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Fuir les territoires ukrainiens occupés

29 March 2022

Fuir les territoires ukrainiens occupés

Une partenaire du FEDEM nous raconte sa fuite spectaculaire des territoires ukrainiens occupés.

« Dans la matinée du 24 février, lorsque la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine, mon mari et moi nous sommes rendus à Lubyanka, dans l’oblast de Kiev, où vit sa famille. Nous avions prévu de rassembler les membres de sa famille puis de fuir vers l’ouest de l’Ukraine. Puis, nous envisagerions la suite.

Lubyanka se situe dans les environs de Hostomel, Boutcha et Borodianka, trois villes de la banlieue de Kiev. Dès les premières heures de l’invasion russe, la zone a été en proie a des combats acharnés, les forces russes cherchant à s’emparer de l’aéroport de Hostomel.

Tout s’est déroulé rapidement en ce premier jour de guerre. Les ponts du village – seuls points d’accès – ont été détruits. Des avions russes sillonnaient le ciel et d’importants convois de blindés sont entrés dans la zone. Le village a été lourdement bombardé. Les forces russes ont rapidement pris le contrôle des routes entourant le village.

Nous avons alors décidé de partir le lendemain et nous avons commencé à planifier notre itinéraire.

Aucune fuite possible

Le 25 février, depuis la fenêtre, nous avons vu des véhicules de combat russes tirer sur un minibus de civils qui tentaient de fuir. Le lendemain, nous avons à nouveau été témoins d’un incident similaire. Nous nous sommes rendu compte qu’aucune voie n’était sûre et que nous étions encerclés par l’armée russe.

Coincés à l’intérieur de la maison, nous n’avons pas chômé. Nous avons suivi les mouvements des véhicules de combat russes et transmis ces informations aux autorités ukrainiennes, afin d’aider les artilleurs et soldats ukrainiens.

Nous disposions d’une connexion mobile au troisième étage et avions parfois accès à internet. Cela nous a permis de recevoir des nouvelles et d’aider d’autres membres de l’équipe qui se trouvaient toujours dans l’est du pays et qui cherchaient un logement ou avaient d’autres besoins urgents. Nous avons également pris des photos et vidéos de ce qu’il se passait autour de nous.

À quelques dizaines de mètres de notre logement, les troupes russes ont déployé leur artillerie pour bombarder Hostomel, Boutcha, Borodianka, Makariv, Kiev et leurs alentours. Des avions et véhicules de combat russes étaient là en permanence.

L’arrivée des Kadyrovites

Le matin du 9 mars, nous avons aperçu un convoi de plus de 50 blindés près du village et dans la forêt, à moins de 100 mètres d’où nous nous trouvions. Des « Kadyrovites » – des membres de la milice du président tchétchène Ramzan Kadyrov – étaient également sur place. Les Russes ont commencé à entrer de force dans les maisons de nos voisins. Nous n’étions équipés que de fusils de chasse et nous savions que nous ne pourrions pas faire le poids face aux soldats.

Nous avions déjà appris par des communiqués officiels que des unités du président Kadyrov étaient entrées dans notre district, et des pillages et des exécutions de civils avaient été signalés. Le maire de Hostomel et deux bénévoles avaient été tués alors qu’ils distribuaient du pain et des médicaments à la population. D’autres civils avaient été abattus dans leur voiture en tentant de fuir. Nous avons vu des véhicules militaires prendre pour cibles nos maisons et celles d’autres civils.

Mon mari et moi avons pris un fusil, des munitions, nos documents, de l’argent liquide, nos téléphones, une batterie de secours et avons fui dans la forêt. Nous ne pouvions rien emporter de plus. Nous avions entendu que les troupes russes inspectaient les ordinateurs portables et les appareils vidéo pour ensuite les détruire. La veille, nous avions caché des armes à feu et d’autres équipements dans un endroit sûr. Nous savions qu’en restant dans la maison, nous mettions en danger ses propriétaires, un couple de retraités.

Traverser la forêt sous des températures négatives

Nous avions parcouru environ un kilomètre quand nous avons entendu les cris d'une femme, des aboiements et des tirs de mitrailleuse. De nombreux véhicules blindés nous entouraient. Nous avons tenté de parler aux propriétaires de cette maison, mais personne ne nous a répondu, donc nous avons poursuivi notre route.

Nous avons continué à avancer à travers la forêt et sommes parvenus à contourner l’armée russe, ses avant-postes, ses camps et ses patrouilles. À un moment, nous avons dû attendre plus de trois heures au même endroit pendant que des avions de combat patrouillaient au-dessus de nous.

Vers minuit, nous sommes arrivés à Buda-Babynetska. Nous avons pu atteindre une veille maison abandonnée aux abords du village et y avons passé la nuit. Toute la nuit, l’armée russe a procédé à des tirs d’artillerie depuis le village. Nous avions nos fusils, quelques documents, des munitions et sommes entrés dans le village, où nous avons demandé de l’eau à la population locale ainsi que des informations sur la situation dans la région.  

Cette nuit-là, il faisait environ -9 °C et le vent était fort. Nous n’avions ni eau ni nourriture. Nous avons commencé à suivre les sentiers forestiers plutôt que de marcher au milieu des arbres. Nous sommes arrivés à un arrêt de bus près du village de Mykulychi, à 50 mètres du poste de contrôle russe. Les Russes occupaient déjà le village.

Un homme nous a accueilli, nous a donné à manger et nous a proposé de nous loger pendant quelques jours, jusqu’à ce que la météo s’améliore – on prévoyait des températures très basses pour les deux prochains jours.

Les batteries de nos téléphones étaient vides et nous n’avions rien pour les recharger. Nous n’avions pas non plus de carte ou de boussole. Nous avions déjà parcouru environ dix-neuf kilomètres et il nous en restait encore vingt-cinq, tandis que la situation autour de nous évoluait rapidement.

Nous avons passé la nuit dans cette maison. Le lendemain matin, notre hôte nous a expliqué que des bus évacuaient les civils via des couloirs humanitaires. Nous savions que ces couloirs, c’était la roulette russe. Parfois, des civils étaient tués pendant les évacuations, mais nous savions également que fuir à travers la forêt sur des territoires occupés était tout aussi dangereux.

Nous avons attendu toute la journée, mais aucune évacuation n’a eu lieu. Bien plus tard ce jour-là, les proches de notre hôte l’ont contacté pour la première fois depuis le début des hostilités pour lui dire qu’ils étaient en vie et qu’ils étaient parvenus à quitter le village sans encombre.

Le lendemain, des équipes de secours ukrainiennes et des représentants de la Croix-Rouge sont arrivés en bus à Mykulychi pour évacuer la population. Nous avons roulé jusqu’à Bilohorodka puis, de là, jusqu’à Kiev.

Nous portions les vêtements d’étrangers et n’avions aucun effet personnel. Nous avions laissé tous nos équipements, nos armes à feu et notre voiture derrière nous. Mais au moins, nous étions en vie. »