Nouvelles opportunités pour les jeunes dans le sud-ouest de la Tunisie

Un café culturel fondé par trois frères dans le sud-ouest de la Tunisie devient un espace d’activité pour les jeunes musiciens, acteurs et cinéphiles et fait entrer le débat sur le monde qui les entoure.

Deux ans après la révolution tunisienne et après avoir vécu huit ans à l’étranger, Amine Mansour est revenu dans sa ville natale, Gafsa, une ville minière du sud-ouest de la Tunisie, proche de la frontière algérienne. Là, il a retrouvé une ville en crise, touchée par de hauts niveaux de chômage et par le fléau de l’alcool et de la drogue, tandis qu’une importante part de la population estudiantine n’a accès à aucune forme de divertissement.

Inspiré par l’énergie et l’optimisme de la révolution de 2011 et avec quelques années de militantisme à son actif, Amine a convaincu ses frères de la nécessité de doter Gafsa d’un espace où les jeunes hommes et femmes pourraient se retrouver librement et prendre part à des activités culturelles, pour redonner vie au riche patrimoine culturel de la ville. Les frères ont jeté leur dévolu sur un bâtiment en plein cœur de la ville pour y abriter un nouveau café culturel qu’ils ont fièrement baptisé « Downtown Café ».

Convaincre

Convaincre une communauté traditionnelle

Au début de Kahwetna (nom donné au projet plus vaste), il n’a pas été facile de capter l’attention des jeunes, se souvient Amine. Ils voulaient juste un lieu où ils pouvaient venir boire un thé ou un café, c’était globalement tout ce qui les intéressait. Le programme culturel du café proposé par les frères a démarré avec des courts-métrages documentaires réalisés par des cinéastes locaux.

« Nous savions qu’il fallait proposer des films courts portant sur des sujets qui intéressaient les jeunes. C’était le seul moyen de les persuader de rester voir les films et de participer aux discussions après la projection avec les réalisateurs », confie Amine.

Lui et ses frères ont également fait un travail de terrain auprès de cette communauté conservatrice traditionnelle afin de faire accepter la présence des jeunes femmes au café. En 2013, il n’existait aucun café mixte à Gafsa et Amine se rappelle avoir rendu visite à de nombreuses familles locales pour expliquer le concept du café culturel aux parents des étudiants.

Les frères ont également adapté les horaires d’ouverture du café à sa jeune clientèle, dont la plupart sont mineurs. Ils ont opté pour un décor haut en couleurs pour attirer les jeunes et octroyer au café une atmosphère quelque-peu familiale. Ils se sont également efforcés de faire du café un lieu sûr pour les jeunes femmes, exempt du harcèlement dont elles font régulièrement l’objet dans les rues de la ville.

Un espace culturel dynamique

Huit ans plus tard, Downtown Café a survécu à une campagne de dénigrement et à de vives réactions de la part de la frange plus conservatrice de la communauté de Gafsa, et ce grâce au dévouement et à la fidélité d’un groupe de volontaires qui est devenu le pilier du café.

Militants politiques, journalistes, photographes et créateurs ont collaboré avec Amine et ses frères pour faire de Downtown Café un lieu culturel doublé d’un espace où les jeunes se sentent à l’aise pour débattre de sujets et d’enjeux actuels, allant des maladies sexuellement transmissibles aux dernières décisions constitutionnelles. L’équipe encourage également les jeunes à s’impliquer dans le monde qui les entoure afin d’être acteurs de leur avenir.

Le café organise, par ailleurs, des sessions de slams de poésie et s’est forgé une solide réputation pour ses concerts et vidéos musicales. Il a récemment lancé la publication d’un journal mensuel contenant des articles rédigés par des étudiants et de jeunes journalistes de la région.

Amine est fier de ce que lui et son équipe ont accompli jusque-là. « Le changement chez les jeunes est véritablement palpable. avant Kahwetna, ils ne voyaient aucun intérêt à s'impliquer dans leur communauté et il n’y avait aucun moyen de débattre de sujets qui les intéressaient. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes s’associent aux actions de la société civile, en particulier les filles. Elles se sentent plus libres de résister aux pressions de notre société traditionnelle patriarcale. »

Des jeunes en pleine réalisation de leur potentiel

Comme le fait remarquer Amine, plusieurs jeunes de Gafsa ont brillamment bifurqué vers des carrières artistiques ou journalistiques grâce à leur implication dans l’initiative, une dynamique qui ne manque pas de s’accompagner de changements dans la société. « Appartenir à la communauté du café donne à ces jeunes une belle assurance et leur apporte des compétences qui leur serviront toute leur vie. »

Amine reconnaît que l’aide du FEDEM est arrivée à point nommé pour le café, au moment où les mesures de confinement dues à la Covid-19 entraient en vigueur et alors que les finances de l’équipe étaient au plus bas. La subvention versée par le FEDEM a couvert les coûts et l’achat de matériel nécessaire pour faire de cet espace le centre culturel qu’il est aujourd’hui devenu.

L’avenir de Downtown Café

Maintenant que la Tunisie est sortie du confinement imposé par la pandémie, Amine, ses frères et leur équipe de bénévoles enthousiastes planifient des activités génératrices de revenus, notamment des opérations de collecte de fonds et la vente de leur journal mensuel.

L’une des priorités est la reconnaissance de Downtown en tant que café culturel, ce qui est actuellement impossible, cette nomenclature étant réservée aux personnes issues de certaines professions culturelles bien précises et définies par la législation. En attendant, l’équipe continue d’asseoir l’activité culturelle du café en tant que lieu sûr où tous les jeunes, y compris les jeunes filles et femmes, peuvent se retrouver en toute sécurité, se sentir à l’aise et contribuer positivement à la vie de leur ville.