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Liga.net

21 April 2022

Couvrir la guerre en Ukraine

Un média dont la ligne éditoriale est habituellement entrepreneuriale a adapté son contenu et couvre désormais le conflit, suivi par des dizaines de millions de lecteurs en Ukraine et au-delà.

Liga.net

Цей матеріал також доступний українською

« Avant, notre média s’adressait aux entrepreneurs, mais le 24 février nous avons opéré un changement de cap », déclare Yulia Bankova, rédactrice en chef de Liga.net, lors d’un entretien avec le FEDEM.

« Nos lecteurs ne s'intéressaient qu’à la guerre. Ils voulaient suivre les événements au plus près, savoir où avaient lieu les bombardements, qui était touché, combien de victimes il y avait, comment quitter le pays et délocaliser leur activité. Nous étions à pied d’œuvre dès 5 heures du matin le jour où la guerre a éclaté. Nous avons été immédiatement réactifs. »

Actualités en direct 24/24 h

Pendant les trois premières semaines du conflit, Liga.net faisait de fréquents points sur l’actualité en direct, mobilisant toute l’équipe et des bénévoles, certains travaillant depuis Kiev et d’autres depuis des lieux plus sûrs dans l’ouest de l’Ukraine ou à l’étranger où ils s’étaient réfugiés. Nombre d’entre eux travaillaient dans des conditions difficiles, tant sur le plan physique que psychologique.

Les journalistes sont ensuite revenus à leur format habituel plus long tout en restant en alerte 24/24 h, publiant jusqu’à 70-80 points d’actualité chaque jour, soit un article toutes les 15 minutes.

« Il y a tellement de récits de personnes qui ont fui les zones ravagées par la guerre et nous essayons de les publier tous. Nous publions également actuellement des articles sur la manière dont les entreprises se sont adaptées à la guerre et sur la situation économique générale du pays, notamment sur la reprise économique, le secteur du bâtiment, l’aide aux PME, la technologie, etc., les sujets ne manquent pas, surtout en période de guerre et après », précise Yulia.

Liga publie également des articles explicatifs et pratiques, pertinents pour plus de 10 millions d’Ukrainiens contraints de quitter leur maison mais qui vivent encore en Ukraine, ainsi que pour ceux qui ont fui le pays, expliquant où et comment trouver un logement, où obtenir de l’aide, comprendre la législation, etc. Le média publie également des articles sur les forces armées et les forces spéciales et donne des conseils psychologiques aux personnes souffrant de traumatismes liés à la guerre.

« Il y a tant de choses que nous aimerions aborder. Nous n’avons pas suffisamment de temps, ni de ressources humaines. Couvrir les événements 24/24 h et 7/7 j exige de pouvoir compter sur de nombreux journalistes. Or deux de nos journalistes ont rejoint l’armée et la défense territoriale ou se sont portés volontaires et deux autres ne sont actuellement pas en état de travailler car traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Mais nous n’avons congédié personne. Ils continuent à percevoir leur salaire », précise Yulia.

Un lectorat toujours plus nombreux

Et ce malgré la chute des recettes publicitaires qui représentaient près de 80 % des revenus de Liga avant la guerre. Une aide du FEDEM permet actuellement au média de couvrir ses coûts opérationnels.

Comme l’explique Yulia, Liga compte une cinquantaine de journalistes et membres de l’équipe de rédaction, ainsi qu’une petite équipe de support, dont une équipe technique qui est vitale à un moment où tous les médias ukrainiens sont la cible privilégiée de cyber-attaques et où le nombre de lecteurs atteint des records.

Les lecteurs souhaitant suivre la couverture de l’actualité de Liga sont toujours plus nombreux en Ukraine mais aussi dans les pays voisins que sont la Pologne et la Russie. En mars, le site Liga.net recensait pas moins de 80 millions de vues contre 15 millions les mois précédents.

Comme l’indique Yulia, si Liga.net jouit d’une telle popularité auprès des Ukrainiens, c’est que le média s’est forgé une réputation enviable au cours des 20 dernières années en tant que média fiable et indépendant qui fait à appel à des journalistes intègrent et insoumis. Et l’ancien rédacteur en chef du média, Boris Davydenko, y est pour beaucoup.

« Contrairement aux autres médias ukrainiens, les patrons de Liga.net n’ont aucune ambition ni intérêt politique. Liga.net a toute la confiance de ses lecteurs avec lesquels nous avons noué des liens très étroits au cours des dernières années », confie Yulia.

Média bilingue désormais assorti de contenu en anglais

Par le passé, Liga.net ciblait essentiellement les lecteurs russophones, mais au printemps 2021, le média publiait ses premiers articles en ukrainien. Depuis le mois d’octobre 2021, le site Web est parfaitement bilingue et tous les articles sont publiés à la fois en russe et en ukrainien.

Avec l’éclatement du conflit, et compte tenu de la demande grandissante d’un lectorat international avide d’être tenu informé, l’équipe a également lancé une rubrique en anglais, avec des actualités en direct.

Le FEDEM avait accordé une aide à Liga.net en 2020, alors que le média faisait face à de graves difficultés dues à la disparition des recettes publicitaires pendant la pandémie de Covid-19. Cette aide a permis à Liga de maintenir en activité sa salle de rédaction et de développer un solide modèle de financement durable reposant sur les abonnements, les adhésions et des partenariats commerciaux.

Aujourd’hui Liga.net propose toutes ses publications en accès libre et gratuit. « Il est de notre devoir de faire en sorte que tout le monde ait accès à ces informations », assure Yulia.

Malgré cela et l’aide de quelques donateurs, la situation financière de Liga reste précaire. Avec l’effondrement des entreprises ukrainiennes, les dirigeants du média espèrent vendre de la publicité à des entreprises internationales. L’équipe reste en lien avec ses partenaires commerciaux ukrainiens, dont la plupart aident bénévolement les civils.

Faire son travail de journaliste en temps de guerre

Il est difficile pour les journalistes de travailler actuellement en Ukraine et tous mettent leur vie en danger lorsqu’ils couvrent les combats en zone de guerre. Rares sont ceux parmi les journalistes de Liga.net qui avaient fait l’expérience préalable du travail de reporter de guerre.

« Nous ne pouvons pas juste envoyer nos journalistes en zone de combat. Notre première préoccupation est leur sécurité et nous ne laissons partir que ceux qui se portent volontaires. C’est une situation difficile pour tout le monde mais nos journalistes continuent de travailler, que ce soit dans des bunkers et des sous-sols, ou dans le métro quand ils ne peuvent pas sortir dans la rue », déclare Yulia.

De son propre aveu, Yulia reconnaît qu'il n’est pas simple de vérifier les informations en temps de guerre, ce qui retarde d’autant la publication des articles. « Nous avons eu vent de viols commis sur des femmes, mais tant qu’on ne pouvait pas nous entretenir avec les victimes, nous ne pouvions rien publier à ce sujet. C’était très compliqué », regrette Yulia.

À la question de savoir comment elle et ses collègues font pour continuer, Yulia répond qu’ils n’ont pas le choix. « Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Il est difficile de ne pas se laisser influencer par ses émotions, mais nous nous efforçons de nous en tenir à ce qui est important pour notre société et nos compatriotes. Nous devons aider les gens à survivre. Nous devons les informer pour les aider. C’est de savoir que ce que nous faisons aide les autres qui nous porte et nous motive », conclut Yulia.