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Kyiv Independent

28 April 2022

Un média au service de ses lecteurs et de sa communauté, et de personne d’autre

Un média en langue anglaise lancé en décembre dernier est devenu la référence et un observateur majeur de la guerre en Ukraine. Il est suivi chaque jour par des millions de lecteurs du monde entier.

Kyiv Independent

Цей матеріал також доступний українською

Depuis l’éclatement du conflit en Ukraine, Kyiv Independent s’est avéré être une importante source d’informations, assurant une couverture complète des événements en anglais.

L’un des articles du média a été cité par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, lors d’une allocution au Parlement européen. Les journalistes de Kyiv Independent sont régulièrement invités par des réseaux internationaux de chaînes de télévision et de radios à venir commenter l’actualité et à rédiger des articles d’opinion par des médias d’envergure internationale, tels que le New York Times et le Guardian.

Lancement d’un nouveau média

Dirigé par Olga Rudenko, rédactrice en chef et Daryna Shevchenko, PDG, Kyiv Independent a comptabilisé près de 11 millions de vues sur son site Web au mois de mars, plus de 2 millions d’abonnés sur son compte Twitter et pas moins de 50 000 abonnés à ces comptes Telegram et Instagram.

Voilà qui n’est pas anodin pour un média lancé seulement en décembre dernier grâce à une aide d’urgence versée par le FEDEM et à une campagne de financement participatif.

C’est la soudaine fermeture, le 8 novembre, du Kyiv Post, un journal en langue anglaise qui existait depuis plus de 26 ans, qui a incité les journalistes licenciés à créer ce nouveau média. Essentiellement lu par la communauté internationale et les observateurs et décideurs ukrainiens, le propriétaire du Kyiv Post avait annoncé son intention de reprendre le contrôle d’une salle de rédaction qui avait toujours affiché une indépendance éditoriale.

« Nous ne pouvions pas laisser l’Ukraine sans média indépendant de langue anglaise à un moment aussi crucial pour le pays. Les troupes russes s’amassaient aux frontières de l’Ukraine par dizaines de milliers. D’innombrables informations et nouvelles provenaient d’Ukraine, mais peu étaient traduites en anglais. Il fallait impérativement qu’un média sur place puisse faire le lien entre l’Ukraine et le reste du monde. Nous avons dû agir vite », explique Daryna Shevchenko, lors d’un entretien avec le FEDEM.

En une semaine, l’équipe avait mis en place une newsletter quotidienne intitulée « Ukraine Daily » et commençait à organiser l’étape suivante. Elle savait aussi que le propriétaire de  Kyiv Post prévoyait de relancer son journal avec une nouvelle équipe et que le temps pressait.

Les journalistes étaient déterminés à créer un média autonome sans aucun lien avec les oligarques et politiciens nantis qui contrôlent la plupart des autres médias ukrainiens.

L’équipe a alors contacté des bailleurs de fonds potentiels, au nombre desquels le FEDEM, et a lancé des cagnottes en ligne Patreon et GoFundMe. Le média a fait appel à une agence Web locale, Dudka Agency, qui a créé le site Web du média en seulement six jours et à titre gracieux. Il a contacté des partenaires commerciaux et annonceurs potentiels. Le média appartient également partiellement aux journalistes eux-mêmes. Comme le fait remarquer Daryna, il était important pour la nouvelle publication de diversifier ses sources de financement.

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L’équipe de Kyiv Independent lors de la création du média, peu de temps avant que la guerre n’éclate.

« Au service des lecteurs et de la communauté, et de personne d’autre »

Le 6 décembre naissait le nouveau Kyiv Independent, résultat d’une collaboration entre les journalistes et Jnomics Media, dans des bureaux qui leur avaient été prêtés. Olga Rudenko, ancienne rédactrice adjointe au Post, a été choisie à l’unanimité pour assurer les fonctions de rédactrice en chef de la nouvelle publication, l’ancien rédacteur en chef du Post ayant décidé de partir en retraite.

Comme l’affiche fièrement son site Web, Kyiv Independent est un média qui a été pensé pour être « au service de ses lecteurs et de sa communauté, et de personne d’autre ». C’est aussi pour cela que le média est accessible à tous, sans service payant.

Daryna reconnaît qu’à ce moment-là, personne au sein de l’équipe, ni même le journaliste spécialisé dans la défense et la sécurité, Ilya Ponomarenko, ne croyait à une invasion en bonne et due forme de la Russie. L’équipe avait toutefois pris ses dispositions, s’était entretenue avec des donateurs, dont le FEDEM, pour étudier la possibilité de rediriger les aides en cas d’effondrement du système bancaire et avait identifié les lieux de réunion à Kiev en cas de guerre.

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Le président du Conseil européen Charles Michel (au centre) et la vice-première ministre ukrainienne chargée de l’intégration européenne et euro-atlantique, Olha Stefanishyna, en visite à Borodyanka

Une guerre de grande ampleur

« Bien évidemment, quand la guerre a éclaté le 24 février, tout a changé. Tout le monde a voulu se mettre à l’abri et protéger sa famille », relate Daryna.

La majorité des membres de l’équipe sont partis se réfugier dans l’ouest du pays, mais deux journalistes, Illia Ponomarenko et Anna Myroniuk, se sont dès le début portés volontaires pour rester à Kiev.

« Nous sommes très fiers d’eux et leur sommes très reconnaissants », déclare Daryna. « Nous savions que nous ne pouvions envoyer personne dans les zones occupées. C’était trop dangereux. Mais ces deux journalistes se sont spontanément portés volontaires. »

L’équipe a alors commencé à travailler 24/24 h, et dès le premier jour de la guerre les membres ont assuré une couverture totale et impartiale des tragiques événements de ce conflit, publiant des actualisations régulières sur son site Web et ses chaînes de réseaux sociaux, ainsi que des articles de fond et d’analyse.

Daryna reconnaît la démarche délibérée de l’équipe de donner le plus d’interviews possible à des médias étrangers pour que l’Ukraine reste bien visible à l’international.

« Nous bénéficions déjà d'une exposition internationale avant l’éclatement de la guerre, nous avons donc été immédiatement happés dans la dynamique. Ces dernières semaines, nous avons reçus des milliers de demandes d’interviews, d’articles et de contenu explicatif. Nous avons pour principe de répondre favorablement à chacune d’elles, même si nous manquons cruellement d’effectifs. Il est vital que le monde continue de parler de l’Ukraine, car le jour où l’Ukraine sera délaissée par les médias, la situation empirera, préconise Daryna.

Retour à Kiev et préparation pour l’avenir

Daryna se félicite de ce que Kyiv Independent ait dès le début diversifié ses sources de financement. Grâce à cela, même si le média fait face à des difficultés de financement, il se trouve dans une situation financière plus enviable que de nombreux autres confrères ukrainiens. La page Patreon de Kyiv Independent a jusque-là séduit quelque 6 878 mécènes et la page GoFundMe a récolté près de 1,9 million d’euros. Avec l’effondrement du marché publicitaire et en l’absence totale de recettes commerciales, ce financement est essentiel pour les activités du média.

En sa qualité de PDG, Daryna ne se soucie pas seulement des opérations quotidiennes mais se projette aussi dans l’avenir. « Ce n’est pas facile. Nous nous trouvons dans une situation totalement imprévisible. Personne ne sait comment ça va finir », s’émeut Daryna.

Ces dernières semaines de guerre ont très éprouvantes pour toute l’équipe. « Quand on est journaliste, on se focalise sur la mission et sur les événements, sans vraiment prendre le temps de penser à ce qu’il se passe autour de soi, mais tôt ou tard, ça vous rattrape. Et ça fait peur. Nous avons tous des bons jours et des mauvais jours », conclut Daryna.

À ce jour, quelques-uns des 20 membres de l’équipe de Kyiv Independent sont revenus à Kiev et ils commencent à retourner travailler au journal où ils couvrent sans relâche les tragiques évènements de cette épouvantable guerre.

Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.