Pasha Parfeny et Lautar
9 March 2022De l’Eurovision à un rôle clé au sein du mouvement moldave pour la démocratie
Après avoir représenté la Moldavie à l’Eurovision il y a dix ans, Pasha Parfeny a décidé de mettre sa musique au service de la démocratie.

En 2012, le chanteur et compositeur moldave Pasha Parfeny représentait la Moldavie au Concours Eurovision de la chanson avec son titre entraînant en langue roumaine, « Lautar », aux sonorités traditionnelles. Les paroles de la chanson parlent d’une femme qui, à un mariage, était plus belle que la mariée : « Tu es tombée du ciel, comme venue du paradis ». « Lautar » est ensuite devenu le nom de l’ONG que M. Parfeny a fondée pour financer ses concerts.
La participation à l’Eurovision constitue souvent le point d’orgue d’une carrière de musicien. Mais celle de M. Parfeny a rapidement pris un tournant inattendu.
Exclu des scènes moldaves
Dès 2017, M. Parfeny n’était plus le bienvenu sur les scènes moldaves. Le ministère de la Culture lui a en effet interdit de se produire dans des salles de concert, des théâtres, à la télévision, et même dans des restaurants locaux tenus par des partisans du gouvernement. À la même époque, l’oligarque Vladimir Plahotniuc contrôlait les médias, la justice et une grande partie de l’appareil d’État et, avec d’autres oligarques, il avait commis le « vol du siècle » en dérobant un milliard de dollars à la Moldavie.
« Je ne pouvais pas rester sans rien dire », explique M. Parfeny au FEDEM. « J’ai exprimé mon avis à plusieurs reprises, ce qui n’a pas été du goût des autorités. »
Il s’est d’abord impliqué dans des campagnes contre la corruption et la captation de l’État à l’époque du mouvement « Occupy Guguta ». Les jeunes de ce mouvement avaient alors organisé une manifestation contre l’octroi d’un permis d’urbanisme grâce auquel des amis de M. Plahotniuc auraient pu acheter un bâtiment emblématique d’un parc public du centre-ville de Chisinau pour le transformer en hôtel gratte-ciel.
En 2016, lors d’un concert célébrant les vingt-six ans de l’indépendance de la Moldavie, M. Parfeny arborait un tee-shirt noir portant le slogan de la campagne #NuPlaha. « C’est ce geste qui a confirmé mon militantisme et ma volonté de me battre pour défendre la liberté d’expression et la démocratie », affirme-t-il.
Un mouvement d’artistes contre la corruption
M. Parfeny, en collaboration avec les autres membres de Lautar, notamment le chanteur Cãtãlin Josan, Marian Lupu (MANI), Ştefan Gligor et Alyona Moon, a lancé un mouvement anti-corruption sous le nom de « Lautar », demandant aux artistes de ne pas se produire lors d’événements organisés par des personnalités politiques corrompues ou en leur faveur.
En 2017, toujours interdit d’événements nationaux, M. Parfeny a participé à plusieurs concerts à l’étranger pour la diaspora moldave, sous les hashtags #FreeMoldova et Vocile Curajului (Les Voix du Courage), qui ont attiré plus de 10 000 spectateurs. Étant donné que plus d’un million et demi de Moldaves vivent à l’étranger, le vote de la diaspora s’est avéré déterminant lors des dernières élections dans le pays. « Il ne s’agissait pas seulement de concerts, mais d’actes de résistance », souligne-t-il.
Crédits photographiques : Plai Fest
Des concerts pan-moldaves à l’aube des élections
Les membres de Lautar, s’étant rendu compte qu’en tant qu’artistes populaires, ils étaient en mesure de toucher des populations locales dubitatives face aux messages pro-démocratie, ont décidé d’organiser plusieurs événements durant la campagne électorale de 2019, auxquels ont participé Pasha Parfeny et d’autres musiciens, les comédiens populaires du « Comedy Zebra Show » ainsi que d’autres voix indépendantes bien connues telles qu’Alexei Tulbure et Stefan Grighor.
Grâce au soutien du FEDEM, quinze concerts ont pu être organisés en amont des élections de 2019, tant dans les régions russophones que roumanophones. Chaque événement s’achevait par un débat public sur les grands enjeux moldaves, à savoir la pauvreté, la corruption et la captation de l’État, en lieu et place de la rhétorique géopolitique clivante du Parti démocrate de M. Plahotniuc.
Bien entendu, Lautar n’a pas été accueilli à bras ouverts partout. M. Parfeny nous raconte que le gouvernement organisait parfois d’autres événements en parallèle des concerts du mouvement. De plus, il arrivait que les organisateurs des événements de Lautar soient chassés par la police et leurs affiches arrachées.
Mais ils ont également connu des moments plus comiques. Un jour, l’épouse de Pasha Parfeny a enregistré la conversation de ce dernier avec un dignitaire local, qui évitait ses appels. « Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas tenté de joindre son assistante et je lui ai répondu que cela faisait des semaines que j’essayais. Il lui a demandé : “M. Parfeny m’a-t-il appelé ?" et elle lui a répondu : “Vous m’aviez dit que s’il appelait, vous ne souhaitiez pas répondre” », se souvient-il. M. Parfeny a rendu cet enregistrement public.
Une autre fois, M. Parfeny a organisé un concert aux abords du Palais National, où avait lieu la remise des prix musicaux nationaux. Son concert a attiré bien plus de spectateurs que la cérémonie.
Grâce au soutien du FEDEM, Pasha Parfeny a également enregistré deux chansons qui sont devenues des hymnes du mouvement pour la démocratie : « Am o țară ca o floare » (Mon pays est comme une fleur) et « Liber » (Libre).
Un moment charnière pour la démocratie moldave
C’est également en 2019 que M. Parfeny a joué un rôle déterminant dans la résurrection de la démocratie moldave. Depuis les élections de février 2019, les partis politiques se démenaient pour former un gouvernement. En juillet de la même année, le parti pro-européen ACUM et le Parti socialiste étaient parvenus à un accord pour former une coalition historique contre le Parti démocrate. Toutefois, au moment du vote, l’électricité et le système audio du parlement ont été coupés.
« J’ai fait entrer mon propre système audio dans le bâtiment et j’ai configuré des micros et des enceintes. Le vote a pu être organisé avec mes micros et grâce à mon système audio, les partis ont pu commencer à collaborer », explique M. Parfeny. Les images de personnalités politiques et de musiciens apportant le matériel audio de M. Parfeny au parlement ont fait la une de journaux du monde entier.
M. Parfeny candidat aux élections ?
En 2020, avant les élections présidentielles remportées par Maia Sandu et les élections législatives qui ont suivi, Pasha Parfeny et Lautar étaient à nouveau en tournée grâce à une autre bourse du FEDEM. Ils ont également diffusé plusieurs sketchs satiriques en ligne, en partenariat avec des comédiens connus, dans le but d’expliquer les valeurs démocratiques à la population et de promouvoir ces valeurs.
Durant la même période, Lautar a organisé une série d’événements supplémentaires dans d’autres villes du pays. Comme pour les concerts, ces événements comprenaient des représentations musicales, des sketchs et des discours de militants connus. Lautar, en collaboration avec la commission électorale centrale moldave, y a également organisé des simulations d’élections, au cours desquelles le public pouvait voter pour trois candidats fictifs, tous artistes, dont M. Parfeny.
Si M. Parfeny ne souhaite pas nous dévoiler le résultat qu’il a obtenu lors de ces élections fictives, il nous explique qu’au moins un quart des spectateurs y a participé, notamment les enfants. « Je suis presque certain que ces enfants se sont assurés que leurs parents avaient bien été voter en juillet dernier », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, avec Natalia Gavrilita comme Première ministre et Maia Sandu comme présidente, deux femmes issues du parti pro-européen Action et Solidarité, et leurs promesses de lutte contre la corruption, de réforme du système judiciaire, de soutien à la méritocratie et d’amélioration de la transparence, la Moldavie semble avoir véritablement emprunté la voie de la démocratie. Peut-être que la Moldavie se rapproche enfin du « paradis » dont M. Parfeny parlait dans sa chanson pour l’Eurovision il y a dix ans.