Cu Sens
25 March 2021Un média numérique proche de la génération Z
Fondé par trois journalistes d’investigation de renom, Cu Sens publie du contenu vidéo sur les médias sociaux en vue d’instaurer un dialogue avec les jeunes Moldaves sur l’avenir démocratique de leur pays.

Nombreux sont les médias qui peinent aujourd’hui à intéresser les jeunes, qui ont été élevés avec Internet et les médias sociaux. La génération Z, dont les membres les plus âgés ont de 18 à 23 ans, a grandi avec les médias sociaux. Beaucoup de ces jeunes sont actifs au sein de mouvements de protestation et ils sont très engagés politiquement, et pourtant, ils rechignent souvent à se rendre aux urnes. Cette « génération du tout-sur-écran » s’informe sur les plateformes de médias sociaux et est en quête de contenus visuels, brefs et dans lesquels ils peuvent se reconnaître.
Ces jeunes férus de technologie constituent le public cible de l’équipe de Cu Sens.
Cu Sens, qui signifie « porteur de sens » en roumain, est un groupe de presse innovant en Moldavie, qui publie des vidéos sur différentes plateformes de médias sociaux, dans le but d’informer les jeunes et de les faire participer à l’avenir démocratique de leur pays. Leurs vidéos décalées, qui s’apparentent à un vlog et sont étayées par des enquêtes détaillées menées par une équipe de journalistes expérimentés, jettent un coup de projecteur sur des intérêts politiques dissimulés, des relations commerciales obscures et la corruption endémique en Moldavie.
Cu Sens est l’œuvre de trois journalistes d’investigation primées : Olga Ceaglei, Liuba Şevciuc et Doina Ipatii. Ces trois femmes voulaient créer un nouveau média en ligne indépendant pour publier des enquêtes et des articles d’actualité percutants, le tout dans un format accessible et attractif pour les jeunes.
La toute première campagne de financement participatif pour un média en Moldavie
Dès le début, Cu Sens a pu compter sur le soutien essentiel de son audience. Cu Sens est le premier média moldave à avoir lancé une campagne de financement participatif. Le projet compte aujourd’hui 200 membres qui effectuent des dons, pour la plupart de petits montants mensuels, qui permettent au média de couvrir une grande partie de ses frais de fonctionnement. Étant donné la distorsion du marché de la publicité en Moldavie, ce soutien s’avère indispensable pour assurer l’indépendance à long terme de Cu Sens.
Mme Ceaglei a déclaré au FEDEM depuis les modestes bureaux de son équipe à Chișinău : « Nous nous considérons comme faisant partie de la société civile. Nos membres nous font de petits dons et nous travaillons ensemble. Ils nous disent qu’ils nous font confiance, que nous sommes leur voix ». Elle précise que les membres peuvent proposer des sujets d’enquête aux journalistes. Des reportages récents sur l’environnement, l’éducation et les questions liées aux LGBT+ avaient été suggérés par leur communauté.
L’équipe, formée fin 2019, a démarré sur les chapeaux de roues.
Au cours de la campagne présidentielle de 2020, les journalistes ont réalisé des portraits en vidéo des huit candidats sur la base de leurs propres investigations et les ont postés sur leurs médias sociaux. Ils ont également passé au crible l’utilisation de publicités payantes par les candidats sur les médias sociaux, surtout sur Facebook, pour influencer les électeurs. Lors des deux tours de l’élection, le 1er et le 15 novembre, l’équipe a couvert la situation dans la république sécessionniste de Transnistrie, qui a été le théâtre d’affrontements entre des citoyens et la police.
L’équipe a également tourné des vidéos sur les infox, la désinformation et leur analyse du discours des politiques, ainsi que des séries de vidéos explicatives sur des sujets tels que la corruption, le blanchiment d’argent et la violence domestique.
Une année florissante de reportages sur la COVID-19 et l’élection présidentielle
L’équipe de Cu Sens est particulièrement fière, en cette année dominée par la COVID-19, de son reportage vidéo primé, qu’elle a réalisé sur un nouvel hôpital dernier cri situé à Vorniceni, à quelques encablures de la capitale, Chișinău, qui est resté portes closes malgré la pandémie. Ce sujet avait été proposé par un de leurs membres. Les journalistes ont révélé que l’institution, qui disposait de plusieurs respirateurs, des équipements pourtant rares en Moldavie, était fermée à cause d’irrégularités dans les formalités administratives. Ils ont aussi fait éclater au grand jour le manque de transparence dans l’attribution du marché public pour la construction de l’hôpital.
Après la publication de leur reportage vidéo sur leur chaîne YouTube, le ministère de la Santé a formé une commission pour examiner l’affaire. La nouvelle présidente de la Moldavie, Maia Sandu, a depuis annoncé que l’ouverture de cet hôpital était en tête de ses priorités. « Quand la présidente de votre pays fait une telle déclaration, alors vous savez que vous avez eu un immense impact », se réjouit Mme Ceaglei.
L’année 2021 commence sous les meilleurs auspices pour Cu Sens, qui a publié un nouveau reportage vidéo d’investigation percutant, un documentaire intitulé « Faux donateurs ». Cette enquête, menée sur la base d’informations obtenues auprès de la Commission électorale centrale de la Moldavie, a révélé qu’une grande part des dons versés aux candidats à l’élection étaient frauduleux. La plupart des donateurs présumés étaient des chômeurs ou des retraités, qui n’avaient jamais entendu parler de ces dons.
Garder l’attention de l’audience
Mme Ceaglei explique qu’il y a quelques règles à observer pour garder l’attention de la génération Z. « La première est qu’il faut rester simple. Même si le concept est complexe, il faut toujours le présenter sous un angle simple. Le montage professionnel des vidéos est essentiel et il est important d’adapter les vidéos aux médias sociaux. Par exemple, nous tournons de nombreuses vidéos en portrait pour qu’elles puissent être regardées sur les smartphones. Nous étions l’un des premiers médias à le faire. La communication doit aussi être décontractée. Une grande partie de notre contenu est présenté sous la forme d’un vlog », explique-t-elle.
Cu Sens peut à présent se targuer d’avoir un nombre substantiel d’abonnés et de comptabiliser jusqu’à un million de vues par mois sur ses différents médias sociaux, selon Sergiu Ipatii, responsable des relations publiques de Cu Sens.
Étant donné que la télévision reste le premier médium de communication en Moldavie, Cu Sens travaille en étroite collaboration avec la plus grande chaîne télévisée indépendante, TV8, qui rediffuse la majorité de sa production pour lui offrir une plus grande audience.
Mme Ipatii fait remarquer que l’équipe a choisi dès le début de se concentrer sur les médias sociaux, plutôt que de créer son propre site Internet, car il aurait fallu y consacrer des ressources et un temps précieux. Elle a décidé de se concentrer sur ses comptes Facebook, Tiktok, Instagram, Twitter et YouTube. En mars, elle a finalement lancé son site Internet, grâce au soutien du FEDEM.
Projets pour 2021 : couverture des élections et suivi des activités législatives
Cette année, les journalistes prévoient de continuer à se concentrer sur les activités du parlement et de couvrir les élections législatives à venir.
Elles ont également lancé un projet qui consistera à observer la promotion et l’adoption des nouvelles lois. Mme Ceaglei explique : « Nous voulons savoir qui promeut les lois et pourquoi. Nos journalistes observent à présent chaque session du parlement et des commissions. Nous allons réaliser un nouveau reportage d’investigation avec le fruit de ce travail. L’objectif est de veiller à ce que nos représentants politiques respectent leurs engagements vis-à-vis de la population. »
L’équipe envisage l’avenir avec optimisme. « Nous croyons en ce projet. Nous recevons de nombreux retours positifs de nos membres et de nos lecteurs. Ils s’intéressent à la situation dans notre pays et ils s’investissent », explique Mme Ceaglei.
Cu Sens a bien l’intention de continuer à sortir des sentiers battus. « Nous ne sommes pas un média traditionnel avec des plans et des stratégies marketing préétablis. Ce sont les journalistes qui dirigent notre organisation et nous nous laisserons toujours guider par l’information », précise Mme Ipatii.