Fisnik Çerkini et CoolnFresh Magazine
3 February 2022Bousculer les tabous au Kosovo à la force du … mème
La page Instagram satirique CoolnFresh a choisi l’humour pour amener les gens à réfléchir à des questions aussi importantes que le sexisme, le racisme, la corruption et la politique au Kosovo*.

Quand Fisnik Çerkini a lancé CoolnFresh, une page Instagram satirique, alors qu’il était étudiant à Pristina, c’était surtout pour s’amuser. Trois ans plus tard, ce qui avait commencé comme un projet secondaire est devenu une référence en matière d’humour au Kosovo, avec plus de 120 000 abonnés sur Instagram, un site Web satirique dédié à l’information et deux émissions Web hebdomadaires.
« J’avais un vieil ordinateur à l'époque pour créer notre logo », se rappelle Fisnik, lors d’un entretien avec le FEDEM. « Le jour où j’ai lancé la page, CoolnFresh a eu 100 abonnés. Trois mois après, elle en avait 10 000. Et depuis le nombre n’a jamais cessé d’augmenter. »
Au moyen de mèmes badins et légers, CoolnFresh commente l’actualité et la politique au Kosovo, remet en question les tabous sociaux et déclenche des discussions sur des sujets très variés, allant de la corruption à la criminalité, en passant par le sexisme et le racisme. « Nous ne prétendons pas détenir la vérité. Nous présentons les problèmes et les comportements qui interrogent sans dire explicitement qu’ils sont condamnables, mais d’une manière qui incite les gens à réfléchir », explique Fisnik.
L’humour est l’élément central de l’approche de CoolnFresh. Fisnik raconte comment lui et son équipe utilisent des photos du célèbre footballeur Cristiano Ronaldo et de son épouse, les représentant comme un couple kosovar stéréotypé qui adopte des comportements que les internautes reconnaissent et qui donnent à réfléchir. « Je crois que Cristiano jouit d’une telle notoriété qu’il ne nous en voudra pas », se rassure-t-il.
Abonnés en hausse pendant les élections et la pandémie de Covid-19
La popularité de CoolnFresh a décollé pendant la dernière campagne des élections législatives, alors que la page publiait régulièrement des mèmes sur les principaux représentants politiques. Un commentaire en particulier publié lors d’un débat télévisé a suscité une vague soudaine de nouveaux abonnés.
« Nous ne prenons le parti de personne – Nous nous moquons de tout le monde », cite Fisnik. Cette approche a valu à CoolnFresh de nombreuses critiques des groupes politiques de tout bord. Mais ça lui a surtout valu la confiance et le soutien de la société qui a vu en CoolnFresh l’illustration de l'impartialité, une qualité cruciale dans un paysage médiatique biaisé, régi par des intérêts commerciaux et politiques.
La pandémie n’est pas étrangère au gain de popularité de la CoolnFresh. « La pandémie a été une période difficile pour tout le monde, mais c’est ce qui pouvait arriver de mieux à CoolnFresh vu que tout le monde était coincé chez soi et sur les réseaux sociaux », relate Fisnik. « En début de pandémie, nous comptions à peine 32 000 abonnés. Pendant le confinement, nous postions jusqu’à 15 publications par jour, et elles étaient vues par plus de 100 000 personnes. »
La popularité de CoolnFresh a également ouvert la voie à d’autres pages similaires au Kosovo. « Nous sommes fiers de l’impact que notre humour a sur les gens au Kosovo », s’enorgueillit Fisnik.
Une équipe aussi jeune que déterminée
Dès le début, Fisnik s’est investi corps et âme pour donner vie à CoolnFresh, travaillant à temps plein comme responsable médias sociaux, et se consacrant à CoolnFresh le soir et le week-end. « Je trouve toujours le temps pour Coolnfresh. Je peux être au bar avec un copain ou en randonnée au milieu de nulle part quand me vient une idée à publier. J’y prends tant de plaisir que je n’ai pas l’impression de travailler », admet Fisnik.
L’aide versée par le FEDEM a permis à Fisnik de quitter son emploi, de moderniser son bureau et d’acheter les équipements nécessaires pour la page Instagram et les publications sur YouTube. « Quand j’ai appris que j’allais recevoir une aide du FEDEM, je n’en croyais pas mes oreilles. Je n’aurais jamais pensé qu’une organisation européenne serait sensible à nos mèmes », se rappelle Fisnik. « Ça m’a motivé pour trouver d’autres sources de financement pour nos activités. »
La subvention a également servi à financer de la publicité sur les réseaux sociaux, aidant CoolnFresh à toucher un plus grand lectorat et à recruter dix personnes à temps plein et cinq autres à temps partiel. Ils sont tous très jeunes : du haut de ses 25 ans, Fisnik est le plus âgé et il doit constamment réfréner les ardeurs du reste de l’équipe. « Nous nous soutenons mutuellement, nous reconnaissons nos erreurs et nous partageons nos victoires », affirme-t-il.
Pérennité et projets à long terme
CoolnFresh opère désormais sur un modèle commercial qui fait appel à la publicité payante pour des marques locales sur sa page Instagram créée dans le même esprit que ses mèmes. L’équipe a également crée CoolnFresh Studio, une société parallèle qui gère les pages de réseaux sociaux de marques locales. Ces activités génèrent des revenus, certes modestes, mais qui permettent de couvrir certaines dépenses.
L’équipe met également son succès commercial au profit de la communauté. L’an passé, elle a collaboré avec une université locale, offrant à cette dernière des espaces publicitaires gratuits sur CoolnFresh, avec en contrepartie, des bourses d’enseignement supérieur pour des jeunes femmes. « J’ai moi-même bénéficié d’une bourse pour mes études à l’université », déclare Fisnik, « et je voulais que d’autres jeunes aient la même opportunité. »
L’équipe de CoolnFresh a pour ambition de devenir un média alternatif totalement autonome, d’étendre son lectorat et de diversifier son contenu. L’équipe publie déjà une émission YouTube durant laquelle Fisnik s’entretient avec des artistes et des représentants politiques locaux. Cet automne, deux nouvelles émissions devraient voir le jour.
« CoolnFresh existe depuis trois ans et demi. C’est une prouesse pour un modeste média au Kosovo », ironise Fisnik. « J’aime à penser que c’est parce que nous sommes indépendants et refusons de céder aux intérêts politiques ou commerciaux. J’espère qu’à l’avenir nous ne perdrons rien de notre motivation première et de notre éthique et que nous ne nous prendrons jamais au sérieux. Tout ce que nous voulons, c’est faire rire les gens et dans le même temps avoir un impact positif sur la société kosovare. »
* Toute référence au terme Kosovo faite sur le présent site Web doit s'entendre conformément à la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies et sans porter atteinte au statut du Kosovo.