Centre de défense de la liberté des journalistes
30 June 2021Préserver la liberté de la presse en Jordanie
Le Centre de défense de la liberté des journalistes œuvre à l’amélioration des conditions de travail des journalistes en Jordanie en luttant contre les violations de leurs droits, en renforçant leurs capacités et en leur apportant un appui juridique.

L’été dernier, les autorités ont porté un nouveau coup de canif à la liberté de la presse en décrétant une obligation de silence au sujet des centaines d’enseignants arrêtés pour être descendus dans la rue en signe de protestation contre l’exclusion de leur syndicat, le Syndicat des enseignants jordaniens.
Selon Haytham Abu Atiyyeh, le Directeur des opérations du Centre de défense de la liberté des journalistes, cette mesure vient s’ajouter à d’autres restrictions imposées ces derniers temps, avec un déclin significatif de la liberté de la presse dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Le gouvernement jordanien a adopté de plus en plus de mesures pour lutter contre la COVID-19, notamment la « loi sur les mesures de défense » qui prévoyait un confinement de huit semaines et la fermeture de toutes les entreprises privées et des services publics non essentiels.
« Au début de la pandémie, les autorités ont ordonné à la population de rester chez elle et les magasins ont dû fermer leurs portes. Le gouvernement a interdit tout reportage sur la pandémie. Les restrictions de déplacement ont également empêché les journalistes de sortir pour enquêter et quatre d’entre eux ont été arrêtés pour avoir commenté la gestion de la pandémie par le gouvernement. La presse écrite s’est également vu interdire de produire ses éditions papier, alors qu’elle en dépend pour ses recettes publicitaires. Le gouvernement n’a apporté aucune aide financière au secteur des médias », dénonce M. Abu Atiyyeh.
Défendre les droits des journalistes
Ces restrictions ne datent pas d’hier en Jordanie, puisque l’autocensure se pratique depuis longtemps dans la presse.
« Tous les journalistes jordaniens savent quels sont les sujets tabous : l’armée, la familiale royale et les affaires religieuses. Au cours de nos enquêtes, 95 % des journalistes ont admis pratiquer l’autocensure », ajoute M. Abu Atiyyeh.
C’est lui aussi qui a endossé la responsabilité de la gestion des opérations du Centre quand sa structure a changé au départ du fondateur, Nidal Mansour, qui a quitté ses fonctions en juin 2020 faute de financements. Défenseur respecté de la société civile et des droits de l’homme, M. Mansour a fondé le Centre en novembre 1998, après la promulgation, l’année précédente, d’un texte qui a imposé de nouvelles contraintes aux médias et a entraîné la fermeture de treize d’entre eux.
« À l’époque, la nécessité de créer un organe de défense des droits des journalistes était criante, alors que de plus en plus de journalistes se faisaient arrêter », précise M. Abu Atiyyeh. Le Centre est la première organisation du monde arabe à se concentrer exclusivement sur les droits de la presse.
Son mandat est clair depuis le début. « Nous défendons les journalistes et luttons contre les violations de leurs droits. Dans ce cadre, nous avons créé une Unité d’assistance juridique pour les médias, qui représente les journalistes devant les cours et tribunaux et lance des actions en justice. Elle organise aussi des formations pour les avocats qui défendent des journalistes. Nous nous attelons au renforcement des capacités des médias en améliorant leur professionnalisme et en promouvant leur rôle dans la défense de la démocratie. Nous cherchons à améliorer les conditions de travail des journalistes sur le plan juridique, politique, social et culturel », explique M. Abu Atiyyeh.
Depuis 2001, le Centre publie régulièrement des rapports sur l’état de la presse en Jordanie. Depuis 2015, ces rapports couvrent les médias de l’ensemble du monde arabe. L’équipe recueille des informations sur des affaires en justice, rédige des rapports sur les violations des droits des journalistes et publie les récits de témoins de la répression de journalistes. Le plaidoyer constitue une partie importante de ce travail.
Déclin de la liberté de la presse
Ces vingt-trois dernières années ont été mouvementées pour le Centre, comme l’explique M. Abu Atiyyeh.
Le printemps arabe de 2011 – un rare moment de liberté pour les médias en Jordanie – s’est accompagné d’une explosion du nombre de sites web d’information interagissant avec les populations locales. En 2012, le gouvernement a fait adopter une loi qui imposait l’enregistrement de ces sites internet, les mettant ainsi sur le même pied que les médias professionnels face à la loi. Du jour au lendemain, 291 sites d’actualité ont été obligés de fermer.
La loi sur la cybersécurité de 2014 a encore cadenassé le travail des journalistes et le Centre s’y est férocement opposé. « Dans un rapport de 2014, nous recensions 153 cas de violation de la liberté de la presse sur l’année, contre 112 l’année précédente. De nombreux journalistes avaient été empêchés de travailler et force est de constater que cette tendance se confirme », explique-t-il.
En 2015, l’article 11 controversé de cette loi a été modifié pour que les citoyens ordinaires puissent être considérés comme des journalistes. Ils peuvent donc faire l’objet d’actions en justice et risquer des peines de prison pour leurs activités en ligne.
Le Centre a lancé une campagne à grand retentissement en faveur de l’abrogation de l’article 11. Intitulée « Parler n’est pas un crime », elle a retenu l’attention d’un grand nombre de médias jordaniens et internationaux.
Campagne de diffamation et soutien providentiel du FEDEM
Abu Atiyyeh explique qu’à partir de 2017, le Centre a subi une campagne de diffamation, qui a terni son image et sa réputation, et qu’on a cherché à le contraindre d’interrompre ses programmes et ses activités. Les autorités ont empêché le Centre de solliciter de nouveaux financements durant cette période. Pendant un an, son statut d’enregistrement a été débattu devant les tribunaux, ce qui a perturbé ses activités et entravé le travail de sa direction et de son personnel. Tandis que le Centre cherchait à modifier son statut d’enregistrement au sein du registre des organisations à but non lucratif, il a risqué de ne pas obtenir les autorisations de sécurité nécessaires. Le personnel craignait que, même si le dossier était approuvé, les chances d’obtenir les autorisations requises pour pouvoir bénéficier de financements étrangers soient compromises.
C’est à ce moment-là que le FEDEM est intervenu pour apporter un financement de base au Centre, lui permettant de payer le salaire de son personnel et de relancer certaines activités, même si M. Abu Atiyyeh admet que le processus n’a pas été de tout repos. Aujourd’hui, le Centre emploie six personnes, dont trois à temps plein.
Deux ans plus tard, la situation financière du Centre reste précaire, puisque la plupart des financements actuels sont associés à des projets et que le budget disponible pour le salaire du personnel est maigre.
« Notre équipe est inspirée par notre travail et nous sommes déterminés à continuer », affirme M. Abu Atiyyeh. « La législation relative aux médias doit être revue en Jordanie. Il y a tellement de restrictions et il y a trop de lois différentes. Grâce à la subvention du FEDEM, nous avons pu engager un expert de la gestion stratégique, qui nous a aidés à planifier notre travail pour les prochaines années. Nous sommes convaincus que nous pouvons encore faire beaucoup de choses et que les médias sociaux nous ouvrent de nouvelles perspectives. »