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Kuest Media

14 July 2021

Le journalisme sous forme de vidéos explicatives

Lancé en mars, Kuest est déjà suivi par plus d’un million d’internautes qui apprécient grandement ses courtes vidéos didactiques et divertissantes.

Kuest Media

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« Journalistes et universitaires sont un peu comme l’huile d'olive et l’eau. Ils ne se mélangent pas. Les uns manquent de substance et les autres d’action. Ce que nous essayons de faire, c’est de réunir ces deux catégories, les producteurs de savoir et les diffuseurs, afin de nous adresser du mieux possible à notre public », explique Medeni Sungur, directeur et fondateur d'une part de Digimar, un média qui cherche à créer un impact social et à favoriser l’émergence d’une société plus démocratique, et d’autre part de Kuest Media, la première plateforme journalistique explicative de Turquie.

Medeni est un insatiable entrepreneur social, lui qui, alors qu’il était étudiant, entrait déjà de plain-pied dans le monde du militantisme citoyen. Il a été l’un des fondateurs du mouvement libéral national 3H Movement (autrefois appelé Liberalofis) et après une brève incursion dans le monde de l’entreprise, il a co-fondé l’éminent groupe de réflexion turc Freedom Research Association. Cette expérience aura été pour lui, selon ses propres dires, très formatrice et utile au moment de fonder Digimar.

Informer dans un but précis

« Dans mes précédentes fonctions, nous mettions l’accent sur l’accumulation des informations, mais sans vraiment réfléchir à la manière de les transmettre au public. Dans le monde d’aujourd’hui, l'acquisition des connaissances doit se faire dans un objectif précis et il est essentiel de bâtir une communauté autour de cet objectif . C’est précisément le but recherché avec Digimar », affirme-t-il.

Medeni poursuit en expliquant que Kuest, le premier projet de Digimar lancé en mars dernier grâce à une aide versée par le FEDEM, a pour mission de produire de courtes vidéos explicatives à des fins à la fois pédagogiques et divertissantes. Reprenant le modèle du très apprécié Vox, ce projet s’adresse à la génération des milléniaux, une catégorie de la population qui, comme l’explique Medeni, rechigne souvent à s’intéresser aux questions politiques abstraites. Kuest s’efforce de dépasser la simple formule journalistique en donnant du sens aux événements de l’actualité et en touchant son public par des moyens divertissants, simples et compréhensibles, parvenant ainsi à le sensibiliser à des sujets politiques publics importants et à la question des droits fondamentaux des personnes.

Kuest est un effort collectif et Medeni a su s’entourer de jeunes esprits très motivés, dont la vaste expérience et le talent bénéficient grandement au projet. Il décrit son équipe comme une structure à deux branches : une branche d’investigation et de recherche, et une branche créative et de production vidéo, même s’il insiste sur l’échange incessant et la fusion des deux pour la création de chaque vidéo.

Deux collègues, chacun issu d'une branche de l’équipe, se joignent à Medeni lors de l’entretien vidéo avec le FEDEM, le responsable éditorial Mert Can Köse et la productrice Işık Cerme Güngör, en présence d’autres membres de l’équipe qui participent activement à la discussion en arrière-plan.

Vidéos sur des sujets qui passionnent l’équipe

À ce jour, Kuest a publié 11 vidéos sur des sujets généralement absents du débat public ou rarement abordés, notamment le travail non rémunéré des femmes à la maison, les femmes entrepreneurs, l’esclavage dans l’empire Ottoman, une série consacrée au dixième anniversaire du Printemps arabe, une vidéo sur les violences policières en Turquie, et une autre sur l’évaporation des réserves de la Banque centrale de Turquie.

Comme l’explique Işık Cerme Güngör, « nos idées se nourrissent de nos passions. Nous sommes nombreux à venir de la société civile et les sujets que nous voulons aborder sont importants. Les sujets que nous traitons pourraient de prime abord paraître rébarbatifs à notre public mais nous les abordons sous l’angle du divertissement. »

La deuxième vidéo produite par Kuest sur le travail non rémunéré des femmes à la maison a été visionnée par plus de 100 000 personnes. Reprenant un scénario d’une célèbre série télévisée turque, « Forbidden Love », la vidéo a fait le lien avec le travail non rémunéré, un pied de nez qui n’a pas manqué d’avoir son effet. « La vidéo a fait naître une réelle prise de conscience. Les gens ont reconnu n’avoir jamais pensé à leur mère sous cet angle », ajoute Işık.

« C’est exactement ce genre de réaction que nous voulions susciter en créant Kuest. Nous voulons aider les gens à comprendre les sujets en les présentant d’une manière abordable et compréhensible et nous voulons les amener à y réfléchir sous un autre angle », renchérit Mert Can Köse.

Il ajoute que la vidéo sur l’esclavage dans l’Empire Ottoman abordait un sujet que peu de personnes connaissent dans le pays. De la même manière, la vidéo sur le Printemps arabe revenait sur le mythe populaire de l’exceptionnalisme arabo-musulman, rappelant que les difficultés rencontrées dans le monde arabes sont les mêmes que celles rencontrées dans la Turquie contemporaine.

Clé du succès

À ce jour, plus de 700 000 personnes ont visionné les vidéos de Kuest, qui compte par ailleurs plus d'un million de followers sur Facebook et Instagram, ce qui relève de l’exploit pour une initiative née il y a moins de 6 mois. Un tiers des abonnés appartient à la catégorie cible des 18-24 ans et plus de la moitié sont des femmes, une statistique pour le moins surprenante dans un pays où celles-ci ne sont généralement pas consommatrices d’actualités.

 « Selon un récent sondage, nous sommes perçus comme un média hybride, ou du moins comme un média qui ne s’adresse pas exclusivement aux hommes », précise Işık. « Nous veillons à proposer un contenu équilibré, avec des sujets plus ou moins graves. À chaque fois que nous produisons une vidéo, nous nous posons la question suivante : pourquoi le public s’intéresserait-t-il à ce sujet ? Nous réfléchissons soigneusement au langage que nous utilisons, au style de la vidéo et à sa tonalité », ajoute-t-elle.

Medeni reconnaît qu’il n’a pas été facile de trouver la bonne formule. « Nous faisons tout pour toucher notre public et nous adaptons constamment notre processus narratif. Dans le même temps, nous ne pouvons pas nous laisser emporter dans nos propos. Nos vidéos se veulent explicatives, c’est pourquoi elles doivent rester neutres. C’est un travail très prenant et exigeant », insiste Medeni.

Toucher le public

Avec à peine quatre mois d’existence, Kuest a plus d'une vidéo dans son sac et sur des sujets aussi variés que la situation des taxis à Istanbul, l’histoire de la Marche des fiertés dans la ville, l’impunité généralisée pour les affaires de violence sexistes, la diffusion de musique en streaming et ses effets sur l’industrie musicale et le partage illicite des données. L’équipe travaille maintenant au lancement sur Instagram et cherche à moderniser son processus de production.

Medeni est convaincu du bien-fondé de l’action de Kuest, et le nombre croissant d’abonnés semble lui donner raison. « Nous savons que notre public est très volatile et que nous devons capter leur attention dès le premier clic sur nos vidéos. Nous créons des histoires autour d’idées. Nous nous adressons au public sur un ton personnel pour un résultat tout aussi personnel. Nous créons une relation avec notre public et bâtissons une communauté qui veut s'impliquer. Ce type de contenu génère ce type d’interaction », précise Medeni.

Avec le succès de Kuest, désormais qualifié de Vox de la Turquie, l’avenir de Digimar semble tout tracé. « De mon point de vue, notre action favorise le changement des mentalités. Nous voulons expérimenter à travers les médias. Nous débordons tous d’idées en tout genre. Certains veulent créer des séries télévisées, d’autres des pièces de théâtre. Nous pouvons aller beaucoup plus loin », conclut Medeni.