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Réactions de membres de la société civile sur l’actuelle crise politique en Tunisie

2 September 2021

Ces derniers jours, le FEDEM s’est entretenu avec plusieurs partenaires de la société civile tunisienne sur la crise politique qui frappe actuellement le pays.

La semaine dernière, le président tunisien, Kaïs Saïed, annonçait la prolongation « jusqu’à nouvel ordre » des mesures exceptionnelles mises en place la nuit du 25 juillet, maintenant ainsi la suspension du Parlement national. Le nouveau Premier ministre n’a toujours pas été désigné, après le limogeage du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, en juillet. Les activités des institutions législatives et exécutives sont actuellement gelées. Cette période troublée s’accompagne d’une hausse des interdictions de voyage et des assignations à résidence, de la fermeture de certains médias et d’une intensification des discours haineux dans le pays.

L’annonce du président Kaïs Saïed de s’octroyer l’intégralité du pouvoir exécutif est survenue après une série de manifestations dans tout le pays. Pour ce faire, le président s’est appuyé sur l’article 80 de la Constitution tunisienne qui prévoit ce type de mesure « en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale ou la sécurité ». Dix ans après la Révolution du Jasmin, la Tunisie est au bord de l’effondrement. L’économie est en crise, le pouvoir d’achat des citoyens a chuté et la corruption est endémique. Depuis les élections de 2019, l’action du Parlement est paralysée par l’absence de consensus entre les partis ; il règne un climat d’impunité et le système judiciaire est touché par une crise sans précédent. La pandémie de Covid-19 est venue aggravée l’infortune du pays, et la Tunisie enregistre le pire taux de mortalité de la région.

Les réactions immédiates à l’action du Président ont été très variées. De nombreux Tunisiens sont sortis dans la rue après l’annonce du 25 juillet, pour manifester leur soutien à la décision du Président, tandis que d’autres qualifiaient cette action de coup d’état. Les observateurs sont d’avis que le prolongement de ces mesures exceptionnelles soulèvent de nombreuses questions sur l’avenir du pays. Ces derniers jours, le FEDEM s’est entretenu avec des partenaires tunisiens afin de connaître leur avis sur les récents événements.

Réaction aux mesures exceptionnelles

Pour le journaliste Walid Mejri, directeur de Taqallam et rédacteur en chef de la plateforme média Al Qatiba, le rôle des médias dans ce contexte est d’agir en tant que gendarme, de rester objectif et de présenter les événements tout en défendant les notions de responsabilités, de libertés civiles et de liberté d’expression. Sa consœur, la journaliste Amal Mekki de la plateforme média Innsane, confirme que ce travail d’observateur critique est essentiel pour les médias tunisiens. M. Mejri juge que le pays traverse une période difficile, avec des décisions prises par le Président pour le moins discutables, à l’image de la fermeture de Al Jazeera et des assignations à résidence à l’encontre de certains représentants politiques et hommes d’affaires.

Les partenaires de la société civile ont des opinions plus panachées sur les récents événements. Certains, comme Yasser Souilmi du groupe de réflexion Houloul, sont d’avis que le Président n’avait pas le choix, compte tenu de la crise économique et sociale et du dysfonctionnement généralisé au sein du gouvernement, du Parlement et des institutions publiques, une opinion que partage Khalil Ben Cherif de Global Institute for Transitions (GI4T). Ben Cherif ajoute, cependant, que l’absence de feuille de route, promise dans un premier temps par le Président, pose problème. Il souligne l’importance de cette feuille de route et le rôle que la société civile doit jouer dans son élaboration. D’autres, au contraire, parmi lesquels Imed Daimi, ancien député et responsable actuellement de l’initiative de lutte contre la corruption Observatoire Raqabah, jugent l’action du Président populiste et potentiellement dangereuse, même s’ils sont conscients de la nécessité d’introduire un changement radical dans le processus démocratique tunisien.

Les besoins de la Tunisie aujourd’hui

Interrogés sur ce que sont les difficultés auxquelles le pays est aujourd’hui confronté, les partenaires du FEDEM, à commencer par Hayet Kadri, directrice de l’organisation Ladies First, en font le portrait d'un pays miné par une dette publique élevée, un taux de chômage considérable, la violence, la criminalité et la corruption.

Tous les partenaires s’accordent sur le fait que le pays doit se doter d’une feuille de route, organiser de nouvelles élections, réformer le système judiciaire, ainsi que les institutions publiques, notamment l’éducation, les transports et la santé.

M. Daimi de l’Observatoire Raqabah, tient à souligner, cependant, que bien que le système démocratique tunisien actuel soit loin d’être parfait, le pays a parcouru du chemin ces dix dernières années et qu’il est important de s’appuyer sur ces avancées. « Le Parlement doit reprendre ses fonctions. On ne peut pas priver une démocratie d’une institution au prétexte qu’elle ne fonctionne pas.  Bien sûr qu’il faut changer la manière de faire et introduire de nouvelles règles. Le président du parlement et les représentants politiques doivent reconnaître les erreurs du passé et réviser l’agenda législatif », poursuit-il. D’autres, comme Ben Cherif de GI4T, insistent sur la nécessité d’instaurer un nouveau modèle de développement économique axé sur la reprise économique du pays.

Le rôle de la société civile et des médias indépendants

Tous les partenaires sont d’avis qu’au vu de la situation actuelle, la société civile doit continuer à défendre les droits de l’homme et à mettre le gouvernement face à ses responsabilités. Les médias indépendants continueront de rendre compte de l’évolution de la situation afin de préserver notre « légitimité démocratique », comme le dit M. Mekki de Innsane. M. Mejri de Taqallam partage cet avis : « les médias en particulier ont pour mission de présenter des informations factuelles et objectives et de fournir aux Tunisiens les informations et les outils dont ils ont besoin pour ce faire leur propre opinion. »

En outre, les partenaires du FEDEM invitent le Président à collaborer avec les acteurs de la société civile en vue de dessiner l’avenir du pays et d’introduire les réformes de ses processus démocratiques. Ils estiment que la société civile peut faire le lien avec une population qui est actuellement privée de ses droits par la classe politique.

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