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Kısa Dalga

1 June 2022

Une plateforme de podcasts devenue l’un des médias les plus influents de Turquie

C’est à Oxford, où il était étudiant boursier, que Kemal Göktaş a pris conscience du potentiel que représentait la Turquie pour les podcasts. Et la plateforme de podcasts qu’il a créée, Kısa Dalga, connaît un succès fulgurant.

Kısa Dalga

Quel parcours que celui de Kemal Göktaş qui, après une carrière de près de 20 ans en tant que journaliste d’investigation de premier plan, occupe aujourd'hui la fonction de rédacteur en chef de la plateforme de podcasts la plus écoutée en Turquie, Kısa Dalga.

Kısa Dalga s’est récemment vu décerner le prix Podcast News Award par la Contemporary Journalist’s Association pour un podcast sur le changement climatique et a été désignée Meilleure plateforme de podcasts dans la catégorie Actualités par Power FM, l’un des plus éminents médias de Turquie. À ce jour, la plateforme a diffusé près de 1 000 podcasts à 1,2 million d’auditeurs.

Kısa Dalga, ou « ondes courtes » en français, est un média incontournable pour quiconque s'intéresse aux développements politiques, sociaux, économiques et législatifs en Turquie et dans le monde, avec des podcasts sur les affaires publiques, des comptes-rendus d’enquêtes et de nombreux entretiens avec d’illustres personnalités.

À l’approche des élections présidentielle et législatives de 2023, la ligne éditoriale de Kısa Dalga est axée sur la crise économique, avec la publication d’articles de fond et d’un bulletin économique hebdomadaire, ainsi que des reportages d’investigation sur la corruption et l’État profond. Elle offre une tribune à des sujets habituellement passés sous silence par les médias grand public, faisant ainsi entendre la voix des groupes les plus vulnérables, notamment les femmes, les migrants et les personnes LGBTQI+.

Selon les sociétés d’analyses statistiques des podcasts Chartable et Megaphone, la plupart des podcasts de Kısa Dalga sont écoutés 3 500 fois mais certains vont jusqu’à plus de 100 000 écoutes. « Notre public dépasse largement celui de nombreuses grosses entreprises de médias », s'enorgueillit Kemal.

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Un vent de menaces sur les journalistes indépendants en Turquie

Kemal qualifie le journalisme de métier difficile dans la Turquie actuelle de plus en plus autocratique, où 90 % des médias sont contrôlés par les entreprises qui entretiennent des liens étroits avec le gouvernement. Polarisation, censure et peines de prison sont la réalité des journalistes ici, et les professionnels des médias indépendants font l’objet d’une pression croissante en vue des élections de l’année prochaine. Lui et ses journalistes ont reçu des menaces et ont été victimes de campagnes de dénigrement.

Les risques concrets qui menacent tous les activistes et journalistes indépendants de Turquie ont été dénoncés par les médias du monde entier quand, le 25 avril, le militant de la société civile Osman Kavala, emprisonné depuis 2017 pour des prétendus actes de terrorisme, s’est vu condamné à la prison à perpétuité, tandis que sept autres activistes, dont le réalisateur de documentaire Mine Özerden, se voyaient infliger des peines de 18 ans d’emprisonnement.

Engouement pour les médias indépendants en Turquie

Malgré cela, la demande à l’égard de sources de médias indépendants ne cesse de croître dans un pays qui fait face à une inflation en hausse et à des taux de chômage élevés, tandis que la cote de popularité du président Erdogan continue de baisser dans les sondages. « Les gens en Turquie ont besoin de ce type de journalisme », clame Kemal, expliquant que tout l’attrait des médias indépendants comme Kısa Dalga tient à la fiabilité et à l'impartialité de leurs informations et de leurs sources, contrairement aux médias traditionnels.

Parti étudier avec une bourse au Reuters Institute à Oxford, c’est là que Kemal a commencé à s’intéresser aux podcasts et à leur format si particulier, prenant conscience du potentiel qu’ils pourraient avoir dans l’obscure sphère médiatique de la Turquie.
« J’ai assisté à des séminaires sur les podcasts et ça m’a ouvert les yeux. Il existe en Turquie des plateformes de podcasts, mais elles sont essentiellement des sites de bavardages et d’échanges informels. J’ai alors commencé à réfléchir au véritable potentiel des podcasts pour toucher le plus de personnes possible tout en restant objectif, impartial et indépendant », poursuit Kemal.

Après un bref passage dans une station de radio à Londres, Kemal décide de se lancer et sollicite auprès du FEDEM une subvention de démarrage afin de monter son projet en 2019.

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Les défis d'une start-up

Kemal reconnaît que le pas à franchir entre la théorie et la pratique n’a pas été simple. La qualité audio était un problème majeur. L’aide versée par le FEDEM a permis à Kemal et à son équipe d’acquérir du matériel et des microphones de qualité, ce qui, selon lui, fait toute la différence entre Kısa Dalga et les autres plateformes de podcasts.

Le confinement décrété pendant la pandémie de Covid-19 n’a pas simplifié les choses pour cette plateforme fraichement créée et pour son équipe qui a dû s’adapter au télétravail. « Nos auditeurs voulaient être informés et la demande était énorme mais nous ne pouvions pas nous rendre à notre studio. Nous avons donc commencé à travailler de chez nous et après quelques déconvenues avec la qualité audio, nous avons appris à travailler avec les ordinateurs et les microphones et à éviter l’effet d’écho », se rappelle Kemal.

Il n’a pas non plus été facile de recruter des journalistes ayant de l’expérience en podcasts et des narrateurs désireux d’être associés à Kısa Dalga. Après trois ans d’existence, Kemal dirige désormais une équipe de 20 jeunes journalistes, en majorité des femmes, qui travaillent sur le site Web et la série de podcasts de Kısa Dalga.

En janvier 2021, le média étendait son offre en créant un site Web pour la publication d’articles écrits venant compléter ses podcasts, et au printemps, l’équipe a également commencé à publier des articles d’investigation et des reportages de fond, faisant connaître Kisa Dalga auprès d’un public toujours plus vaste.

Tourné vers l’avenir, Kemal entend continuer sur la voie du journalisme d’investigation. « Les podcasts sont un excellent outil de narration. Avec le journalisme d’investigation, nous déterrons la vérité et la révélons aux gens », s’enthousiasme Kemal. « Beaucoup louent l’avènement d'une ère nouvelle mais la démocratie et la liberté de la presse restent fragiles et nous devons nous battre pour que cela change. Je suis convaincu que la situation des médias est en passe de changer et que la Turquie peut devenir un pays plus démocratique et plus libre. »

Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.