Dina Baslan et Aaron Williams
25 June 2021Sawiyan : Défendre les droits des réfugiés issus des minorités à Amman
Dina Baslan et Aaron Williams co-dirigent l’organisation Sawiyan, qui soutient et défend les réfugiés marginalisés en Jordanie, y compris ceux d’origine africaine.

« L’un de nos chefs de communauté, originaire de Somalie, vit à Amman depuis dix ans. Il est diplômé en ingénierie et nous avons toujours dit de lui qu’un jour il pourrait être président. Le problème, c’est qu’à plus de 30 ans, il ne peut plus prétendre à aucune bourse d’études internationale. Il est coincé ici et n’a pas le droit de travailler. À ce jour, toutes ses demandes de réinstallation ont été rejetées », s’émeut Dina Baslan co-directrice de l’ONG Sawiyan, décrivant ici l’infortune de nombreux réfugiés d’origine africaine en Jordanie.
La Jordanie arrive deuxième dans le classement mondial des pays qui comptent le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile par habitant. Si l’attention internationale se porte essentiellement sur le demi-million de réfugiés syriens enregistrés, la Jordanie accueille également plus de 20 000 réfugiés venus du Yémen, du Soudan et de Somalie. Les réfugiés issus de groupes minoritaires ont moins de droits légaux, souffrent de pauvreté et vivent dans des conditions sanitaires déplorables et, pour ceux qui sont d’origine africaine, ils font en plus l’objet d’un racisme et d'une répression généralisés.
Confrontés à une telle marginalisation, leurs relations sociales très soudées sont, pour beaucoup, leur seule planche de salut. « Chez Sawiyan, nous sommes solidaires de nos communautés et nous leur apportons notre soutien. Nous essayons d’améliorer leur existence et de plaider leur cause. Nous voulons que tous les membres de la communauté aient leur chance d’un avenir meilleur ailleurs », clame Dina.
Comme elle le fait remarquer, seul 1 % des réfugiés est relocalisé, les possibilités de réinstallation des réfugiés non syriens étant encore plus minces, surtout s'ils sont célibataires comme c’est majoritairement le cas en Jordanie.
Sawiyan est la première organisation en Jordanie à œuvrer exclusivement pour ces réfugiés. Son nom veut dire en arabe « se rassembler, rencontrer ses semblables, cultiver l’esprit de la communauté ou de l’égalité », autant de principes et de valeurs qui comptent pour le « mouvement » Sawiyan, comme aime à l’appeler Dina.
Amman : véritable parcours du combattant pour les réfugiés
Vivre à Amman est une épreuve pour les réfugiés. Elle est la ville la plus chère du monde arabe et l’est d’autant plus pour ces réfugiés issus des minorités. Leur unique moyen de subsistance repose sur une aide mensuelle versée par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), aide récemment complétée par la distribution de nourriture organisée par le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU.
Contrairement aux Syriens, qui en vertu du programme Jordan Compact peuvent légalement travailler, ces réfugiés dépendent totalement du travail au noir illégal, risquant à chaque instant de se faire arrêter et d’être expulsés. Les familles ont du mal à inscrire leurs enfants à l’école, même si une dérogation accordée en 2020 a débouché sur des solutions temporaires grâce à des efforts concertés dans ce sens.
Un moment décisif
Pour Dina, le 18 décembre 2015 marquera un tournant décisif dans sa vie et celle de ses collaborateurs. Cette année-là et pendant plus d'un mois, des centaines de réfugiés soudanais avaient établi un camp de fortune devant le siège du HCR, demandant plus d’aide en matière de logement, d’éducation et de santé, ainsi qu’une relocalisation en dehors de la Jordanie. Au petit matin de ce jour fatidique, entre 500 et 800 réfugiés furent rassemblés et embarqués de force dans des bus en partance pour l’aéroport.
« Nous étions horrifiés. Nous ne pouvions pas rester les bras croisés », s’insurge Dina. Un groupe de militants mobilisés s’est spontanément formé, dont Dina et son co-fondateur Aaron Williams, afin d’intervenir auprès des réfugiés pour leur venir en aide. Leur objectif : faire en sorte que les réfugiés issus des groupes minoritaires soient inclus dans le plan d'intervention aux réfugiés en Jordanie.
Trois ans plus tard, en 2018, Sawiyan recevait le statut officiel d’ONG, avec à son bord nombre des bénévoles de la première heure, tous confortés dans leur désir de sensibiliser et de plaider en faveur de la situation des réfugiés. « L’aide financière allouée par le FEDEM nous a permis d’exister pour la première fois en tant que véritable organisation », raconte Dina.
Aaron reconnaît que ces dernières années, Sawiyan a eu un réel impact sur le traitement des réfugiés en Jordanie.
« Dès le début, nous avons rédigé un rapport d’évaluation des besoins fondés sur les droits des réfugiés issus des minorités, lequel s’est rapidement imposé comme document de référence pour les acteurs de l’aide humanitaire et donateurs désireux de mieux comprendre les vulnérabilités des réfugiés non syriens. Nous l’avons présenté lors d'une table ronde portant que les vulnérabilités des non Syriens, et notre rapport a retenu l’attention du Programme alimentaire mondial. En 2019, les non Syriens étaient enfin et pour la première fois inclus dans l’évaluation complète de la sécurité alimentaire et des vulnérabilités. »
Plaidoyer et recherche
Sawiyan s’est spécialisée dans le travail de sensibilisation, développement des communautés, recherche et formation et elle tire sa force de la confiance qu’elle a instaurée et consolidée avec les réfugiés. Elle a su se faire entendre et plaider la cause d’un humanitarisme inclusif, éliminant les obstacles à l’assistance pour les réfugiés et demandeurs d’asile issus de groupes minoritaires vivant en Jordanie.
En 2019, l’organisation a contribué à la création du One Refugee Approach Working Group, un groupe de travail qui réunit plus de trente organisations humanitaires et qui veille, d'une part, à ce que la réponse humanitaire fournie repose plus sur les vulnérabilités des réfugiés que sur leur nationalité, et d’autre part à ce que les actions et les programmes menés sur le terrain respectent les principes humanitaires.
Grâce à ce travail de sensibilisation, les non Syriens ont pu, pour la première fois, être inclus dans le programme d’assistance alimentaire du PAM en 2020, et leurs besoins sont pris en considération dans l’élaboration des plans de travail annuels et l’allocation des financements.
Projets de développement axés sur les communautés
Tout le travail de plaidoyer repose sur les recherches fondées sur les droits réalisées par Sawiyan en partenariat avec la communauté des réfugiés. Sawiyan cherche actuellement à mettre en place une équipe de recherche et de plaidoyer communautaire composée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de membres de la communauté hôte jordanienne.
En 2019, des enseignants bénévoles ont élaboré un programme d’enseignement de la langue anglaise très apprécié des réfugiés soudanais et somaliens, à travers lequel des enseignants issus de la communauté travaillent en binôme avec des assistants de langue maternelle anglaise sur un programme axé sur l’émancipation raciale. Pendant la crise de la Covid-19, ces cours ont été dispensés en ligne, permettant à des communautés établies en dehors d’Amman de pouvoir également y participer pour la première fois.
Cette année, Sawiyan s’est associée à Seenaryo, une organisation spécialisée dans l’apprentissage à travers des activités théâtrales et ludiques. Ensemble, elle ont produit House of Hope, une pièce de théâtre et un court métrage qui réunissent 22 femmes d’Amman d'origine jordanienne, soudanaise, yéménite et somalienne dans une collaboration « démocratique » destinée à donner voix aux problèmes auxquels elles sont confrontées au quotidien.
Un autre projet fructueux et dirigé conjointement avec un ancien partenaire du FEDEM, 7Hills, apprend aux réfugiés soudanais à faire du skateboard tout en leur offrant un espace informel propice au bénévolat et au parrainage.
Des résultats probants malgré un environnement hostile pour les ONG
Aaron et Dina reconnaissent tous deux que la Jordanie peut être un environnement difficile pour les ONG indépendantes. Tous les financements étrangers doivent obtenir l’aval officiel du gouvernement, ce qui dépend hautement des relations politiques, ou du « wasta » comme on dit en arable. « Nous apprenons par tâtonnement à avancer dans un processus très obscure », ironise Dina, déplorant qu’en 2019, il ait fallu quasiment une année à Sawiyan pour accéder à une subvention de deux ans qui lui avait été allouée.
En dépit de changements indéniables observés ces dernières années, le chemin à parcourir est encore long. Le groupe de travail One Refugee Approach Working Group reste concentré sur sa mission et a créé un nouveau sous-groupe de défense chargé de rédiger un bilan annuel de situation sur les lacunes et carences dans l’aide humanitaire et sur le statut général d’humanitarisme de principe en Jordanie.
Après 13 années passées au Moyen-Orient et Afrique du Nord, Aaron s’apprête à quitter la Jordanie et son poste à Sawiyan.
« Mais je resterai membre du conseil d’administration », affirme-t-il. « Ce travail a été formateur, voire transformateur, pour moi et pour tous les membres de la famille Sawiyan. Nous voulons aider ces communautés. Ils sont tellement nombreux à vouloir désespérément changer de vie. Nous sommes totalement dévoués à ce travail mais diriger une organisation locale est un vrai combat et notre sécurité financière a été encore plus fragilisée par la pandémie de Covid-19. Cela étant, notre partenariat avec le FEDEM nous a montré que l’on peut faire beaucoup avec peu de moyens. »