ÜniKuir
7 April 2022Des clubs pour les étudiants turcs LGBTQI+
Une initiative a été lancée afin de créer des clubs universitaires destinés aux étudiants LGBTQI+ à travers la Turquie. L’objectif principal aujourd’hui est de renforcer l’engagement politique des étudiants.

En ce mois d’avril, deux militants LGBTQI+ originaires d’Ankara, Melike Balkan et Özgür Gür, fondateurs de l’ONG ÜniKuir, se rendront à Middelbourg, aux Pays-Bas, afin de recevoir le prestigieux Prix des quatre libertés, qui est décerné chaque année à des hommes et des femmes « dont les accomplissements ont démontré un engagement en faveur des principes que le président Roosevelt a qualifiés d’essentiels à la démocratie dans son discours historique devant le Congrès le 6 janvier 1941 ».
« Ce n’est que la deuxième fois que des militants turcs se voient attribuer ce prix et c’est une première pour une association LGBTQI+. Nous avons été remarqués par la communauté internationale », explique Melike, qui s’exprime depuis les bureaux d’ÜniKuir à Ankara.
D’étudiants en biologie à militants
La route qui a mené ce duo à la reconnaissance internationale n’a pas été sans embuches. Özgür et Melike ont commencé à militer pour les droits des personnes LGBTQI+ en 2014, en entrant à l’Université technique du Moyen-Orient (METU), à Ankara. Ils ont alors rejoint le groupe universitaire de solidarité avec les personnes LGBTQI+, le plus ancien club de ce type dans le pays. Fondé en 1996, ce groupe organise une marche des fiertés chaque année dans la ville depuis 2010.
À l’époque, tant Özgür que Melike envisageaient une carrière en biologie, leur domaine d’étude. Depuis lors, ils ont été arrêtés à plusieurs reprises, ont fait l’objet de deux ans de poursuites pénales et sont devenus des militants aguerris des droits des personnes LGBTQI+. Ils ont rassemblé autour d’eux une communauté de militants déterminés à améliorer le sort des étudiants LGBTQI+ au sein des universités turques. Ils comptent également parmi les fondateurs d’ÜniKuir, une association qui vise à promouvoir les droits des personnes LGBTQI+ sur les campus universitaires turcs.
En 2016, Özgür et Melike faisaient déjà partie des dirigeants du club de l’université METU quand la Turquie a été le théâtre d’une tentative de coup d’État par une faction des forces armées turques visant des institutions de l’État, dont le gouvernement et la présidence d’Erdogan. Au mois de mai suivant, le président a déclaré l’état d’urgence.
Pour Melike et Özgür, cet état d’urgence a été synonyme d’interdiction des événements LGBTQI+ à travers le pays.
« À partir de ce moment-là, les choses se sont compliquées », explique Özgür. « Le gouvernement a accéléré sa campagne visant à réduire à néant toute forme d’opposition et il a renforcé les contrôles dans les universités. Nous avons ressenti davantage de pression. Entre 2017 et 2019, tous nos événements étaient considérés comme illégaux. »
La marche des fiertés considérée comme illégale
En 2019, les autorités de l’université METU ont interdit la marche des fiertés. Les étudiants ont alors organisé un sit‑in, qui a été violemment réprimé par la police. Vingt-deux personnes ont été placées en détention, dont Melike et Özgür. Ensuite, deux mois après la marche, la police a arrêté Melike et Özgür ainsi qu’un autre militant, le jour de leur proclamation.
« Ils nous ont placés en garde à vue toute la journée et nous avons manqué notre remise des diplômes. Ils voulaient nous menacer et qualifier nos actions en faveur des droits des personnes LGBTQI+ d’activités terroristes », ajoute Melike.
Par la suite, les autorités ont entamé des poursuites judiciaires à l’encontre des militants, les accusant d’avoir organisé illégalement une marche des fiertés. Ces poursuites ont duré deux ans. Ce n’est qu’en octobre dernier qu’un juge a rejeté toutes les accusations à leur encontre, estimant que l’organisation de la marche ne constituait pas une activité illégale.
« Cela nous a peut-être pris deux ans, mais ces deux années n’auront pas été vaines », précise Melike. « Il y avait déjà eu des arrestations lors de marches des fiertés en Turquie, mais, généralement, il suffisait de dire que l’on était un simple spectateur et non un participant pour être relâché. Dès le début, nous avons insisté sur le fait que nous étions les organisateurs de la marche. »
Dans le cadre de cette affaire judiciaire, les militants ont lancé une campagne de solidarité internationale, en collaboration avec Amnesty International et d’autres organismes, afin de faire entendre leur revendication de pouvoir exercer librement leurs droits en tant que membres de la communauté LGBTQI+ et de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les étudiants LGBTQI+ en Turquie. Le groupe a récolté plus d’un demi-million de signatures de soutien.
Tout au long de cette période, les militants de METU ont aussi étroitement collaboré avec d’autres étudiants de l’Université Boğaziçi d’Istanbul, qui abrite le deuxième groupe de solidarité LGBTQI+ le plus ancien de Turquie, dissout par le recteur de l’université. Ses membres ont également fait l’objet de poursuites judiciaires et ont été accusés de terrorisme.
ÜniKuir soutient des étudiants à travers toute la Turquie
C’est la réussite de ces campagnes qui a motivé le groupe à fonder ÜniKuir dans le but de soutenir les groupes de solidarité LGBTQI+ dans les universités de tout le pays. Fondée début 2020, avec le soutien du FEDEM, l’association compte désormais 36 clubs en Turquie et plus de 1 000 bénévoles.
« Nous nous sommes rendu compte que nous devions unir nos forces pour nous protéger et protéger les autres. Ainsi, nous ne nous sentirions pas seuls et la communauté se sentirait davantage soutenue », précise Melike.
ÜniKuir est active dans toutes les grandes villes turques et elle commence à s’implanter dans les zones rurales.
L’une de ses initiatives phares n’est autre que son programme de solidarité, qui offre du soutien aux communautés LGBTQI+ à l’échelle du pays. Ce programme consiste à aider les militants à créer de nouveaux clubs universitaires ainsi qu’à conseiller et soutenir leurs membres en organisant régulièrement des réunions en ligne ou en personne. Le groupe propose également des services de conseil ainsi qu’une aide psychologique et juridique aux jeunes.
Özgür souligne que le télétravail – un mode de fonctionnement qu’ils ont été contraints d’adopter à cause de la pandémie de COVID-19 et du confinement décrété seulement un mois après la création d’ÜniKuir – leur a permis de toucher davantage d’étudiants à travers le pays.
Le site internet d’ÜniKuir est au centre de son travail de communication et de plaidoyer. Il est devenu une plateforme sur laquelle la communauté se rassemble, communique et partage des avis ou les dernières actualités. « Nous aidons également nos membres à mieux maîtriser les médias », explique Melike.
Les militants se penchent aussi sur la problématique de l’égalité en droits pour les étudiants LGBTQI+. Ils ont récemment édité des brochures sur la prévention du harcèlement sexuel à l’université. Ils ont également établi un classement des universités d’Istanbul et d’Ankara sur la base de leur degré d’inclusivité vis-à-vis des personnes LGBTQI+ et ils envisagent d’étendre ce classement à l’ensemble des universités du pays.
Les prochaines élections de 2023
Au cours des prochains mois, ÜniKuir concentrera ses activités sur l’engagement politique et le travail de plaidoyer. Alors que des élections législatives sont prévues en Turquie en 2023, les militants se sont mis en relation avec des candidats et des décideurs politiques en Turquie, mais aussi en dehors du pays, afin de plaider pour le respect des droits des membres de la communauté LGBTQI+ en Turquie.
« Ce sont les élections les plus importantes de notre existence. Nous souhaitons que la jeunesse LGBTQI+ s’engage politiquement », précise Melike.
Le soutien octroyé par le FEDEM permet à ÜniKuir de renforcer ses capacités institutionnelles et couvre ses principaux coûts de fonctionnement, l’équipe cherchant à renforcer son réseau de clubs universitaires LGBTQI+.
« Avant la fondation d’ÜniKuir, il n’y avait que six groupes universitaires LGBTQI+. Désormais, ils sont six fois plus nombreux. C’est une grande source de motivation. ÜniKuir est un havre de paix pour les étudiants ; ils y trouvent du soutien. Par le passé, on comptait beaucoup moins d’étudiants engagés politiquement. Aujourd’hui, les jeunes LGBTQI+ veulent être acteurs d’un changement positif dans leurs universités. Nous leur avons fourni une plateforme sur laquelle ils peuvent s’entraider et apprendre les uns des autres », conclut Melike.