Nazik Armenakyan et 4Plus
17 March 2022Former des jeunes au journalisme visuel en Arménie
Un collectif animé par des femmes s’attache à former la future génération de photojournalistes arméniens.

Lors de son entretien en ligne avec le FEDEM pour parler de 4Plus, le collectif basé à Erevan qu’elle dirige, Nazik Armenakyan s’exprime lentement, articulant et choisissant soigneusement ses mots, affaiblie par la COVID dont elle se remet doucement alors que la pandémie continue de faire rage. Et il n’y a pas que de la COVID dont se remet Nazik pour qui les 44 jours de conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 2020 se font encore durement sentir.
« Nous avons tous été très touchés par la guerre. Nous avions tous des amis ou des membres de la famille qui se battaient au front. C’était très dur. Je suis heureuse que notre collectif ait survécu et que nous ayons pu continuer à travailler. Nous avons poursuivi notre activité tout au long de la guerre. Parfois, je me demandais si on allait s’en sortir, mais nous sommes restés soudés. Peut-être est-ce parce que nous sommes toutes des femmes et que nous nous sommes soutenues mutuellement. Nous nous sentions unies », raconte Nazik.
Et c’est précisément ce sentiment de communion qui a incité Nazik, Anush Babajanyan et Anahit Hayrpetyan à fonder 4Plus il y a dix ans, rejointes ensuite par Piruza Khalapyan et Nelli Shishmanyan en 2016. Ensemble, elles ont donné vie à une vaste communauté d’hommes et de femmes photographes, éditeurs, web designers et rédacteurs avec lesquelles elles collaborent à l’occasion de divers projets. Et c’est ce sentiment d’être intimement liées qui fait que Nazik, Anahit, Piruza et le reste de l’équipe gardent le cap du collectif.
« La Covid-19 et la guerre nous ont rappelé que la vie est courte et que nous n’avons pas de temps à perdre, que ce soit en Arménie ou ailleurs. Nous devons travailler, coopérer, créer, partager et collaborer », martèle Nazik.
Former une nouvelle génération de photo et vidéo journalistes
4Plus vient de créer la première école de photographie d’Arménie qui forme une nouvelle génération de journalistes visuels et réalisateurs de documentaires, les aidant à établir des liens entre eux et avec d’autres photojournalistes.
« La situation actuelle est très délicate en Arménie. Les gens font face à d’immenses difficultés dans leur vie quotidienne, et pour nous, les photographes, il y a moins de fonds pour financer nos projets. D’aucuns pourront se demander à quoi sert la photographie dans un pays qui fait face à tant de détresse sociale. La question est légitime mais nous pensons que la photographie a toute sa place et qu’elle joue un rôle important. Et nous voulons transmettre nos compétences à la nouvelle génération », confie Nazik.
Pour Nazik, l’école de photographie est au contraire opportune à l’ère des médias sociaux où nos vies sont constamment représentées et visualisées. Le réseau étendu du collectif 4Plus permet aux jeunes d’acquérir de précieuses compétences, très utiles pour évoluer sur le plan professionnel.
Nazik et les co-fondatrices de 4Plus sont toutes diplômées en photojournalisme de l’Institut du Caucase, organisée par World Press Photo en 2004-2006, où elles ont eu la chance d’avoir pour mentor Ruben Mangasaryan, l’un des plus éminents photojournalistes en Arménie.
« À 4Plus, nous avons toutes eu la chance de suivre une formation professionnelle en photographie. Il n’existe actuellement en Arménie aucune école spécialisée dans le photojournalisme ; c’est juste un module intégré aux études générales de journalisme et ça n’est pas suffisant. Nous commençons avec un programme de six mois que nous espérons pouvoir prolonger afin de proposer des modules avancés. Nous ne nous contentons pas d’apprendre à nos étudiants des compétences techniques. Nous voulons stimuler leur pensée critique, les sensibiliser à l’éthique et aux valeurs du journalisme », insiste Nazik.
Aborder les sujets tabous
4Plus est dirigé par des femmes et si Nazik reconnaît que l’équipe s’intéresse particulièrement aux femmes photojournalistes qui restent largement sous-représentées dans la profession, le collectif s’adresse à tous les photographes et producteurs multimédias émergents et de talent. Au cours des dix dernières années, le collectif a publié sur son site Web des dizaines de travaux sur des thèmes très variés, avec notamment des articles sur les violences conjugales, les minorités, la vie de famille, la pandémie et le conflit du Haut-Karabagh.
Nazik est particulièrement fière de son travail sur les personnes atteintes du VIH, un sujet tabou en Arménie. « J’ai commencé à travailler sur le sujet en 2014, mais il m’aura fallu des années pour trouver le moyen de le présenter visuellement d’une manière qui ne stigmatise pas davantage des personnes qui le sont déjà suffisamment », explique-t-elle.
En est ressorti en 2021 un essai photographique intitulé Red White Black qui présente les récits poignants de quatre femmes séropositives. Le projet a suscité un vif intérêt dans le pays, en particulier parmi les jeunes.
Bâtir un collectif qui s’inscrit dans la durée
4Plus a considérablement évolué et mûri ces dix dernières années, reflétant les mutations et la situation changeante dans le pays. « Au début, nous travaillions avec tout le monde, nous étions sur tous les fronts. Nous avons frôlé le burn-out. Nous sommes aujourd'hui un peu plus centrés. Nous savons quels sont les sujets qui nous intéressent et nous collaborons avec une équipe de professionnels. Nous n’en sommes plus à demander au photographe de tout faire : la rédaction, la révision et la conception Web. Nous nous répartissons les tâches et sommes plus professionnels », se félicite Nazik.
Depuis quelques mois, l’équipe réfléchit à la manière de garantir sa pérennité. Une subvention allouée par le FEDEM a permis au collectif d’employer 4 personnes à temps plein et de revoir sa structure organisationnelle, sa gestion et sa stabilité financière.
C’est au cours de ce processus qu’est née l’idée d’ouvrir l’école de photographie, une évolution toute naturelle puisque l’équipe avait ces dernières années organisé des ateliers dans tout le pays. 4Plus possède également une boutique en ligne qui vend des tirages photos et des vêtements arborant les photos du collectif, très appréciés des jeunes.
L’an passé, le collectif renouvelait l’identité visuelle et la stratégie de 4Plus dans le but d’accroître sa visibilité dans le pays. Plus récemment, l’équipe a fait l’acquisition d’une imprimante professionnelle pour imprimer des photos de très bonne qualité et elle a trouvé un fournisseur de papier de qualité supérieure en Allemagne.
Projets à venir : un centre arménien d’archives photographiques
4Plus occupe depuis plusieurs années le même appartement de quatre pièces dans le centre de Erevan. Cet espace sert également de lieu d’expositions temporaires qui l’an passé a accueilli, entre autres, le travail de Maryam Shalinyan, la première femme photographe d'Istanbul. C’est également là que se tiendront les cours de l’école de photographie.
Parmi les nombreux projets que Nazik a pour l’avenir, deux lui tiennent particulièrement à cœur.
Tout d’abord, elle aimerait ouvrir une galerie digne de ce nom à Erevan pour des expositions de photos.
Ensuite, elle rêve de fonder un centre d’archives photographiques arménien. « En tant que collectif, je ne crois pas trop m’avancer en disant que depuis que nous avons lancé notre site Web en 2017, nous avons déjà fait un bon travail de documentation sur les dernières années. Les Arméniens ont un lien fort avec la photographie et pourtant nous n’avons pas d’archives de photos arméniennes. Nous voulons créer une base de données accessible qui présenterait le travail de photographes arméniens passés et contemporains », conclut Nazir.
Cet article reflète les opinions des personnes bénéficiaires de subventions et non pas forcément la position officielle du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM), de la Commission européenne, des États européens ou de bailleurs de fonds.