Kaiyrgul Urumkanova
3 May 2021Govori.TV : la première chaîne de télévision en ligne du Kirghizstan
Une journaliste expérimentée et dynamique est à la tête de l’un des médias les plus captivants du Kirghizstan, une chaîne de télévision en ligne qui établit de nouvelles normes dans le secteur du journalisme audiovisuel dans ce pays d’Asie centrale.

Le 5 octobre 2020, d’immenses manifestations ont éclaté dans la capitale kirghize, Bichkek, à la suite d’élections législatives ternies par des accusations de fraude électorale et de l’effondrement de l’économie du pays résultant de la chute des envois de fonds des travailleurs migrants installés en Russie à cause de la pandémie de COVID-19.
Le média en ligne Govori.TV, dirigé par la journaliste chevronnée et dynamique Kaiyrgul Urumkanova, a diffusé en direct des images du chaos qui s’est emparé de la capitale et des violents affrontements entre des manifestants et la police. Le média a couvert l’annulation des résultats de l’élection par la Commission électorale centrale du pays, la prise d’assaut du principal bâtiment du gouvernement – la Maison Blanche –, la chute du gouvernement et l’ascension fulgurante de Sadyr Japarov qui, en l’espace de dix jours, s’est évadé de prison et est devenu premier ministre, puis président. C’est la troisième fois en quinze ans qu’un gouvernement est renversé par une révolte populaire au Kirghizstan.
Depuis Bichkek, au lendemain d’un référendum organisé en avril dans le pays, Mme Urumkanova explique au FEDEM : « Il était important que nous soyons partout. Tellement de choses se passaient : des manifestations quotidiennes, des déclarations de l’opposition et du gouvernement, des réunions au parlement, des conférences de presse d’experts. Nous avons tout couvert. Nous diffusions du matin au soir en utilisant nos appareils photo si nos téléphones ne fonctionnaient pas. Nous n’avons jamais cessé de diffuser en direct. »
Des téléspectateurs vivant aux quatre coins de cette ancienne république soviétique montagneuse et enclavée de 6,3 millions d’habitants et des téléspectateurs étrangers ont suivi ces diffusions en direct. Govori.TV a enregistré quelque 100 000 visiteurs par jour pendant cette période tumultueuse.
Menaces de manifestants
Mme Urumkanova se souvient qu’il était parfois difficile de continuer de couvrir les événements. Des manifestants qui soutenaient Sadyr Zhaparov menaçaient les journalistes, exigeant qu’ils relayent leur vision des événements. « Lorsque nous avons refusé, ils nous ont dit qu’ils allaient s’emparer de notre équipement, qu’ils nous suivraient et nous frapperaient. C’était effrayant. Nous sommes une petite équipe. Nous n’avons pas beaucoup de ressources, mais chaque jour, on enfilait nos gilets pare-balles et on continuait de travailler », relate-t-elle.
Cette équipe de dix journalistes était déterminée à continuer d’offrir une couverture médiatique indépendante, devenue la marque de fabrique de cette chaîne télévisée en ligne. « C’est ce que nous devions faire pour notre pays », précise Mme Urumkanova. « Nous devions montrer ce qui se passait pour que les gens soient informés et puissent juger par eux-mêmes. Tout le monde était très inquiet. »
D’un début modeste à une agence d’information multimédia
Govori.TV a été créée par Mme Urumkanova. Elle a fondé cette toute première chaîne de télévision sur internet au Kirghizstan en 2018 grâce à un financement d’amorçage du FEDEM.
Elle avait déjà une grande expérience derrière elle : elle a été nommée directrice générale de la télévision nationale kirghize alors qu’elle avait à peine trente ans, un poste qu’elle a occupé jusqu’à ce qu’elle soit écartée au cours de la révolution de 2010. Après avoir travaillé pendant plusieurs années pour KirTAR, l’agence de presse internationale du Kirghizstan, elle a été engagée pour diriger une chaîne télévisée de l’opposition, Sentjabr qui, sous sa direction, est devenue l’une des chaînes de télévision les plus populaires du pays. En 2017, à la suite d’une nouvelle manœuvre politique, Sentjabr a été brusquement fermée à l’issue d’un procès douteux.
C’est cette expérience qui a convaincu Mme Urumkanova de lancer son propre média. « Au début de ma carrière, j’ai réalisé de nombreux reportages sociaux et j’ai toujours voulu être une journaliste au service de la société. Je suis persuadée que les médias peuvent jeter des ponts entre la population et l’État en fournissant des informations fiables et de qualité. Après vingt ans de carrière, j’ai décidé de me lancer à mon compte », explique-t-elle.
Elle s’est employée à réunir une équipe solide autour d’elle, en mettant l’accent sur la formation des journalistes. « Je leur ai tout appris. L’écriture, la révision, la responsabilité sociale, la vérification des faits, le montage, les normes internationales du journalisme. J’étais déterminée à bâtir un média professionnel », affirme-t-elle.
Les habitants du pays ont rapidement remarqué ce nouveau média. « Ils ont pu constater que nous présentions tous les points de vue. On ne soutenait ni le gouvernement ni l’opposition. Ils ont pu voir qu’on était indépendants », précise-t-elle.
Trois ans plus tard, Govori.TV est une agence d’information multimédia avec une chaîne de télévision qui diffuse sur son site web et les médias sociaux, avec de nouvelles actualités publiées plusieurs fois par heure. Elle produit ses propres débats télévisés, entretiens et discussions, ainsi que des documentaires d’investigation. Elle gère aussi plusieurs projets multimédias.
En 2019, la chaîne a remporté le prestigieux prix MediaCAMP pour l’Asie centrale au Tadjikistan pour son enquête sur le rôle joué par les forces de sécurité kirghizes dans la libération d’un criminel très en vue de la mafia en 2013.
L’éducation est également une mission importante pour la chaîne de télévision. Elle propose des formations continues à de jeunes journalistes. Grâce au financement du FEDEM, elle organise aussi des ateliers sur le leadership pour des femmes militantes des différentes régions du pays. Bon nombre de ces femmes ont participé aux récentes élections locales et plusieurs d’entre elles ont été élues dans leur municipalité.
Préparer l’avenir
Mme Urumkanova a de nombreux projets pour l’avenir. Elle espère réaliser plus d’enquêtes cette année – la pandémie de COVID-19 et la crise politique ont été au cœur de l’actualité ces derniers mois. Les élections législatives étant prévues pour cet automne, elle prévoit également d’organiser de nouveaux ateliers pour les femmes dirigeantes. Govori.TV a en outre adapté son site web, afin qu’il s’affiche mieux sur les téléphones, étant donné que c’est ainsi que plus de 80 % de ses spectateurs accèdent au site.
Elle est heureuse d’avoir sauté le pas et d’avoir fondé Govori.TV. « Nous avons prouvé que nous pouvions réussir en tant que média indépendant sans le soutien ou le financement d’un oligarque ou des intérêts politiques. Nous sommes juste des journalistes honnêtes qui faisons un travail de qualité. Ces trois dernières années, nous avons prouvé que les journalistes comme nous pouvaient réussir tout en étant utiles pour leur pays », conclut-elle.