Dhimitër Koleci et Zall Gjoçaj
30 September 2021Lutter contre les atteintes à l’environnement en Albanie
La construction d’une nouvelle centrale hydroélectrique perturbe la vie et les moyens de subsistance des habitants du parc national Zall Gjoçaj.

Bien qu’il ne se situe qu’à une centaine de kilomètres de Tirana, la capitale albanaise, le parc national Zall Gjoçaj est une vallée reculée, dont les habitants vivent principalement de l’agriculture et de l’élevage, comme c’est le cas depuis des siècles.
Il y a trois ans, la vie à Zall Gjoçaj a été à jamais bouleversée. En cause, une décision des autorités locales et nationales autorisant la construction d’une centrale hydroélectrique au sein du parc national.
Le projet de dévier la rivière traversant le parc pour produire de l’électricité aura de graves conséquences, non seulement pour l’environnement de la vallée, mais aussi pour les habitants de Zall Gjoçaj qui, depuis des décennies, puisent l’eau de la rivière pour boire, irriguer leurs cultures et élever leur bétail. Les habitants ont été parmi les derniers à être informés de cette décision.
« Les autorités locales ont tardé à nous faire part de ce projet – c’est grâce aux rumeurs qui circulaient dans le village que nous avons d’abord appris la construction de cette centrale », explique Dhimitër Koleci, l’un des dirigeants de Zall Gjoçaj, un groupe organisé de citoyens qui s’oppose à la construction de la centrale.
Un manque de transparence de la part de l’entreprise d’hydroélectricité
L’entreprise d’hydroélectricité a d’abord prétendu avoir consulté les villageois. Elle a également déclaré que la centrale n’utiliserait pas tout le débit de la rivière pour produire de l’électricité. Il s’est rapidement avéré qu’elle ne disait pas la vérité.
Comme l’explique M. Koleci, l’entreprise a demandé l’avis d’habitants vivant en dehors du parc de Zall Gjoçaj, qui ne seraient donc pas concernés par les activités de la centrale. L’entreprise a obtenu l’autorisation d’utiliser un certain pourcentage du débit de la rivière, à condition de laisser de l’eau aux habitants de Zall Gjoçaj. Il est également apparu qu’elle avait demandé aux autorités locales de pouvoir utiliser tout le débit de la rivière, arguant que les populations locales ne s’en servaient pas.
À l’heure actuelle, les villageois n’ont plus d’eau, ce qui perturbe leur mode de vie – pour toujours peut-être. Les villageois n’ont pas fait confiance à l’entreprise, à raison, car la centrale a déjà à jamais bouleversé leur vie.
« Ils nous ont promis que leur projet permettrait de développer la région, que l’on bénéficierait de la centrale. Mais dans les faits, ils n’en ont rien à faire de nous », déclare M. Koleci.
Manifester face à un problème récurrent en Albanie
Les habitants de Zall Gjoçaj ont eu le sentiment qu’ils n’avaient d’autre choix que de manifester contre la construction de la centrale. Ils manifestent depuis trois ans et nombre d’entre eux se rendent même régulièrement à Tirana, à quatre heures de route de là, pour faire valoir leurs revendications auprès du reste de la population et des autorités nationales.
Parallèlement, ils organisent des réunions de sensibilisation avec d’autres habitants des montagnes qui font face à des problèmes semblables. Certains ont même fondé leur propre mouvement de protestation, inspiré de Zall Gjoçaj.
De nombreuses centrales électriques devraient être construites prochainement dans les régions rurales d’Albanie. La corruption étant monnaie courante dans la région, les autorités locales ont souvent intérêt à ce que les travaux de construction se poursuivent et elles n’hésitent pas à menacer quiconque s’oppose à ces travaux.
Un environnement hostile pour les manifestants
Les habitants des zones concernées subissent également des menaces de la part des entreprises qui exploitent les centrales. « Elles ont toujours recours aux mêmes techniques », explique M. Koleci. « Elles commencent par nous aborder en jouant la carte de la séduction, en mettant l’accent sur les avantages de la centrale pour l’économie locale. Ensuite, elles commencent à proposer des pots-de-vin. En cas de refus, elles passent alors à des méthodes plus douteuses, notamment en se servant de leurs contacts avec les autorités locales. Elles parviennent ainsi parfois à faire licencier des opposants, voire à les faire mettre en détention. »
À Zall Gjoçaj, quatre aînés du village, anciens représentants de la collectivité, ont récemment été licenciés de leurs fonctions publiques.
M. Koleci reconnaît qu’en raison de ces mesures, il devient difficile de convaincre la population de manifester. En effet, nombre de citoyens ne connaissent pas leurs droits, craignent des représailles et sont intimidés par la police et les procureurs. Malgré ces appréhensions, quelque 150 personnes continuent de participer aux manifestations organisées par le mouvement.
Le silence des médias et le renvoi par les tribunaux
Faire parler du mouvement représente également un défi. En effet, en Albanie, de nombreux médias sont liés au parti au pouvoir et n’ont pas du tout parlé de la situation de Zall Gjoçaj. Certains médias indépendants ont tout de même relayé le combat de la population locale et un média d’opposition a même publié un documentaire sur les protestations du groupe.
Ces dernières années, le groupe Zall Gjoçaj a poursuivi plusieurs institutions locales et nationales en justice, dont le ministère de l’Environnement et l’Agence nationale des zones protégées, afin de mettre fin aux dégâts infligés à leur région. Malheureusement, ces procédures n’ont eu qu’un effet limité ; les audiences sont sans cesse reportées tandis que la construction de la centrale se poursuit.
M. Koleci ajoute que certains des soi-disant « experts indépendants », mandatés par les institutions nationales pour procéder à une évaluation de la situation, ont été vus en train de monter dans des voitures appartenant à l’entreprise d’hydroélectricité, ce qui remet en question leur impartialité.
« Nous avons besoin de véritables experts indépendants, sans quoi, rien ne changera », explique-t-il. « En ce qui concerne les reports d’audience, justice différée est justice refusée. »
Le soutien du FEDEM comme lueur d’espoir
Dans ce contexte extrêmement difficile, le soutien du FEDEM s’est avéré essentiel pour Zall Gjoçaj, et pas seulement d’un point de vue financier. « Ce soutien nous a redonné de l’espoir. Cela nous a montré que certaines personnes croyaient encore en nous. Nous avons l’impression de voir la lumière au bout du tunnel », explique M. Koleci.
Les membres de Zall Gjoçaj sont désormais prêts pour la prochaine phase de leur combat : engager une procédure à l’encontre du gouvernement albanais devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
« Nous devons poursuivre notre lutte. Mon arrière-grand-père utilisait l’eau de cette rivière, tout comme je le fais depuis ma naissance. À Zall Gjoçaj, nous dépendons de notre rivière pour l’agriculture, pour le bétail et pour les moulins à eau qui produisent de la farine pour le pain », précise M. Koleci. « Si la centrale nous prive de notre rivière, elle détruira non seulement nos moyens de subsistance, mais aussi notre culture. »