Berna Akkızal et la Civic Space Studies Association
7 January 2021Soutenir les jeunes Turcs contre l’érosion de leur espace civique
L’organisation Civic Space Studies Association se bat pour garantir aux étudiants de Turquie la possibilité d’exercer leurs droits à la liberté d’expression et de réunion dans un espace civique un peu plus grignoté chaque jour.

Berna Akkızal est convaincue que l’avenir démocratique du pays dépend des jeunes. Et pourtant, à ce jour, 70 000 d’entre eux incarcérés dans les prisons turques, et tous sont étudiants.
« L’espace civique est un lieu de participation, d’expression, de rassemblement et d’information », telle est la devise de Civic Space Studies Association (CSSA), l’organisation dirigée par Berna.
Mais l’espace civique est chaque jour davantage menacé dans la société turque actuelle, en particulier dans les universités. Les étudiants engagés sont confrontés à des peines de prison et à des agressions physiques et verbales pour leurs prises de position. Les universités sont devenues des champs de bataille où se livre un combat contre une démarche toujours plus répressive du gouvernement, motivée par une volonté de renforcer son emprise sur la société.
C’est précisément la menace sur l’espace civique qui a conduit Berna à fonder la CSSA en 2018. L’organisation a pour mission de soutenir les étudiants victimes de répression politique.
Comme l’explique Berna, l’organisation s’efforce essentiellement de surveiller les libertés fondamentales des citoyens et leur rapide détérioration en Turquie, précisant que la menace ne plane pas seulement sur la liberté des médias, mais sur les deux autres piliers de l’espace civique que sont la liberté de réunion et la liberté d’association.
Lors d'un entretien avec le FEDEM, Berna précise que « l’on appelle espace civique le lieu dans la société où chacun peut exprimer ses opinions, s’investir dans une association et participer à une manifestation. Ce sont là des actions fondamentales dans une démocratie digne de ce nom. »
Elle explique comment la CSSA en est arrivée à défendre l’espace civique du point de vue des étudiants, constatant qu’aucune autre organisation n’avait endossé ce rôle. « Les aspirations des étudiants et leur engouement à participer à l’action civique sont fondamentales pour un processus efficace de démocratisation », fait-elle remarquer.
Associations d’étudiants : récepteurs et amplificateurs des luttes estudiantines
À l’automne 2019, la CSSA commença à rencontrer les étudiants, contactant les clubs et associations d’étudiants militants engagés dans les questions telles que la liberté d’expression, l’égalité entre les sexes et les droits des personnes LGBT. Selon Berna, la CSSA a rapidement pris la mesure des difficultés auxquelles étaient confrontés les étudiants en raison de leur engagement politique et citoyen, mais aussi de leur identité, de leur sexe, de leur appartenance à tel ou tel groupe ethnique et à leur orientation sexuelle.
Les étudiants engagés sur le plan politique subissent des effets délétères qui ont de graves répercussions sur leur vie, à bien des égards. Ils risquent de perdre leur bourse et leur chambre universitaire, et de compromettre leurs perspectives de carrière à long terme. La CSSA apporte son soutien à ces étudiants militants et pour ce faire, elle surveille les violations et les attaques, fournit une assistance juridique et met à disposition des outils permettant à ces derniers de s’organiser et de se défendre. Baran Kaya, avocat de la CSSA, est devenu une référence incontournable pour les étudiants souhaitant obtenir des conseils juridiques, eux qui comparaissent régulièrement devant les juges.
Alors que les universités ne sont plus l’espace d’expression et de discussion qu’elles étaient, le projet Academia est devenu un espace idéologique central et une cible de l’oppression exercée par le gouvernement, qui, outre, les universitaires, vise également les étudiants.
« L’esprit critique et la production des savoirs se sont raréfiés en Turquie sous l’action des autorités bien décidées à activement dissoudre les espaces de libres pensée et d’expression. Les étudiants se voient systématiquement refuser le droit de manifester. La censure est omniprésente. Les étudiants sont interpelés et font l’objet de procédures administratives et juridiques engagées à leur encontre. La CSSA collabore avec les étudiants et partage avec eux les connaissances et les outils nécessaires pour contrer ces mesures », ajoute Berna.
En deux ans à peine, l’organisation a marqué les esprits. « La CSSA est devenue une plateforme incontournable pour les étudiants qui souhaitent organiser des ateliers ou qui sollicitent une aide juridique. Nous sommes un lieu où ces derniers peuvent se rencontrer et entrer en contact avec d’autres ONG, associations et universités », déclare Berna.
La CSSA compte parmi ses partenaires toute une variété de groupes menant des combats distincts, comme la protection des personnes LGBT ou la défense des droits des femmes. Ces divers groupes ont été réunis grâce au projet baptisé Freedom of Expression on Campus (Liberté d’expression sur le campus) qui s’efforce de rassembler les organisations selon leur mission et d’entretenir un réseau de solidarité.
Lutter pour un accès égal aux cours en ligne dans le contexte de la Covid-19
Par le passé, la CSSA avait pour habitude d’organiser des réunions dans ses locaux, mais avec la pandémie de Covid-19, celles-ci se déroulent désormais en ligne, ce qui n’est pas sans difficulté. Les étudiants ont dû rentrer chez eux et pour certains, comme les personnes LGBT, il est compliqué de participer ouvertement à des réunions de ce genre.
L’éducation en ligne est également devenue problématique. Tous les étudiants ne possèdent pas un ordinateur portable ou n’ont pas de connexion Internet, et rares sont les universités qui assurent des cours en ligne de qualité. La CSSA continue de soutenir les étudiants qui réclament l’égalité des chances dans leurs études et elle s’efforce de relayer leurs revendication même en cette période de pandémie.
Lors d'une récente campagne menée contre plusieurs universités, la CSSA a aidé les étudiants à contester l’obligation d’installer des caméras et des microphones pour participer aux examens en ligne afin d’éviter la triche, faisant valoir que cette obligation était une atteinte à la protection des données à caractère personnel et ne tenait pas compte de l’incapacité des étudiants à se procurer ce matériel. Grâce à plusieurs campagnes de haut vol menées sur les réseaux sociaux, les étudiants ont contesté ces mesures et eu gain de cause.
À l’occasion d'une autre initiative, la CSSA, en collaboration avec les étudiants, a établi des moyens plus sûrs de participer aux activités des clubs, en remplaçant par exemple les discussions instantanées et les communication écrites par des réunions en ligne, une importante bouée de sauvetage pour les étudiants LGBT.
À la question de savoir comment elle envisage l’avenir de la CSSA, Berna répond vouloir « créer un portail d’information en ligne pour les étudiants permettant à ces derniers de publier des actualités et de s’adresser à un public plus vaste. Nous voulons que les étudiants s’approprient la production des dépêches et la diffusion des informations et qu’ils surveillent ce qu’il se passe à l’intérieur des universités. Dans le même temps, nous continuerons de protéger les plus vulnérables d’entre eux, surtout ceux qui appartiennent aux minorités. »
Berna se dit reconnaissante pour l’aide versée par le FEDEM, une subvention de démarrage accordée à la CSSA alors que l’organisation était en formation. « Elle nous a permis d’assurer le loyer et les salaires des membres de l’équipe, ce qui a été d'une très grande aide. Grâce au Fonds, nous avons également élaboré un projet de cartographie des organisations étudiantes et pu renforcer notre visibilité sur les réseaux sociaux », conclut Berna.