EED10 Years Supporting Democracy

#FirstPersonStories

Apply for support
Back to #FirstPersonStories

Ararat Tttyan et Radio NOR

28 April 2021

Ararat Tttyan et Radio NOR

De diffusions depuis la grand-place de la ville à une plateforme multimédia active au cœur de sa communauté : l’itinéraire sinueux mais couronné de succès d’une station de radio géorgienne.

Ararat Tttyan et Radio NOR

Il faut s’armer de patience pour monter une entreprise en Géorgie et il s’avère qu’Ararat Tttyan, le directeur de Radio NOR, est un homme particulièrement patient et déterminé. Il aura fallu neuf ans à cette station de radio communautaire, établie dans le sud-ouest de la Géorgie, pour obtenir une licence de diffusion publique. Il faut encore plus de ténacité pour travailler sans financement durant de longues périodes et, comme c’est le cas aujourd’hui, en pleine pandémie.

Radio NOR est établie à Ninotsminda, une petite ville proche de la frontière avec l’Arménie et la Turquie, une région où la majeure partie de la population parle arménien et russe au quotidien.  

L’histoire de cette station de radio a débuté en 2006, quand M. Tttyan, un professeur d’éducation civique de la région, a participé à un concours organisé par le BBC World Service avec son projet de créer des stations de radio communautaires pour les minorités ethniques en Géorgie. Il se rappelle encore sa surprise quand son initiative, Radio NOR, a été sélectionnée et qu’il a été nommé directeur de cette nouvelle station, qui a obtenu un financement pour trois années d’activité.

Nor radio story text

Un combat pour obtenir une licence de diffusion

M. Tttyan a alors entrepris de former une équipe pour la nouvelle station de radio. Il a choisi un appartement deux chambres dans le centre-ville pour y installer son matériel de radiodiffusion. Il a ensuite déposé une demande pour obtenir une licence de radiodiffusion publique. On l’avait averti que la procédure pourrait prendre du temps.

En attendant, l’équipe enregistrait des programmes musicaux et d’information, qu’elle gravait sur des CD et distribuait au sein de la communauté. M. Tttyan a ensuite eu une idée : utiliser les haut-parleurs de la ville, installés à l’époque soviétique, pour diffuser quotidiennement un programme d’information d’une heure en arménien, en géorgien et en russe sur la grand-place de la ville.

« La population se plaignait de notre silence. Les gens nous demandaient ce que nous faisions, ils étaient curieux. Je souhaitais qu’ils puissent au moins nous entendre, même si nous n’étions pas en mesure de véritablement diffuser nos programmes », explique-t-il.

Il a également décidé d’enseigner la production radiophonique à ses élèves, une initiative qui a pris de l’ampleur quand l’école locale a reçu ses premiers ordinateurs.

Dans le même temps, il continuait de déposer des demandes de licence de diffusion, en vain.

Se reconvertir en radio sur internet

L’arrivée d’internet dans la ville, en 2013, a marqué un tournant dans l’histoire de cette station : M. Tttyan a décidé d’en faire une station de radio sur internet. Enthousiaste à l’idée que la station puisse générer des recettes grâce à la publicité, il s’est mis à faire pression sur des personnalités politiques pour accélérer le processus d’octroi de licence. Il reconnaît que la procédure était lente et la période, difficile.

Finalement, en 2015, soit neuf ans après la création de la station, Radio NOR a obtenu sa licence de diffusion publique. En juillet 2015, la radio a diffusé pour la première fois en direct. Depuis lors, elle diffuse des programmes en continu huit heures par jour. M. Tttyan est fier de ce qu’est devenue Radio NOR : un diffuseur multiplateforme équipé de sa propre tour de transmission.

Quand on lui demande comment il a tenu le coup toutes ses années, sa réponse est claire. « J’ai toujours été convaincu par ce projet. Les informations sur l’actualité manquaient cruellement dans la région et nous souhaitions diffuser les nouvelles locales dans les langues locales : en arménien et en russe, mais aussi en géorgien », ajoute-t-il.

Gagner la confiance de la communauté

L’un des premiers défis de Radio NOR a été de gagner la confiance de ses auditeurs. « Dès le départ, nous avons montré aux habitants comment nous pouvions améliorer leur vie. Quand ils se plaignaient du mauvais état des routes ou du manque d’eau courante ou de places dans les crèches, nous faisions pression sur les autorités municipales pour qu’elles prennent des mesures. Désormais, ils savent que nous pouvons régler leurs problèmes », explique M. Tttyan.

L’éducation conserve une place importante dans les activités de NOR. La station diffuse des tables de conversation en géorgien et en anglais. Les élèves ont aussi la possibilité d’acquérir de l’expérience professionnelle et, chaque semaine, une heure d’émission est consacrée à leurs productions. Il peut par exemple s’agir d’entretiens avec des membres de la communauté sur des thèmes d’actualité ou de la lecture de poèmes. Tous ces jeunes reçoivent une petite rétribution en échange de leur travail.

Cette ambition pédagogique inclut également la lutte contre les tabous culturels et les stéréotypes de genre présents dans cette région agricole conservatrice. NOR a notamment mené des campagnes sociales sur les enlèvements en vue de mariages, phénomène courant dans la région, ou encore sur la conduite de véhicules par des femmes, généralement mal perçue par la société, des thèmes également abordés dans « La voix des femmes », l’une des émissions populaires de la station. Une autre campagne couronnée de succès a permis d’enlever des tonnes de déchets qui s’amoncelaient dans des champs agricoles. Aujourd’hui, Radio NOR a la réputation de s’attaquer aux problèmes délicats et de faire bouger les choses.

Parmi les programmes les plus populaires de la station, on retrouve des émissions d’information, diffusées en trois langues, ainsi que des émissions de leur cru sur des thématiques économiques et agricoles pertinentes pour la communauté. En amont des dernières élections, la station a invité des représentants de l’ensemble des partis politiques, leur offrant ainsi une plateforme inédite pour dialoguer avec la population locale.

Relayer les préoccupations des citoyens

M. Tttyan est fier de la place importante qu’occupe désormais Radio NOR dans sa communauté. « Radio NOR permet aux citoyens de se faire entendre – personne d’autre ne le fait. Nous discutons des problèmes des gens et nous les résolvons. Nous nous adressons à notre société dans son ensemble – même aux plus petites minorités, à l’image de la communauté des “Vieux-Croyants”, qui ne compte que 50 familles – et nous veillons à ce que tout le monde puisse se faire entendre », explique-t-il.

NOR compte désormais des dizaines de milliers d’auditeurs, dont de nombreux migrants économiques originaires de la région qui souhaitent se tenir au courant de l’actualité locale. La station a également communiqué des informations importantes sur les prestations sociales destinées à ces migrants et à leur famille dans le contexte de la pandémie, étant donné que nombre d’entre eux ont dû rentrer au pays en raison de l’effondrement du secteur de la construction en Russie, qui emploie la plupart de ces migrants.

La principale préoccupation de la station reste ses finances, en particulier au vu des répercussions de la pandémie de COVID-19 sur l’économie géorgienne et de l’effondrement des recettes publicitaires. Avant de bénéficier d’une subvention du FEDEM, M. Tttyan n’avait pas pu payer son personnel pendant huit mois. Une subvention du FEDEM permet désormais à la station de couvrir ses coûts principaux et de devenir un porte-parole plus audible de la communauté. En étant actif dans une région souvent délaissée par les donateurs, cet acteur local remplit une fonction sociale importante.

Comme toujours, M. Tttyan reste déterminé, et il est convaincu que Radio NOR continuera à se développer et à prospérer. L’équipe prévoit de produire davantage de vidéos pour le portail de la station sur internet, voire de lancer une chaîne de télévision en ligne. Néanmoins, M. Tttyan tient à ce que NOR n’oublie jamais le pouvoir de la radio, qui demeure au cœur de ses activités.