Hrystyna Kit et JurFem
8 March 2021Déconstruire les stéréotypes de genre et lutter pour les droits des femmes dans le secteur juridique
Hrystyna Kit est l’une des sept membres fondatrices de JurFem, l’Association ukrainienne des femmes juristes, dont la mission est de changer les comportements à l’égard des femmes dans la profession juridique et de faire évoluer la législation.

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En 2017, un groupe de jeunes juristes ukrainiennes a réalisé une enquête anonyme en ligne auprès de 365 de leurs collègues de sexe féminin à propos du genre dans la profession juridique. Elles ont été choquées par les résultats.
Parmi les répondantes, 46,5 % ont affirmé avoir été victime de discrimination au début de leur carrière, et 36,9 % ont déclaré avoir été victime de harcèlement sexuel dans l’exercice de leurs fonctions.
Les femmes à l’initiative de cette enquête ont alors décidé de créer JurFem, l’Association ukrainienne des femmes juristes, en septembre de la même année, avec pour mission de changer les comportements à l’égard des femmes au sein de la profession juridique et de faire évoluer la législation en la matière.
Hrystyna Kit, une jeune avocate progressiste, est l’une des sept membres fondatrices de JurFem, dont elle est actuellement la présidente. L’organisation compte désormais plus de 230 membres actives dans tous les domaines du droit à travers l’Ukraine. « Nos juristes sont en mesure de proposer des services juridiques dans tous les domaines du droit. Nous disposons de vastes connaissances et d’une grande expertise au sein de notre association », déclare-t-elle avec fierté.
Au début de sa carrière, Me Kit apportait une aide judiciaire aux femmes victimes de violence domestique. Elle avait alors été frappée par le fait que la plupart des membres des forces de l’ordre et des représentants de la justice, y compris les avocats et les magistrats, avaient une compréhension très limitée des difficultés rencontrées par ces femmes.
« Bon nombre d’entre eux ne connaissaient pas la législation applicable ou ne savait pas comment l’appliquer correctement. Ils ne pouvaient pas comprendre les problèmes de ces femmes. Ils n’étaient pas suffisamment sensibilisés aux questions de genre », se rappelle-t-elle.
À l’époque, il n’était pas rare que des avocats refusent de traiter des affaires de violence domestique, car ils ne les considéraient pas comme suffisamment lucratives.
Maïdan a ouvert de nouvelles possibilités
La révolution de Maïdan, ou révolution de la Dignité, de 2014 a fondamentalement changé la société et ouvert de nouvelles possibilités pour des juristes telles que Me Kit et ses collègues. Ce changement au sein de la société a permis à JurFem de former des policiers, des magistrats, des avocats et même des responsables politiques aux questions de genre.
« Chaque jour, nous nous employons à changer leur vision de l’égalité des sexes et des violations des droits des femmes, et à les sensibiliser aux pratiques discriminatoires dont sont très souvent victimes les femmes », explique Me Kit.
Elle et ses collègues ont déjà engrangé quelques grands succès.
Plusieurs cabinets juridiques ukrainiens ont commencé à intégrer des aspects et des principes de la politique de genre dans leur code de conduite interne.
« Les cabinets juridiques veulent être vus comme des organisations modernes qui vivent avec leur temps. La politique de genre fait partie intégrante de l’image d’une entreprise et elle relève de sa responsabilité sociale », ajoute Me Kit. Elle est convaincue que des politiques de genre seront de plus en plus souvent adoptées par les cabinets juridiques de renom, voire qu’elles s’y généraliseront dans quelques années, comme c’est le cas dans d’autres démocraties libérales.
Les expertes de JurFem influencent la législation ukrainienne
Aujourd’hui, JurFem exerce également une grande influence sur la législation ukrainienne. Les juristes de JurFem rendent un avis juridique sur presque tous les textes de loi examinés par la Verkhovna Rada, le parlement ukrainien. Elles y analysent les aspects liés au genre pour les textes proposés, afin de déterminer quel pourrait être l’effet de ces nouvelles lois sur les droits des femmes.
« Dès la création du Centre d’analyse au sein de notre organisation, nous avons commencé à envoyer des avis juridiques aux parlementaires, aux médiateurs et à d’autres instances compétentes, dans l’espoir qu’ils prendraient en considération nos conseils concernant les questions de genre. Aujourd’hui, nous sommes officiellement membres du conseil citoyen consultatif du groupe parlementaire “Égalité des chances”. Les députés sont véritablement intéressés par notre travail et nos avis juridiques », affirme Me Kit.
Le parlement prévoit de bientôt modifier la loi sur la violence domestique, et les membres de JurFem ont joué un rôle clé dans cette avancée en proposant et rédigeant le projet de loi.
Ce n’est pas la première fois que l’ONG joue un tel rôle.
« Nous avons formulé des recommandations pour le système public d’aide juridique gratuite, en particulier en ce qui concerne les femmes issues de populations vulnérables, afin que la politique de genre soit correctement appliquée dans le cas de ces femmes », explique Me Kit.
Expansion et professionnalisation
À mesure qu’elle s’agrandissait et engrangeait des succès, JurFem, à l’instar des ONG les plus florissantes, a ressenti le besoin de se professionnaliser. L’organisation était déjà perçue par les parties prenantes et ses partenaires comme un acteur de premier plan dans son domaine, mais Hrystyna Kit et ses collègues voulaient que JurFem continue de se développer et devienne une véritable organisation professionnelle. Elles voulaient également élargir leur réseau régional à travers l’Ukraine.
Elles ont contacté le FEDEM avec pour objectif de renforcer leurs capacités, « afin de mettre en place des procédures et des politiques internes dans des domaines tels que la communication, le plaidoyer et la lutte contre les conflits d’intérêts », précise-t-elle. Elles ont également proposé un plan stratégique assorti d’une composante éducative pour compléter leur travail analytique et législatif.
Cette composante pourrait à présent mener à la création d’un centre de formation. Avec le soutien du FEDEM, JurFem a également organisé l’année dernière sa troisième université d’été destinée à des étudiantes en droit. L’accent y a été mis sur des thématiques rarement abordées dans les cursus juridiques, dont les aspects juridiques des droits des femmes, l’égalité des sexes et les mécanismes permettant de réagir à la violence fondée sur le genre.
« Nous avons pour ambition de créer des cours juridiques en ligne payants axés sur les questions de genre. Il y a une vraie demande pour ce type de cours au sein de la communauté juridique ukrainienne », explique Me Kit.
Lorsque le FEDEM lui demande quelles sont ses ambitions personnelles pour les années à venir, Me Kit réfléchit un instant et répond avec modestie : « Peut-être pourrais-je atteindre l’échelon le plus élevé de l’échelle juridique ? Je voudrais un jour devenir juge ».