Laila Saleh Almodal et le South Women Media Forum
28 October 2021Ouvrir la porte du journalisme et de la politique aux femmes à Gaza
Fondé en 2005, le South Women Media Forum joue un rôle crucial dans la société gazaouie en donnant aux femmes les moyens de s’engager plus activement dans la vie publique et politique.

Laila Saleh Almodal faisait partie de la première promotion de femmes journalistes à Gaza dans les années 1990. Elles n’étaient que sept cette année-là. Aujourd’hui, des milliers d’étudiants finissent chaque année leurs études dans le domaine des médias – et plus de la moitié d’entre eux sont des femmes. Celles-ci représentent dix-sept pour cent des journalistes en activité.
Le South Women Media Forum, dont Mme Almodal est la co-fondatrice et à la tête duquel elle se trouve aujourd’hui, a largement contribué à l’autonomisation de ces femmes journalistes et leur a permis de participer davantage à la vie publique et politique à Gaza.
« Auparavant, le journalisme n’était pas considéré comme un “véritable métier”. N’importe qui pouvait devenir journaliste et il n’existait aucune organisation ou norme professionnelle. C’est ce qui nous a donné l’idée de créer le South Women Media Forum. Nous étions trois jeunes diplômées qui souhaitaient se regrouper et former d’autres femmes journalistes », explique-t-elle.
Mme Almodal précise que le Forum s’adresse particulièrement aux femmes des villes de Khan Younès et de Rafah, à l’extrémité sud de Gaza, à la frontière avec Israël, une région qui abrite certaines des populations les plus marginalisées de la bande de Gaza.
D’après Mme Almodal, le Forum est unique en son genre, étant donné qu’il regroupe des Palestiniennes de tous bords et appartenances politiques.
Combler les lacunes dans l’éducation aux médias
Elle explique que les cursus universitaires dans le domaine des médias, qui mettent davantage l’accent sur la théorie que sur la pratique, sont généralement de piètre qualité. Le Forum a pour ambition de combler ces lacunes, en informant les femmes journalistes de leurs droits, en leur apprenant les normes professionnelles du secteur et en les aidant à maîtriser les nouveaux médias, notamment les réseaux sociaux. En outre, ces jeunes journalistes apprennent comment défendre des causes et mettre les médias au service de la démocratie.
Le Forum a récemment organisé son deuxième cycle de formation au journalisme d’investigation. Il organise également des événements publics sur ce thème. Ces événements sont l’occasion de présenter certaines affaires et d’expliquer les procédures en place et les difficultés à traduire en justice les coupables. « Nous insistons auprès de nos étudiantes pour qu’elles enregistrent leurs entretiens. Ainsi, elles conservent une preuve matérielle de ce qui s’est dit », précise Mme Almodal.
En tant qu’organisation locale à faible budget, cela fait plusieurs années que le Forum doit compter sur le travail de ses bénévoles et sur les dons de bailleurs de fonds pour mener son action. Néanmoins, il obtient de véritables résultats à Gaza et en Palestine en luttant contre le patriarcat traditionnel et en aidant les femmes journalistes, et les femmes en général, à se faire entendre dans le monde politique et la société.
Promouvoir un changement à Gaza
Les actions de plaidoyer font partie intégrante des activités du Forum. Par exemple, grâce au Forum, les Gazaouis ont désormais accès à de meilleures infrastructures de soins de santé.
« Les maternités semi-clandestines proliféraient à Gaza et de nombreuses femmes décédaient lors de leur accouchement. Nous avons enquêté sur ces maternités et avons publié les résultats de nos recherches sur les réseaux sociaux. Mis sous pression, le ministère de la Santé a pris en charge la supervision de ces maternités », déclare-t-elle.
Une autre compagne de plaidoyer a permis l’ouverture prochaine d’un hôpital à Rafah, où vivent plus de 250 000 habitants – décision à laquelle s’est longtemps opposé le ministère de la Santé.
D’après Mme Almodal, de tels changements ne sont possibles que si les revendications émanent de la société dans son ensemble. « Notre travail consiste en grande partie à créer un nouveau sens de la communauté dans notre région et à placer les femmes au cœur de ce changement », explique-t-elle. Elle précise toutefois que l’objectif du Forum n’est pas de critiquer les autorités, mais bien de plaider activement pour la résolution des problèmes.
Plus de femmes en politique
Dans le cadre de la subvention qu’il a obtenue auprès du FEDEM, le Forum encourage davantage de femmes à se lancer sur la scène politique. « Nous avons remarqué que seules des femmes plus âgées étaient actives en politique ; il y a peu de jeunes. Nous avons mené des recherches pour trouver des explications à ce phénomène et avons organisé des cycles de formation destinés aux femmes journalistes. Ensuite, nous avons ouvert ces formations à d’autres diplômées, notamment à de jeunes femmes qui étaient déjà membres de partis politiques. Nous avons renforcé leurs compétences en matière de plaidoyer, de rédaction et de réseautage. Nous avons rapidement pu observer les effets de nos formations. En effet, les participantes ont véritablement pris position par rapport à certaines campagnes politiques et se sont mises à rencontrer des représentants politiques », ajoute-t-elle.
Ce projet a été lancé alors que Gaza traversait une période très difficile en raison de la pandémie de COVID-19 et des affrontements de mai 2021. Étant donné que toutes les membres de l’équipe étaient confinées chez elles, elles ont décidé de travailler en ligne pendant cette période.
Dans le cadre de ce projet, le Forum a également produit plusieurs émissions de radio qui proposaient des entretiens avec des femmes appartenant à différents partis palestiniens ou travaillant avec les agences de presse locales. Ces émissions ont été bien accueillies par le public et ont été rediffusées plusieurs fois.
Survivre envers et contre tout
Mme Almodal reconnaît qu’au moment de la création du South Women Media Forum, beaucoup ont douté de sa survie. Elle souligne que le Forum n’aurait pas pu voir le jour et mener à bien ses projets sans l’enthousiasme et les dons des bénévoles et sans les petites subventions accordées par des bailleurs de fonds.
« Nous étions déterminées à poursuivre nos activités, à créer une société meilleure et à lutter contre le statu quo. Je suis convaincue que nous contribuons au changement. Nous répondons aux besoins des femmes, et ce, de manière innovante. Nous apportons de nouvelles idées », déclare-t-elle.
Elle raconte que, récemment, le Forum a rassemblé trois hommes et trois femmes issus de trois partis politiques différents – événement rare en Palestine – dans le cadre d’un débat sur la quasi-absence des femmes dans la vie politique. À la fin du débat, les hommes étaient tous d’accord pour dire que les femmes devraient davantage participer aux processus politiques – une victoire pour Mme Almodal.
Pour elle, le Forum est en fait à la source d’un changement plus profond à Gaza. Elle relate comment, lors d’un événement du Forum, un homme politique a déclaré : « Quand les femmes exercent des mandats politiques, leur travail n’est pas entaché de corruption. » Elle considère cette déclaration comme le signe d’un changement d’état d’esprit au sein de la société. « Je suis fière de faire partie de ce processus », conclut-elle.