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Yevgenia Zakrevska

18 February 2021

L’avocate de Maïdan

L’avocate ukrainienne Yevgenia Zakrevska est déterminée à obtenir justice pour les manifestants tués lors de la Révolution de la dignité, victimes de la répression du mouvement Euromaïdan.

Yevgenia Zakrevska

Crédit photo : Danylo Pavlov

Цей матеріал також доступний українською

Bon nombre des Ukrainiens qui veulent obtenir justice et voir triompher l’état de droit dans leur pays placent leurs espoirs en Yevgenia Zakrevska.

Cette jeune avocate d’apparence frêle, mais dynamique et déterminée dirige une équipe d’avocats renommés appelée « Advocacy Advisory Panel ». Ils représentent et défendent devant la justice les droits des familles des manifestants tués lors de la Révolution de la dignité du mouvement Euromaïdan.

Sept ans après Maïdan

Bien que sept années se soient écoulées depuis les événements tragiques de février sur la place Maïdan de Kiev, ces procès et procédures sont loin d’être terminés. « L’indifférence des autorités, leur réticence à lever les obstacles et à faire avancer les dossiers liés aux manifestations de Maïdan sont une immense source de déception et de frustration pour les familles des victimes », explique Me Zakrevska lors d’un entretien accordé au FEDEM, quelques jours avant les cérémonies de commémoration du septième anniversaire de ce combat héroïque pour un avenir meilleur européen.

C’est la quête de justice et de vérité concernant les événements qui ont coûté la vie à 83 manifestants pro-européens lors de l’hiver 2014 qui motive Me Zakrevska et son équipe. « Je ne veux pas m’arrêter à mi-chemin. Ces affaires doivent faire l’objet d’enquêtes et les coupables, qui ont tué des innocents, doivent être traduits en justice », affirme-t-elle avec force.

Sa détermination à établir la vérité a été sous les feux des projecteurs en novembre 2019, lorsqu’elle a entamé une grève de la faim pour protester contre le projet de dissolution de l’équipe d’enquêteurs chargés des affaires liées à Maïdan, qui aurait mis en péril les investigations en cours. Son combat a été suivi partout en Ukraine et dans le monde.

Victoires et défaites dans l’arène judiciaire

Me Zakrevska et son équipe ont connu des hauts et des bas dans leur quête de vérité sur la mort des manifestants de Maïdan. Les défendeurs incluent d’anciens membres de la tristement célèbre unité des « Berkout » de la police antiémeute, leurs commandants, des enquêteurs, des procureurs et des fonctionnaires de l’ancien régime de Ianoukovytch.

« Il y a un an, lors d’un échange de prisonniers visant à récupérer des prisonniers ukrainiens qui étaient en réalité retenus en otage, l’Ukraine a laissé partir cinq anciens officiers des Berkout en Russie, alors qu’ils faisaient partie des accusés dans la principale affaire relative aux tueries de Maïdan. Seuls deux des accusés sont revenus. Le procès des trois autres a dû être mis en suspens, et il est clair qu’ils ne seront jamais condamnés », explique-t-elle.

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Une année qui commence sur une note plus positive

Le 21 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que les violations des droits de l’homme commises lors de l’Euromaïdan ukrainien en 2014 étaient systémiques et avaient été perpétrées par les pouvoirs publics pour réprimer des manifestations pacifiques. Cette décision constitue un point d’appui vital pour les victimes de Maïdan. Elles ne se sentent plus seules et elles savent désormais que leur combat pour la justice est également soutenu à l’étranger.

L’affaire des premières victimes de la brutalité policière sous le régime de Ianoukovytch, représentées par Me Zakrevska, faisait partie des affaires examinées par la CEDH. Ces victimes ont été attaquées lors de la toute première dispersion sanglante de manifestants pacifiques, parmi lesquels de nombreux étudiants, la nuit du 30 novembre 2013. Cet événement a été l’élément déterminant de la carrière professionnelle de Me Zakrevska, elle qui était sur la place Maïdan dès le début, dès le 21 novembre 2013.

Comment tout a commencé

« Cette nuit-là sur la place Maïdan, je me suis rendue dans un café pour me réchauffer et me reposer un peu. À 4 heures du matin, j’ai commencé à recevoir des messages et des appels d’amis qui étaient restés sur la place, m’informant de l’attaque brutale et inattendue des forces de police », raconte-t-elle. Elle a été témoin d’injustices absolues et de l’impunité des agents de police, qui ont frappé des innocents, tiré de jeunes filles sur le sol, laissant les traces de sang de manifestants tabassés sur les pavés.

Me Zakrevska a immédiatement proposé une aide juridique aux victimes. Les jours suivants, elle et ses collègues ont adressé aux services répressifs des accusations de crimes commis par les forces de l’ordre. Ils ont rapidement été inondés de demandes d’aide juridique. Avec le temps, Me Zakrevska est devenue « l’avocate de Maïdan ».

Avant Maïdan, elle était spécialisée en droit commercial, mais elle s’était toujours intéressée aux droits de l’homme. « Mes collègues et moi-même gagnions suffisamment d’argent grâce à nos affaires de droit commercial pour pouvoir gérer bénévolement des dossiers civils de violations des droits de l’homme », explique-t-elle, avant de préciser qu’elle a continué à travailler de cette manière pour la représentation des familles des victimes de Maïdan au tribunal, jusqu’à ce que le nombre d’affaires devienne trop important.

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Nouvelle dynamique et prise de conscience

L’octroi à son ONG, Advocacy Advisory Panel, d’une subvention du FEDEM a marqué un autre tournant dans sa carrière. « Nous avons pu élargir notre équipe et engager plus de juristes pour épauler les avocats. Nous avons également pu consacrer beaucoup plus de notre temps à la représentation des intérêts des victimes de Maïdan et des familles des victimes des tueries de Maïdan, et à la consolidation de nos efforts », ajoute-t-elle.

Me Zakrevska insiste également sur le fait que la subvention du FEDEM leur a donné la possibilité de couvrir plus d’affaires et de faire connaître ces affaires auprès du grand public. « Il est crucial de pouvoir apporter une aide juridique professionnelle aux familles de Maïdan et de soutenir les victimes au tribunal. Mais il est également très important d’informer la population de ce qu’il se passe au tribunal et de fournir au public des informations opportunes et précises sur les enquêtes et les audiences », précise-t-elle.

« Il y a jusqu’à vingt audiences par semaine. Pendant le confinement mis en place en raison de la pandémie, nous sommes parvenus à éviter que ces audiences soient tenues à huis clos : les avocats ont communiqué des informations au public et nous avons diffusé les débats en streaming. Il n’était pas rare que les journalistes ne puissent pas assister aux audiences. Nous sommes heureux de constater que de plus en plus de journalistes et de médias suivent de près les affaires liées à Maïdan, qu’ils les couvrent plus en détail et expliquent à la population ce qu’il se passe vraiment. Cette prise de conscience croissante au sein de la population est encourageante pour les victimes, ces affaires deviennent des priorités pour les magistrats et les autorités, et la qualité de l’action publique s’en trouve améliorée », conclut Me Zakrevska.

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Le plaidoyer en faveur de la modification de certaines lois qui permettrait que les enquêtes portant sur les affaires de Maïdan soient réalisées de manière impartiale et efficace constitue une autre activité importante soutenue par le FEDEM. Me Zakrevska et son équipe souhaiteraient que la législation soit modifiée, afin que les tribunaux puissent juger et condamner des accusés par contumace.

« Cela permettrait de débloquer plusieurs affaires en suspens depuis que les accusés ont fui le pays. Nous nous sommes inspirés du cas de la Lituanie, où l’affaire d’une attaque menée par l’armée soviétique contre la tour de télévision de Vilnius en 1991 a été réouverte vingt ans plus tard. Il aura fallu sept ans aux procureurs pour enquêter sur cette affaire et, trois ans plus tard, le tribunal a condamné les accusés à la fois en présence et par contumace », explique-t-elle. La Cour internationale de justice de La Haye juge également par contumace des individus accusés d’avoir abattu l’avion du vol MH17.

Nous ne devrons notre réussite qu’à nous-mêmes

Yevgenia Zakrevska est convaincue que si justice n’est pas faite dans les affaires de Maïdan, il sera extrêmement difficile de convaincre les citoyens ukrainiens qu’ils peuvent avoir confiance dans le système répressif et judiciaire de leur pays et dans l’État.

En dépit des obstacles rencontrés, Me Zakrevska est déterminée à continuer de se battre pour la justice. « Je ne compte pas sur un sursaut de “volonté politique” pour clôturer les affaires Maïdan. Je ne crois qu’au travail systématique, aux victimes déterminées à se battre pour obtenir une condamnation, et au soutien de mes collègues et de la société », affirme-t-elle.