmes continuent de se faire ressentir tant au niveau central que municipal. Les droits élémentaires tels que l’éducation ne sont pas garantis. Le problème lié à la fourniture de manuels scolaires en langue turque n’a toujours pas été résolu. Sans compter le problème lié à la reconnaissance de la langue en tant que langue officielle. Les services de médias pour cette minorité ont globalement toujours été inadéquats.

Prizma Medium espère avoir un effet galvanisant et remodeler les médias à Prizren et au Kosovo en montrant l’étendue des possibilités. L’équipe envisage de donner plus de visibilité à la minorité bosniaque de Prizren en publiant à l’avenir son contenu en bosniaque, et éventuellement en anglais aussi.

En offrant du contenu de qualité et intemporel, y compris des podcasts et des vidéos, Prizma cherche à toucher un plus vaste public.

Créer à Prizren un environnement propice à la libre expression

Le travail de préparation investi par les fondateurs de Prizma Medium a porté ses fruits. Grâce à l’aide financière allouée par le FEDEM, Prizren peut désormais se targuer d’avoir en son sein un nouvel acteur indépendant et alternatif contribuant positivement à la vie citoyenne. La subvention a permis à l’équipe de louer des locaux, d’acquérir du matériel de base et de commencer à écrire sur des sujets locaux.

Prizma a pour ambition de créer un environnement indépendant où les membres de la communauté peuvent s’exprimer librement. Les interviews menés auprès de militants et de groupes marginalisés ont pour vocation de sensibiliser les citoyens à des questions politiques et sociales locales.

La plateforme entend publier des éditos écrits par de jeunes journalistes issus de différentes communautés sur des sujets politiques, sociaux, économiques, culturels et sur la question de l’égalité entre les sexes au Kosovo.

L’étendue de l’expérience internationale du binôme force l’admiration. Adelina a fait ses études en Turquie, en Bosnie-Herzégovine et en Italie et est titulaire d’un doctorat en relations internationales. Suer a, quant à lui, étudié le journalisme à Ankara et a longtemps été photographe en Turquie et au Kosovo.

Délaisser le journalisme « fast food » pour revenir à un journalisme lent

Suer est très attaché à l’importance d’un journalisme exigeant, indépendant et digne de confiance. La course à l'information née de l’avènement de l’Internet, doublée de la pression commerciale, a favorisé la prolifération de contenu d’actualité médiocre et bas de gamme.

« Ce qui caractérise ce type de journalisme, c’est qu’il est produit aussi vite qu’il est consommé, à la manière du fast food. Redonner sa place à un journalisme lent et qui produit du contenu de qualité et intemporel permet dans le même temps de lutter contre le grand désordre de l’information qui règne en maître », affirme-t-il.

L’enthousiasme des jeunes fondateurs de Prizma Medium est palpable. Ayant identifié un fossé de l’information à Prizren et dans la région, ils sont bien décidés à le combler du mieux qu’ils peuvent. Mais leur ambition pour la plateforme va bien au-delà du simple rôle qui consiste à faire la lumière sur les zones d’ombre.

Adelina voit Prizma comme un concentrateur de l’information. « Si vous ne savez pas ce qu’il se passe réellement dans votre communauté, vous ne pouvez avoir la vision d’ensemble qui permet de vous forger un esprit critique. Les questions des droits de l'homme, de l’égalité entre les sexes et de l’environnement font précisément partie intégrante de cette vision globale. »

 

* Toute référence au terme Kosovo faite sur le présent site Web doit s'entendre conformément à la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies et sans porter atteinte au statut du Kosovo.

Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.